Tribune —
Démocratie printanière
Il y aurait mille raisons d’être pessimiste. Eh bien... oublions-les un moment. Les arbres s’habillent timidement de feuilles, l’air frais du matin a un fond printanier, on s’ébroue enfin après cet hiver qui n’en finissait pas et - au diable politiques égocentriques et arrangeurs d’impostures !
Tiens, on nous fait penser à Rabelais. Bonne idée. Voici, dans Gargantua, des paroles revigorantes, portées dans « L’Inscription mise sur la grande porte de Thélème » : « Cy n’entrez pas, hypocrites bigots, vieux matagots, marmiteux boursouflés ; torcols, badauds, plus qu’estoient les Goths ou les Ostrogoths, précurseurs des magots : porteurs de haires, cagots, cafars ampantouflés. Gueux emmitouflés, frappards écorniflés, bafoués, enflés, qui allumez les fureurs, filez ailleurs pour vendre vos abus. »
Et pourquoi être de bonne humeur ? Grâce à un joli film, qui sort sur les écrans, comme on dit, après une tournée discrète aux quatre coins de la France, où il a rencontré un succès ignoré des vigies. Solutions locales pour désordre global est tout à fait réjouissant. Enfin, une réjouissance paradoxale : le documentaire de Coline Serreau montre comment l’agriculture industrielle détruit les sols et les sociétés rurales. Mais il le fait au travers des regards de ceux qui refusent cette fatalité, et qui montrent en action qu’une autre agriculture est possible : vous n’oublierez pas de sitôt les Pierre Rabhi, Philippe Desbrosses, Devinder Sharma, Claude et Lydia Bourguignon qui illuminent ce film qui pourrait être désespéré de leur énergie positive.
Quand on demande à la réalisatrice : pourquoi des solutions locales au désordre global ?, elle répond : « Parce que le local, c’est la démocratie, tandis que le global, c’est la puissance marchande. Pour contrer cette puissance qui a globalisé l’économie, le vivant, qui l’a acheté, vendu, et qui le considère comme une marchandise, nous n’avons qu’une arme : la démocratie, c’est-à-dire la solution à petite échelle et locale - qui est d’ailleurs aussi la solution agricole - qui pourra nous faire survivre. »
Un film écologique ? Oui, mais un film politique, radical, qui affirme que la question agricole est l’enjeu politique central, autour duquel peut se réorganiser la société. C’est là que le pouvoir serait le plus à portée des citoyens : dans ce désir d’aller directement du champ à l’assiette, de se réapproprier la production, d’établir des liens humains plutôt que de simplement passer à la caisse. « Cette société nouvelle, encore latente, encore minoritaire, avance comme un tsunami inéluctable et deviendra bientôt manifeste et majoritaire », affirme Coline Serreau. Elle est optimiste. C’est bien.