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Ardelaine prospère dans l’égalité coopérative

Au cœur de l’Ardèche, la coopérative textile Ardelaine, investie depuis trente ans dans la création d’emplois et le développement du territoire, prouve qu’il est possible de vivre le travail autrement, dans la confiance et la solidarité.


Juché sur un énorme rouleau métallique, Alexis gratte la laine accrochée aux rainures des cylindres. L’immense cardeuse qui occupe, sur une trentaine de mètres toute la longueur du bâtiment d’Ardelaine, est à l’arrêt pour entretien. Dans cet atelier, la laine est transformée en « nappe » pour fabriquer les couettes et en « flocons » pour les matelas.

« Je suis tondeur pour Ardelaine et en dehors de la saison, je travaille aux matelas, explique Alexis. Mais aujourd’hui, il manquait une personne ici, alors je suis venu donner un coup de main. »

Nadine, rencontrée au café-librairie d’Ardelaine, travaille à la vente : " Pendant les vacances, on a eu une grosse commande. Les filles qui sont aux couettes sont venues au magasin. On peut être réactif car on a une certaine polyvalence. On est tout le temps en train de s’adapter, ça réveille, ça oblige à avoir un dynamisme interne pour soutenir celui de l’entreprise."

La plupart des salariés ont une activité principale et, s’ils le souhaitent, des missions ponctuelles sur d’autres secteurs. Dans l’atelier de fabrication des matelas, Micha, aiguille à la main, passe un fil à travers l’épaisseur de tissu et de laine, pour placer les points de serrage qui feront un matelas plus ou moins dur.

« Un travail très précis pour la régularité des alvéoles », explique Micha, qui se dit « ravi de fabriquer de la qualité dans un monde où il y a trop de merde ! » En dehors des matelas, il fait sporadiquement des livraisons et de petites réparations : « Ca change. J’ai aussi travaillé deux jours à la vente par correspondance, pour les comprendre mieux. »

D’abord l’emploi

Dans l’atelier des couettes, Mélanie et Sarah travaillent en duo pour tracer et bâtir. Leurs gestes sont rapides et coordonnés. « On a six couettes à faire ce matin et deux un peu moins grandes, explique Mélanie. La réalité c’est qu’il faut faire la couette en une demi-heure, sinon elle coûte trop cher. Il y a un peu de décalage entre ce qu’on vit au quotidien et les belles idées. Je suis quand même contente de travailler ici. »

Sarah, sa coéquipière, approuve : « Ca m’a surprise au début. Je ne pensais pas qu’il y avait un souci de productivité, mais c’est quand même une entreprise qui doit tourner. » Laurence, la responsable d’atelier, confirme qu’elle est « Madame pendule », toujours en train de vérifier les temps de fabrication, mais rien à voir avec les entreprises traditionnelles : « J’ai travaillé dans des usines de confection à la chaîne, on n’arrêtait pas et on n’avait pas le droit de parler. C’était un grand plaisir quand je suis arrivée ici. »

Bernard Barras, membre fondateur et PDG, rappelle que l’entreprise n’échappe pas aux réalités économiques : « On est en face d’une machine énorme sur laquelle on n’a pas de prise. On a juste une petite marge de manœuvre pour faire autrement. » Bernard parle « d’héroïsme » à propos d’Ardelaine, qui a créé 46 emplois en 30 ans dans un secteur en crise : « en fait, créer des emplois, c’est ça qui nous intéresse. »

Julien, qui a 18 ans de boîte, parle du miracle d’être encore là : "Ca prouve que c’est encore possible de faire les choses autrement, de manière plus humaine. Si on raisonnait « chiffre d’affaires » et « productivité », ce sont les machines qui feraient les matelas à notre place. Ici, au contraire, c’est d’abord l’emploi. Ça permet de garder le savoir-faire. Et ce qui me plaît, c’est la confiance, on nous laisse nous responsabiliser."

« Une personne vaut une personne »

Ardelaine pratique depuis ses débuts l’égalité des salaires. Qu’on ait des années d’ancienneté ou qu’on soit le dernier embauché, qu’on soit responsable d’atelier ou PDG, on est payé au Smic. « Avec cette égalité, il n’y a pas de hiérarchisation des valeurs des personnes, explique Béatrice Barras, membre fondatrice de l’entreprise et responsable de la communication et du développement. Une personne vaut une personne. On a tous besoin de manger, dormir, être au chaud l’hiver. On a tous le même niveau de vie. Avec l’égalité des salaires, on ne se mesure pas par l’argent, et ça enlève une quantité phénoménale de tensions entre les gens. »

Cette égalité des salaires, qui en trente ans n’avait jamais été remise en cause, a fait l’objet de discussions lors de la réunion des coopérateurs, en janvier dernier. « C’est la première fois qu’on a entendu : « c’est pas suffisant. On n’y arrive pas financièrement, surtout si on vit seul. » »

Béatrice pense qu’il faut réfléchir à des solutions d’entraide et de mutualisation : « on arrive, après trente ans, à cette phase où l’entreprise doit prendre soin de ses salariés. »

Olivier, qui est au cardage et à la maintenance des machines, reconnaît qu’il est un peu gêné par cette égalité des salaires : « Quand je vois Pierre, qui m’a tout appris, qui est là depuis trente ans, ça me choque un peu. Moi je suis là depuis douze ans, je suis responsable de l’atelier et j’aimerais au moins que le salaire soit progressif. » Julien confie que ce n’est pas facile de vivre avec un Smic, "mais l’idée d’égalité me plaît, et si demain on augmentait nos salaires, je ne suis pas sûr qu’on n’aille pas dans le mur. C’est un risque que je ne suis pas prêt à prendre."


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