Tribune —
Attali, Oh la la, l’adéqroissance
Ce qui est rassurant, dans notre époque incertaine, c’est que nous pouvons nous reposer sur des géants de la pensée. Il y a peu, Bernard-Henri Levy a occupé comme un torrent les pages et les écrans. Il avait écrit un livre impérissable, ai-je compris, mais dont le titre m’échappe présentement. M. Levy devrait à mon avis être enterré au Panthéon, puisque Camus a laissé la place. Quoi ? On ne peut pas y enterrer les écrivains vivants ? Dommage.
Cette semaine, Elisabeth Badinter a envahi pages et ondes, reflet sans doute de la profondeur d’un ouvrage qui renvoie Simone de Beauvoir à la Bibliothèque rose . Au rang de ses talents immenses, Mme Badinter se pique d’être climatologue : elle nous a donc appris que le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a tout faux. “Les grandes crises climatiques sont une réalité millénaire qui n’ont pas attendu la pollution humaine”, assure-t-elle (Le Point du 4 février). Et il y a encore des gens qui croient au changement climatique !
Mais il y a plus grand encore, un “hypergénie”, comme dit justement Vincent Cheynet, de la revue La Décroissance. J’ai nommé le grand, l’admirable, l’immarcescible Jacques Attali. La rumeur nous apprend que Son Excellence Nicolas Sarkozy lui confierait la tâche de réanimer la Commission pour la libération de la croissance.
On ne saurait faire meilleur choix pour remettre le pays sur ses pieds. M. Attali est un prévisionniste hors pair. Dans l’éternel Une brève histoire de l’avenir (Fayard, 2006), il rangeait la firme AIG parmi “les entités les mieux capables de réunir les moyens d’un projet mondial durable” (p. 278). Las ! En septembre 2008, AIG était sauvé de la faillite grâce à un prêt de 85 milliards de dollars de la Réserve fédérale.
Dans le prodigieux Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, livré début 2008 à la République, il proposait d’harmoniser les règles financières et boursières de la place de Paris pour l’aligner sur celles de Londres (décision 97). Las ! La crise financière éclatait dans l’année, en raison des bulles spéculatives insensées créées sur les places anglo-saxonnes.
Et voilà qu’Attali promeut la décroissance ! Enfin, “l’adéqroissance”. Dans un article publié sous ce titre par L’Express le 15 décembre 2009, il reconnaissait que l’idée de décroissance “fait sens : si on l’entend comme un désir de mettre un terme aux errements de notre modèle de production, aux folies et aux fatigues de la vitesse, du rendement, du gaspillage, de l’accumulation et du remplacement irréfléchi de gadgets par d’autres gadgets ; et, surtout, comme la volonté de remettre en question la définition marchande du mieux-être.”
Mais Attali ne peut accepter le terme de “décroissance”. Alors il propose “l’adéqroissance”. Heureusement, personne n’a prêté attention à ce néologisme. Il va donc pouvoir recommencer à “libérer la croissance”. Un génie, je vous dis.