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Dîner du Siècle : le récit d’un citoyen embarqué

Mercredi 26 janvier, la centaine de citoyens présents devant l’Automobile Club n’ont pas eu le temps de dire « ouf » que la police les interpellait. Voici le récit de l’un d’entre eux.


Dans le panier à salade, en compagnie d’une cinquantaine d’autres manifestants, Jacky, retraité, prend les choses avec humour : « Ils m’ont ramené dans mon quartier, je trouve ça sympathique. À par ça, je trouve ça un peu ridicule de nous embarquer pour ce qu’on a fait puisque on n’a rien fait du tout. »

La troisième manifestation contre le Siècle a tourné court. À 19h30 pétante, heure officielle du rendez-vous, cars de police et gardes mobiles ont encerclé la centaine de personnes rassemblées pacifiquement à quelques mètres de l’entrée de l’Automobile club de France où se réunissent les membres du Siècle, chaque quatrième mercredi du mois. Un par un, les présumés manifestants étaient extirpés du groupe, avec plus ou moins de ménagement, fouillés et embarqués dans des paniers à salade.

Comme le décrit, dans son communiqué le collectif organisateur du rassemblement, le Collectif Fini les Concesions-Branche Armée... de Patience (CFC-BAP), « il a été impossible de faire la moindre prise de parole, d’énoncer le moindre slogan ni de déployer la moindre banderole. Nous n’avons même pas pu saluer nos invités, tel Hervé Kempf, qui n’a pu qu’assister impuissant au départ d’un des cars dans lequel nous nous trouvions ». Comme nombre d’autres personnes empêchées de rejoindre le rassemblement. La plupart d’entre elles ont été contrôlées par des patrouilles de policiers sur la chaussée et dans le métro, où elles étaient fermement dissuadées de descendre à la Concorde.

Selon le CFC-BAP, « nous ignorons toujours tout du sort des personnes qui auraient été embarquées avec violence dans un troisième car, près de la grande roue, vers 20h30-21h00. Nous tenons également à rendre hommage à celui d’entre nous qui s’est blessé en tentant courageusement d’échapper aux forces de police ».

Tandis que les membres du Siècle se faufilaient vers leur dîner et que des ombres aux fenêtres de « l’Auto » savouraient le spectacle. Regards entendus, allusions de bon ton... on imagine la jubilation difficilement contenue des 300 dîneurs. Pour son intronisation de présidente du club le plus huppé de l’hexagone, Nicole Notat, l’ex-syndicaliste devenue PDG (nous en reparlerons...), a été gâtée. « Je proteste contre cette lie qui nous gouverne, s’encolère Colette, peu avant de se faire embarquer. On les retrouve tous, de gauche comme de droite. Y compris l’ancien bras droit de Thibaut, je sais plus son nom (il s’agit de Jean-Christophe Le Duigou, aujourd’hui conseiller spécial du secrétaire général de la CGT) celui qui a négocié sur les retraites ! » Professeur d’histoire, à présent retraitée, Colette faisait étudier le programme du Conseil National de la Résistance à tous ses élèves de troisième (celui que Denis Kessler voudrait « défaire méthodiquement »...) .

Des flics prévenants

« C’est la première fois que je me fais embarquer, confie Jean-Charles, animateur socioculturel, et je suis un peu surpris qu’on n’ait rien fait, qu’on soit dans la légalité totale et qu’on nous ait foutu dans un panier à salade sans rien nous expliquer. Ce qu’il font en ce moment, c’est une politique de la frayeur ! » Qui vise à dissuader tout un chacun de participer à de futures manifestations. Quitte à transformer la place de la Concorde en zone militarisée. Quitte à mobiliser un dispositif policier considérable au profit d’un club privé, celui de Michel Gaudin, le préfet de police, membre du Siècle...

Pas ses flics manifestement. Ceux du commissariat dans le XIe, chargés du comité d’accueil des manifestants arrêtés, avaient sans doute reçu des consignes de modération (pas de bruit, pas de vague, pas de bavure quand dînent les oligarques). Mais cela n’explique pas tout. Le CFC-BAP souligne « la rare prévenance dont ces policiers ont fait preuve à notre égard, s’excusant presque de nous avoir arrêtés et répétant à qui voulait bien l’entendre qu’il s’agissait d’ordres venus… du préfet ».

Comme l’écrit Hervé Kempf dans son dernier livre (L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie, Seuil), « l’oligarchie, ce n’est pas la dictature. C’est le gouvernement par le petit nombre des puissants. Entre eux, ils discutent, réfléchissent, s’opposent, rivalisent. Ils font “démocratie”, mais entre eux, sans le peuple. Et quand la décision est prise, elle s’impose, même si l’on y mettra les formes en habillant avec un art consommé la procédure électorale et la discussion publique ».

« Ce qui est intéressant, explique Clément, animateur avec des enfants autistes, c’est que les gens aient une cible d’attaque pour dire : “C’est eux qui font partie des responsables à l’origine de nos malheurs, et c’est pas juste mon voisin, c’est pas juste la personne qui a un RMI un peu plus haut que le mien.” Les gens se battent entre eux pour des petites choses alors que le combat il faut le mener contre ceux qui tiennent les manettes ! »

On peut parier que les « bâfreurs du Siècle » ne vont pas retourner dans l’ombre de si tôt. Les initiateurs des rendez-vous qui les débusquent réfléchissent à d’autres modes d’action...

Dans le panier à salade, une manifestante, hilare, lançait à la cantonade : « J’aimerais bien que les Tunisiens nous envoient leur savoir faire, c’est vrai ! » À suivre.


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