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Ce qui s’est passé au Contre-Grenelle le 2 avril


Il y avait du monde ce samedi 2 avril à la salle Charlie Chaplin de Vaulx-en-Velin, banlieue « défavorisée » (doux euphémisme) de Lyon. Les 900 places n’étaient certes pas toutes occupées, mais il devait bien y avoir 600 ou 700 personnes pour ce qui est devenu, pardonnez-moi l’expression, la « grand-messe » de la décroissance. Ce Contre-Grenelle, troisième du nom, et sous-titré « Décroissance ou Barbarie » était (bien) organisée par l’équipe du journal La Décroissance .

Une observation attentive de cette assistance a donné la conclusion suivante : les décroissants ne sont pas fondamentalement différents du reste de la population. Seule différence, mais de taille, avec la population « normale », et particulièrement avec celle de la ville de Vaulx en Velin qui accueillait l’événement, une assistance à peu près totalement blanche et « de souche ». Observation identique à celle faite il y a deux ans à la même occasion… Il y a peut-être un peu plus de barbus à queue de cheval qu’ailleurs, mais l’âge moyen est tout à fait normal, il y a même un nombre important (et fort encourageant) de jeunes.

C’est normal, car si les plus vieux d’entre nous disparaîtront sans être rentrés dans le dur de l’ère post-croissanciste, un étudiant d’aujourd’hui y sera inévitablement confronté…

La « grand-messe » de la décroissance, donc. Et si je voulais poursuivre dans l’allégorie religieuse, je dirais même que les fidèles qui s’y réunissent ont un peu le sentiment d’être des puristes, pour ne pas dire les intégristes de la cause, à ne surtout pas confondre avec ces millions d’écologistes béats, ceux qui dans le sillage des hélicologistes sponsorisés Hulot ou Arthus-Bertrand, pour lesquels on résout tous les problèmes à coup d’éoliennes, de panneaux solaires, et de fermeture du robinet en se brossant les dents. Une écologie de marché, où l’on célèbre la « croissance verte », et où l’on évite par dessus tout de changer l’ordre des choses, de s’attaquer aux racines du mal, et notamment à la domination totale de l’économie capitaliste, libérale et croissanciste sur les humains et leur environnement. Sinon, on perd ses sponsors, alors…

Si la presse locale (Le Progrès de Lyon) a consacré un article à la manifestation, celle-ci s’est tenue dans l’indifférence totale des médias nationaux, plus préoccupés par l’annonce probable de la candidature de Nicolas Bertrand Hulot à l’investiture « écologiste ».

C’est le maire de Vaulx-en-Velin, Bernard Genin, communiste, qui a ouvert les débats. Il m’a paru moins décalé en ces lieux que son prédécesseur Maurice Charrier, qui, invité il y a 2 ans, semblait un peu se demander ce qu’il foutait là…

Le ton de la manifestation fut donné par Paul Ariès, le « Grand Gourou » de la manifestation et des décroissants en général. Cette année, sa cible n’était pas Daniel Cohn-Bendit (qui avait été pilonné à l’artillerie lourde par la plupart des intervenants en 2009), mais plutôt le duo Nathalie Kosciusko-Morizet et Jean Jouzel, respectivement ministre de l’Environnement et président du GIEC. Ils symbolisent à ses yeux le renoncement majeur qu’il appelle « l’adaptation ». On préfère trouver des palliatifs au mal plutôt que de l’éviter. Une illustration parfaite est donnée par l’attitude face au réchauffement climatique. Une fois le diagnostic posé, il y avait une solution : diminuer rapidement et fortement les émissions de gaz à effet de serre. Mais cela supposait évidemment une remise en cause totale du dogme de la croissance. Après avoir « fait mine de » pendant quelques années, après avoir même posé des objectifs chiffrés à Kyoto, rien ou presque n’a évidemment été fait pour les tenir. Et le récent échec du sommet de Copenhague est un cinglant constat, et la preuve s’il en fallait une que rien ne fera jamais changer le capitalisme libéral et son dogme de la croissance infinie. Désormais, puisqu’on ne fera donc rien pour l’endiguer, on se « résigne » donc à devoir subir ce réchauffement climatique et à s’y « adapter ». Bonne chance à tous, et particulièrement aux Africains, aux pauvres… etc

Ce Contre-Grenelle, comme le précédent, a été une longue suite d’interventions, volontairement limitées à 10 minutes chacune, sur des sujets cohérents et liés au problème (si j’étais pédant et inculte, je placerais volontiers ici le mot « problématique »...) de la décroissance (Si l’on veut mon avis, je changerais volontiers la formule, en entrecoupant les interventions de débats. Cela suppose évidemment de diminuer le nombre d’intervenants, ou de planifier l’événement sur 2 jours. Car cette succession d’interventions, sans interruption ou presque, est assez difficile à digérer).

