EELV s’enlise en France, Ecolo prospère en Belgique. Les secrets de la réussite écolo belge

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En 1999, les écologistes faisaient leur entrée au gouvernement fédéral belge. Depuis lors, et malgré plusieurs défaites électorales cuisantes, le parti Ecolo s’est imposé comme l’un des principales forces politiques du pays. Pourquoi ce succès ? Y a-t-il une recette belge pour l’écologie politique ? EELV gagnerait-il à s’inspirer de ses camarades d’outre-Quiévrain ?
- Correspondance, Bruxelles
C’était le 13 juin 1999. Après une campagne électorale marquée par le scandale des “poulets à la dioxine” et l’évasion du prédateur sexuel Marc Dutroux, les partis socialistes et sociaux-chrétiens belges subissaient une lourde sanction des électeurs au profit des verts des partis Ecolo (francophone) et Agalev (flamand). Longtemps taxés d’extrémistes, et considérés comme marginaux et peu sérieux par le reste de la classe politique, les écologistes dépassaient subitement la barre des 20 % des suffrages.
Deux militants de la première heure, Isabelle Durant et Olivier Deleuze, ont alors été propulsés au gouvernement fédéral, devenant respectivement ministre des Transports et secrétaire d’Etat à la Mobilité, dans une coalition que la presse qualifiait alors de “gouvernement arc-en-ciel” (parce qu’il alliait libéraux, socialistes et écologistes).
C’était le début d’une nouvelle ère. Fini l’image du groupuscule extrémiste, obscurantiste et marginal. Au diable les commentateurs qui avaient ricané en 1981 lors de l’arrivée à vélo des deux premiers élus Verts au parlement. L’heure était maintenant à l’exercice du pouvoir. Le parti Ecolo allait pouvoir – ou devoir – montrer qu’il était capable de concrétiser ses idées et d’amorcer le changement au coeur des centres de décision et non plus à la marge, depuis les bancs de l’opposition.
Mais malgré le vote d’une “Loi de sortie du nucléaire” qui prévoyait le démantèlement total des centrales belges d’ici 2025, le passage d’Ecolo au gouvernement arc-en-ciel (1999-2003) n’aura pas été de tout repos. La défaite fut cuisante aux élections suivantes. Les Verts perdirent d’un coup les trois quarts des députés gagnés quatre ans plus tôt. Et si le parti a retrouvé l’exercice du pouvoir dans les majorités régionale de Wallonie et de Bruxelles en 2009, les traces de cette période restent vivace chez tous les militants qui l’ont vécu.
Aujourd’hui, Ecolo est parvenu à trouver une certaine stabilité dans le paysage politique belge. Bien que toujours dans l’opposition au niveau fédéral, quatre ministres Verts gèrent les portefeuilles de l’Energie, du Logement, de la Mobilité, de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire en Wallonie et à Bruxelles. Les élections municipales de 2012 ont porté à six le nombre de bourgmestres (maires) Verts dans le pays et un seuil de 12 % des voix est désormais considéré comme acquis pour toutes les élections.
Le parti Vert le plus puissant d’Europe, après les Grünen
A l’échelle européenne, Ecolo est sans doute le parti vert le plus institutionnalisé et le plus puissant, juste derrière les Allemands. Comment expliquer cette situation, vu de France, dans un pays où les Verts peinent à s’affirmer comme une force politique indépendante face au PS et à l’UMP ? “Il y a plusieurs raisons à cela”, explique Pascal Delwit, professeur de Sciences politiques à l’Université Libre de Bruxelles. Des raisons qui relèvent notamment de différence de culture et de système politique entre les deux pays.
La France et la Belgique ont beau être voisines, partager la même langue, et de nombreuses références culturelles communes, les deux pays sont aux antipodes l’un de l’autre lorsqu’il s’agit de politique. En Belgique, pays fédéral au mode scrutin proportionnel, les coalitions gouvernementales réunissent pas moins de six partis politiques, souvent de bord différents (il n’est pas rare de voir la gauche et la droite gouverner ensemble). Ecolo est donc libre de former des coalitions avec les partenaires de son choix, y compris à droite.
“En France, les Verts sont coincés dans un mode de scrutin majoritaire qui les oblige, de facto, à se positionner à gauche comme partenaire privilégié du PS” poursuit Pascal Delwit. “Or le Parti socialiste français est un adversaire direct des Verts pour capter l’électorat de gauche. A contrario, le Parti socialiste belge est un parti très ouvrier, dans lequel ne se reconnait pas une partie de l’électorat urbain”. Un électorat qui se reporte dès lors sur Ecolo.
Conseiller politique des Verts au parlement européen, le Français Edouard Gaudot abonde dans ce sens. “On a bien vu aux dernières législatives en France que le PS n’avait pas tenu ses engagements dans une série de circonscriptions promises aux Verts” dit-il. “Le système politique français, avec son scrutin majoritaire et son pouvoir présidentiel, est un système monarchiste d’un autre temps. Le parlement ne sert à rien, tout est décidé à l’Elysée. Avant de rêver à un parti vert de la même taille qu’Ecolo en Belgique, il faudrait d’abord réformer le système français en profondeur.”
Mais Edouard Gaudot va plus loin. Car selon lui, le système politique n’explique pas tout. “Il y a une différence de culture fondamentale entre les Français et les Belges. Il suffit d’aller faire un tour à une assemblée générale chez les Belges pour le comprendre. Quand quelqu’un parle à la tribune, on l’écoute, même si on est pas d’accord. Et s’il monopolise la parole trop longtemps, on le couvre d’applaudissement pour lui faire comprendre qu’il est temps de passer à quelqu’un d’autre. Chez nous tout le monde s’engueule. On hue les orateurs. C’est absolument pitoyable.”
Parti de ligne ou de courant
Les Verts français seraient-ils plus immatures que leurs camarades belges ? Olivier Deleuze ne le pense pas. Co-président d’Ecolo et bourgmestre de la commune bruxelloise de Watermael-Boistfort, l’homme à la légendaire moustache est l’une des figures les plus connues de l’écologie politique en Belgique puisqu’il a été le premier député vert du pays et qu’il est à l’origine de la fameuse “Loi de sortie du nucléaire” qui porte aussi son nom (loi Deleuze).

