Cette conférence n’est vraiment pas à chier

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Dépenser plein d’eau potable pour évacuer nos excréments, c’est vraiment du gâchis. La conférence gesticulée Water Causettes, une autre histoire de l’écologie l’explique très bien - et en riant.
Notre gestion de l’eau court à la catastrophe. Nous rejetons toujours plus de cochonneries dans de l’eau rendue potable à grands frais : nous buvons, lavons nos voitures et chions dans la même eau, entraînant à la fois un drame écologique dans les fleuves et rivières, et une culpabilisation sur le mode ’économisons l’eau qui coule du robinet’. Une conférence gesticulée fait le point sur notre gestion de l’eau et des déjections, invitant à changer nos pratiques.
« La science n’est absolument pas ’caca-compatible’. Et faire adopter les toilettes sèches n’est pas qu’une question scientifique : ça ne marchera pas si on ne s’attaque pas aux problèmes politiques et culturels. » Partant de ces constats, Samuel Lanoe et Anthony Brault ont monté une conférence gesticulée sur la gestion de l’eau et des déjections humaines, autrement dénommées « excrétas ».
Les deux compères y jouent le rôle de plombiers, mais des plombiers aux parcours originaux. Des plombiers écolos, ou plombiers « casse-couilles » selon leur expression.
« Comment on a été amenés à devenir écolos »
L’un, Samuel, est ancien ingénieur en environnement. On lui avait appris que l’eau était sale et qu’il fallait la nettoyer. Un jour, il se dit que ce serait peut-être plus malin d’essayer de ne pas salir l’eau plutôt que de se préoccuper uniquement du nettoyage.
Il écuma donc les colloques, écrivit un livre, le tout avec une logique scientifique bien rigoureuse et convaincu que « si on ne passe pas aux toilettes sèches, l’humanité court à sa perte à moyen terme ». Néanmoins face à ses publics, il se rendit compte d’une difficulté de taille : tant qu’il parlait uniquement d’excrétas, tout le monde comprenait sa logique et était d’accord avec ses conclusions, mais « quand je disais que excrétas c’est ’caca’, je perdais toute crédibilité », raconte-t-il.

L’autre, Anthony, était animateur en chantiers de bénévoles. Le thème de son chantier était « décoration de festival ». À chaque nouvelle équipe, il devait commencer par expliquer les choses à faire : « En fait, c’était construire des toilettes sèches et les décorer. Quand j’expliquais ça, je voyais que tout le monde cherchait un moyen de s’enfuir. Bon, ça s’est pas très bien placé… » Mais finalement, les toilettes sont réussies, et « de là j’ai déroulé toute une carrière de militant casse-couilles dans les toilettes sèches », résume-t-il.
Leur conférence gesticulée part de ces expériences et savoirs acquis. « Dans un spectacle écologique on vous dirait ce qu’il faut faire. Là on va plutôt faire un spectacle sur l’écologie, c’est-à-dire expliquer comment dans nos vies on a été amenés à devenir écolos. »
« L’invention la plus conne de l’humanité : le tout-à-l’égout »
L’objet de cette prise de conscience : le caca et l’eau. Un Français utilise en moyenne 165 litres d’eau par jour, et ses déjections quotidiennes pèsent entre 150 et 200 grammes. Les choses étaient plus simples quand l’homme habitait dans sa grotte : il s’approvisionnait au cours d’eau le plus proche, et ses caca et pipi se dissolvaient rapidement dans la nature.
Mais l’urbanisation nous a contraints à organiser la gestion de l’eau et des déchets. Du pot de chambre vidé par la fenêtre, en passant par les fosses où s’accumulaient les déjections avant d’être vidées au seau… jusqu’à « l’invention la plus conne de l’humanité : le tout-à-l’égout ».
Quel est donc le problème ? Nos déjections contiennent naturellement des bactéries, issues de la digestion. Or l’eau constitue un milieu parfait pour leur développement. Elles prolifèrent donc dans les eaux rejetées, consommant l’oxygène des rivières et se nourrissant de la matière organique fécale. Ce qui menace au passage les écosystèmes des rivières et des fleuves.
Mais surtout, le tout-à-l’égout perturbe le cycle naturel de la matière. « Nous mangeons, sommes et chions organique », rappellent les deux compères, qui font toutes leurs démonstrations à l’aide de symboles « N », « P » et « K » pour azote, phosphore et potassium. Ces trois substances, présentes à l’état de minéraux dans l’humus, se lient pour former la matière organique qui constitue elle-même les végétaux que nous consommons (ou que mangent les animaux que nous consommons ensuite).
Une fois digérée par notre organisme, la matière organique est censée retourner dans la nature et être décomposée par des micro-organismes avant de servir à nouveau de matière première pour la croissance des végétaux. Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme.

Doit-on craindre la fin de l’eau potable ?
Mais nous chions dans l’eau. Avec pour conséquence d’interrompre le cycle de la matière organique. Et ce n’est pas tout : avec nos déjections, nous balançons aussi des bactéries, 9 kg de PQ par an et par personne, des polluants industriels (contenus dans nos produits d’entretien, ou d’hygiène), des restes de médicaments (toute la substance active n’étant pas absorbée par l’organisme), et d’autres choses jetées dans la cuvette quand on ne sait pas quoi en faire (tampons …).
Ce mode d’utilisation de l’eau n’est pas tenable. Alors quel est le vrai problème ? Le manque d’eau ou ce qu’on fait de notre eau ? « Fermer l’eau du robinet quand on se brosse les dents ? Mais on s’en fout, de l’eau y’en a plein en France ! Si vous arrêtez de chier dans l’eau, vous pouvez prendre des bains tous les jours. » Les toilettes sèches donc, comme solution pour économiser de l’eau et ne plus avoir à craindre sa raréfication.
Ou se réjouir de l’arrivée de l’eau hygiénique ?
Mais cela suffira-t-il ? « C’est trop tard pour maintenir une eau potable durablement. L’eau potable, ça a duré un petit temps dans l’humanité, et c’est bientôt fini. » Parce que cela fait déjà trop longtemps que nous rejetons des tas de cochonneries dans nos rivières, et que les technologies d’épuration ne peuvent pas tout régler, ou bien sont trop chères.
« En fait il faut abdiquer sur l’eau potable, et passer à une eau hygiénique. Sur 165 litres d’eau potable, on n’a besoin que de deux litres d’eau potable. Qu’est-ce qu’on s’emmerde à potabiliser 163 litres qui servent à se doucher, à laver sa bagnole, à chier dedans ? En plus, il y a suffisamment de nappes phréatiques proches des villes pour offrir deux litres d’eau potable par personne chaque jour. »
Tout un programme proposé par Anthony et Samuel, sources à l’appui. A voir sur internet et en vrai, afin de révolutionner notre vision de l’eau, et du caca.
Water Causettes, une autre histoire de l’écologie, par Samuel Lanoe et Anthony Brault, Scop Le Pavé.