Grands projets : la « démocratie participative » est passée aux oubliettes

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Grands projets inutiles LibertésAprès la mort de Rémi Fraisse, François Hollande lançait un « chantier sur la démocratie participative », afin que de tels drames ne se reproduisent plus. Un an plus tard, le bilan est amer.
Ben Lefetey feuillette Le Chasseur français. Le porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet soupire. Mélange de colère et de déception. Il lit à voix haute : « Je n’admets pas qu’au nom de la nature, on empêche un certain nombre d’installations, dès lors qu’[elles] ont été prises dans le respect du droit et de l’intérêt général. » Ces mots ne sont pas de lui, mais de François Hollande. Quelques mots lâchés au milieu d’une longue interview parue cette semaine dans le magazine de chasse.
Un an après la mort de Rémi Fraisse, un an après l’engagement du Président « d’améliorer la démocratie participative », les opposants aux grands projets inutiles se sentent désabusés et trahis. Le 27 novembre 2014, afin d’éviter un nouveau « drame national », François Hollande s’engageait à mieux prendre en compte la parole citoyenne : « Tout doit être fait pour que sur chaque grand projet, tous les points de vue soient considérés (...) et que l’intérêt général puisse être dégagé. » Mais mercredi 28 octobre, associations et collectifs venus du Tarn, d’Ivry, de Chartres ou de Notre-Dame des Landes organisaient une conférence de presse pour crier leur colère. « D’un côté, le gouvernement nous parle de dialogue environnemental, et de l’autre il multiplie les signes oranges et nous considère avec mépris », déplore Ben Lefetey.

A ses côtés, bouillonnant, Benoît Hartmann, de France Nature Environnement, égraine les exemples : « Des projets de LGV (lignes à grande vitesse) sont engagés contre l’avis de la Cour des comptes, des bouquetins sont abattus contre l’avis du Conseil national de protection de la nature, Emmanuel Macron autorise l’extraction des sables coquillers en baie de Lannion contre l’avis des collectivités locales... où est la démocratie ? »
Pourtant, après trois mois de réflexion, le « chantier de la démocratie participative » avait abouti en juin dernier à un rapport intitulé Débattre et décider, remis par le sénateur socialiste Alain Richard à Ségolène Royal. Les rapporteurs concluaient à l’importance d’une concertation en amont des projets, à l’intérêt d’une étude approfondie de scénarios alternatifs, et à l’indépendance nécessaire de ceux qui prennent les décisions, en proposant une batterie de réformes. Parmi les principaux points, « la faculté d’organiser une participation amont déclenchée par le porteur de projet, par le préfet ou par un panel de conseils communaux, de citoyens ou d’associations environnementales. »
Mais depuis.... ? « Rien. Au lieu d’un sursaut démocratique, on assiste à une régression », constate Stéphen Kerckhove, d’Agir pour l’environnement. Rien dans la loi de transition énergétique, rien pour le moment dans la loi biodiversité.

« Le gouvernement n’enterre pas le texte, il travaille dessus », réagit Alain Richard, interrogé par Reporterre. D’après lui, les cabinets ministériels planchent depuis plus de quatre mois sur des ordonnances permettant notamment de rendre la concertation en amont obligatoire pour les projets recevant des financements publics. Depuis la loi Macron, le pouvoir exécutif peut en effet réformer le droit de l’environnement par ordonnance, sans passer par le Parlement. « Certains sujets ne sont pas encore tranchés, mais on aura un texte d’ici la fin de l’année », promet-il.
Cela suffira-t-il à apaiser les tensions ? Au téléphone, Arnaud Gossement ne cache pas son scepticisme. Pour l’avocat en droit de l’environnement, les textes à venir ne seront que « des rustines, des gages donnés aux associations environnementales à la veille de la COP 21. » Lui espérait une réflexion sur le dialogue environnemental, afin « non pas de faire plus de concertation, car il existe déjà nombre de procédures, mais de la faire mieux. » Il se dit par avance déçu du résultat de ce chantier présidentiel : « Ce n’est pas avec trois mois de commission et quelques ordonnances qu’on va résoudre le problème de la démocratie participative », résume-t-il.
« Si le gouvernement décide de passer outre, il y aura de nouveaux conflits »
Mais tandis que le gouvernement tergiverse sur une réforme du droit de l’environnement, la situation dans les territoires ne s’améliore pas. Si le projet initial de barrage de Sivens semble abandonné, les occupations continuent à Agen, à Roybon ou bien sûr à Notre-Dame des Landes.
Joël Bosc représente les opposants à l’aéroport au sein de la coordination nationale contre les projets inutiles. Il décrit une situation de statu-quo tendue, où zadistes et paysans locaux continuent d’inventer l’avenir malgré la crainte d’une intervention des forces de l’ordre. Mi-octobre, Manuel Valls déclarait ainsi que l’État ne céderait pas aux « intimidations d’une minorité d’individus ultraviolents. » Face aux propos « inconscients » du Premier ministre, face à la « duplicité des pouvoirs publics », dur de rester serein. Joël Bosc dit craindre ainsi de nouvelles flambées de violence : « A force de souffler sur les braises, Valls va provoquer de nouveaux conflits. »
Un avis partagé par Benoît Hartmann, qui voit là une « stratégie politicienne », une « provocation » : « Il nous ’pousse au crime’, car si nos mouvements cèdent à la violence, nous serons décrédibilisés aux yeux de l’opinion publique. » Alors que faire ? « La balle est dans le camp de l’État », estime Ben Lefetey. « Si le gouvernement continue de passer outre la démocratie participative, si les violences policières ne s’arrêtent pas sur le terrain, si les instituions nous méprisent encore, bien sûr qu’on aura de nouveaux conflits. »
« Ce que nous demandons, c’est le respect de la parole tenue, la cohérence », dit Stéphen Kerckhove. « Notre démocratie malade a urgemment besoin d’un nouveau souffle citoyen. »