Parmi les orateurs, des connus et des inconnus, des bons et des moins bons, des qui lisent leur texte et d’autres qui parlent sans notes, des philosophes et des terre à terre, des scientifiques et des littéraires : une brochette de haut niveau de toute façon. Et tout le monde logé à la même enseigne : 10 minutes et pas une de plus.

Outre les organisateurs Paul Ariès et Vincent Cheynet, les seuls noms un peu connus (et encore, pas du grand public) étaient Geneviève Azam, membre du conseil scientifique d’ATTAC et conférencière chevronnée, ainsi que François Ruffin, fondateur (et vendeur à la criée !) de l’excellentissime journal Fakir, et chroniqueur chez Mermet sur France Inter.

Pour être exact, on a beaucoup plus parlé de croissance que de décroissance. Car le fil rouge des interventions était « l’effondrement ». Nous sommes entrés dans une période où tout s’effondre sous les coups de boutoir de la « croissance ». Et pas seulement l’enceinte des réacteurs de Fuck-u-shima.

Effondrements énergétique, environnemental, alimentaire, social, sanitaire, médiatique, culturel, psychique, de la paix civile et des libertés, politique ; tyrannie de la technologie, tels furent les grands sujets développés par les intervenants.

Ce fil rouge s’explique aisément : la décroissance ne va pas de soi. Elle s’oppose même à tout ce qu’on nous raconte depuis notre naissance. Et face aux spécimens les plus atteints de notre société, elle nous fait immédiatement passer pour un taré. Même si les tarés ne sont pas ceux auxquels on pense, et que les choses changent tout doucement (des témoignages concordants montrent qu’un nombre certes encore faible mais croissant (sic) de nos concitoyens connait le concept et le comprend plus ou moins), il est nécessaire d’expliquer, d’argumenter, encore et encore.

Et la meilleure façon de faire comprendre l’impérieuse nécessité de la décroissance, c’est justement d’énumérer les dégâts de la croissance, qui crèvent les yeux, et qui mis bout à bout comme ce fut le cas ce samedi, esquissent clairement l’image d’une catastrophe gigantesque, d’un ratage total. Une démonstration par l’absurde en quelque sorte.

Pause bienvenue entre les interventions, le show de « Nicolas Bertrand ». Pour ceux qui n’auraient jamais lu le journal La Décroissance (prière de vous rendre d’urgence dans le premier kiosque venu !), Nicolas Bertrand est leur tête de turc, un écervelé à cheveux longs et moustache, une espèce de compil’ improbable entre Nicolas Hulot et Yann Arthus Bertrand, dont il reprend les principales caractéristiques : la naïveté, l’hélicoptère, les sponsors, la tartufferie, l’écologie de supermarché, et l’absence la plus totale de conscience sociale.

Dans un duo hilarant avec le comédien autochtone Pascal Coulan, Nicolas Bertrand énumère les perles de ses deux pères spirituels. Citations sorties de leur contexte, certes, mais rigoureusement exactes, et qui provoquent instantanément le rire tant elles sont grotesques.

Variante Nicolas (dont Vincent Cheynet notait qu’il gagne environ 100 000 euros par mois en travaillant 4 mois par an !) :

« Le développement durable, c’est pas moins de croissance, c’est plus de croissance ! »
« L’énergie nucléaire est donc pour le moment le moindre mal » (circonstance aggravante, c’est une citation post-Fuck-U-shima !)
« En Bretagne, le mois dernier, je kitais avec mon ami Jérémie Eloy. Nous nous sommes éloignés de la côte et le vent est tombé brutalement, de manière imprévisible. Impossible de rentrer. On a dérivé une heure et demie dans l’eau à 6 degrés avant que notre guetteur, sur la plage, envoie un bateau de la SNSM, les sauveteurs en mer, pour nous chercher. Sans une combinaison étanche et une bonne paire de gants, nous aurions eu du mal à tenir. »

Variante Bertrand :

« Posséder un 4x4, pourquoi pas. A condition de sacrifier de temps en temps au co-voiturage »
« Notre plus grand défi consiste à concilier la croissance et les ressources limitées de la planète »
« On ne peut pas s’en passer du nucléaire et le problème des déchets n’est pas si grave »

Quelle bande de cons ! Et quel gâchis ! Avec la notoriété de ces deux zozos, qui ont un accès privilégié à tous les médias, il serait tellement plus facile de faire passer de VRAIES IDÉES ÉCOLOGISTES à la télé, où Paul Ariès ne passe que rarement et après 22 heures 30, histoire de ne pas choquer les bonnes âmes…

J’arrête là ce premier billet sur le sujet. Une prochaine fois, je détaillerai une ou plusieurs interventions.


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