- Olivier Deleuze -
“Quand je vois mes potes français au gouvernement, je me dis qu’ils font les mêmes erreurs que nous quand on y est allé pour la première fois”, dit-il. “Entre 1999 et 2003, on s’est fait plein d’ennemis, parce qu’on s’est acharné sur des détails sans importance comme les subventions publiques au circuit de Formule 1 de Francorchamps ou le rôle de la monarchie en Belgique. Nos ministres n’étaient pas soutenus par la base du parti. Une grande partie des militants nous regardaient avec méfiance parce qu’on faisait partie du gouvernement. Aujourd’hui tout ça c’est du passé.”
Ecolo a appris de ses erreurs. “Tant pis si le gouvernement wallon continue de donner des sous à un circuit de Formule 1. Pendant ce temps là, nos ministres font du bon boulot. Et je préfère qu’on nous déteste pour toutes les éoliennes qu’on a réussi à implanter ces cinq dernières années. Ca prouve qu’on est encore un parti qui parvient à secouer le cocotier !”
Directeur d’Etopia, le “think thank” d’Ecolo, Christophe Derenne estime lui aussi que les contraintes inhérentes au système français n’expliquent pas tout. Pour lui les Verts avaient tout pour réussir. Ils n’ont aucun retard par rapport aux écolos belges et leurs difficultés à émerger sont dues à une multitudes d’erreurs personnelles, à commencer par l’organisation interne du parti.
“On l’oublie souvent, mais les Verts français ont été au pouvoir avant Ecolo” rappelle Christophe Derenne. “En 1998, je suis d’ailleurs allé à Paris avec Jean-Marc Nollet (actuel ministre du Logement, de la Recherche et de l’Energie en région wallonne NDLR) pour une visite de travail. Nous avons été reçu chez Dominique Voynet pour voir comment s’organisait un cabinet politique. C’était vraiment très intéressant pour nous à l’époque. Les Verts français ont l’expérience politique. Ils ont les personnes qu’il faut pour développer le parti. Ils ont tous les intellectuels, alors que nous, nous n’en avons pas. Pourtant, ils sont incapables de se servir de tous ces atouts. C’est un véritable gâchis !”

- Rencontres d’Etopia en août 2013 -
Soucieux de professionaliser sa structure et d’éviter de répéter les échecs de 2003, Ecolo créée Etopia en 2004. Les Verts allemands ont eux-aussi créé depuis longtemps une structure de réflexion analogue. En France, les Verts n’ont jamais réussi à concrétiser pareil projet.
“Quelques années après sa création, Ecolo a fait le choix de s’organiser en “parti de ligne” et d’éliminer les différents courants qui s’opposaient en son sein” explique encore Christophe Derenne. “Tout le monde peut s’exprimer dans les instances internes, la ligne politique peut évoluer, mais il n’y a qu’une seule ligne. En France, les Verts n’ont pas fait ce choix. EELV est une fédération, une sorte de multitudes de petits partis, et lorsqu’on compose des listes, on fait attention à respecter les différents courants internes. C’est intenable !”
Loin de vouloir donner des leçons à leurs voisins, les Ecolo belges se félicitent d’avoir réussi à placer leur parti dans le club dit des “partis traditionnels” en Belgique, en parvenant à convaincre plus de 10% des électeurs que le vote Vert est un vote “utile” et non pas un vote de “luxe” ou de “protestation”. A quelques jours de leur congrès à Caen, le 30 novembre, les Verts y trouveront peut-être une source d’inspiration.