Jacques Ellul, l’espérance d’abord
Extrait de l’introduction du livre :
« Pris pour un théologien par le grand public, Jacques Ellul se défend pourtant d’en être un. Mais je me garderai bien de donner tort à ses lecteurs. Il nous rappelle s’il en est besoin, que la théologie n’a pas pour but de cloîtrer l’intelligence ni de s’offrir au luxe du croyant un jour sur sept, mais qu’elle concerne la pratique quotidienne d’une foi qui doit engager tout homme et tout l’homme. Et l’engage autant dans le monde qu’envers Dieu. » Voici ce qu’écrivait Gabriel Vahanian dans un article rédigé en 1983.
Pas théologien, Jacques Ellul ne fut pas plus - du point de vue universitaire - un sociologue. Et détestait qu’on le prenne pour un philosophe. De profession, c’est un juriste, spécialiste d’une matière à première vue coupée des réalités actuelles : le droit romain. Pourtant, peu d’auteurs français auront analysé de manière aussi pertinente que lui la société d’aujourd’hui. Et peu d’auteurs français auront autant écrit sur la théologie.
Alors, comment définir Jacques Ellul ? Quel lien entre la pensée théologique de ce "non-théologien" et la pensée sociologique de ce "non-sociologue" ? Dans une lettre citée par Jean-François Zorn, Jacques Ellul écrit avoir conçu son oeuvre depuis 1936 comme le rapport « dialogual, dialectique entre le constat du réel sociologique et la contestation théologique de ce constat, étant certain que c’est dans le jeu de ces facteurs que l’homme peut avoir une issue ».
Ellul veut faire exploser les cadres qui font penser sur un mode automatique. Réactionnaire pour les uns, libertaire ou écologiste pour d’autres - preuve que l’écologie est conservatrice pour certains - il est d’abord un inclassable, impossible à maîtriser. Un iconoclaste, toujours prêt à une charge contre ce qu’il perçoit à ce moment-là comme un conformisme intellectuel. Ellul ne brouille-t-il pas les pistes pour nous inviter à en ouvrir de nouvelles, et surtout ouvrir des pistes qui soient les nôtres ?
Car Jacques Ellul invite chacun à l’action. Cela peut paraître paradoxal. Décrire comme il le fait un monde écrasé par la puissance de la technique invite-t-il à l’action ? Le Dieu Tout-Autre qu’il défend en bon disciple de Karl Barth n’est-il pas trop éloigné pour nous soutenir ?
Pour Ellul, c’est tout le contraire. Fermer toutes les issues empêche l’humain de s’en remettre à l’espoir que d’autres agissent à sa place, que les choses s’arrangent, que des solutions techniques nous évitent d’agir et de choisir : chacun est dos au mur, agir est de sa responsabilité personnelle devant Dieu et devant les hommes. Dans le même temps, insister sur l’altérité de Dieu par rapport à ce monde, c’est enlever aux Puissances qui nous menacent - la technique, l’argent... - tout pouvoir divin, les faire tomber de leur piédestal d’idole. Il n’y a que nous pour agir, que nous pour appeler Dieu à la rescousse, face à des puissances qui ne le sont que parce que nous leur accordons de l’être. Cette pensée paradoxale, cette désacralisation du monde remet dans les mains de l’humain sa vie, devant Dieu. Là est le coeur du raisonnement d’Ellul.
Quand lui-même l’oublie - qu’il sacralise le mariage ou démonise l’Islam - il tombe dans des positions réactionnaires qui le font se trahir. Cet ouvrage vous invite à découvrir sa pensée dans sa dimension dialoguale, dialectique entre le sociologique et le théologique, le factuel et le biblique. Si Ellul est un prophète, ce n’est pas tant qu’il avait imaginé avant les autres bien des évolutions actuelles, mais qu’il interpelle chacun, qu’il met chacun devant ses responsabilités pour agir maintenant, comme le faisaient les prophètes de l’Ancien Testament. Sa pensée est débordante d’insoumission, c’est un appel à l’insoumission lancé à chacun.
Biographie de l’auteur
Pasteur de l’Eglise réformée de France à la Mission populaire
évangélique de La Maison Verte (Paris 18e), paroisse et
maison de quartier, lieu d’expérimentation solidaire et
écologique, Stéphane Lavignotte est auteur d’ouvrages sur les
styles de vie minoritaires (le dernier paru : La décroissance est-
elle souhaitable 1 ; il est à l’origine du réseau "Bible et
création" et membre de la coordination du Christianisme
social. Il travaille sur les pensées de Jacques Ellul, Paul
Ricoeur ...
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Stéphane Lavignotte, Jacques Ellul, l’espérance d’abord (éd. L’Olivetan, 96 p., 14,50 €).