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L’abus de neige artificielle fait souffrir l’écosystème alpin

Du fait de la sécheresse dans le nord des Alpes, les stations de ski ont massivement recours à la neige artificielle. Cela conduit à une importante consommation d’eau, alors que lacs et rivières sont à un bon niveau. D’où de graves conséquences écologiques.


Le 22 février 2011,

A l’attention de : Monsieur le Préfet Coordonnateur du Massif des Alpes
Préfecture de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et des Bouches-du-Rhône, Marseille.

Monsieur le Préfet,

La sécheresse sévit actuellement sur une large moitié Nord des Alpes. Cette anomalie liée à des précipitations très faibles depuis deux mois, s’est amplifiée par des périodes de douceur printanière, entrecoupées de périodes de froid saisonnier.

La situation est très délicate pour l’activité économique liée au ski, notamment en ce mois de février particulièrement crucial pour les stations. Afin de pallier ces aléas climatiques, celles-ci ont massivement recours à l’usage de neige artificielle. La presse locale se fait d’ailleurs l’écho des gestionnaires de stations qui se félicitent de produire d’énormes quantités de neige artificielle (420.000 m3 à Villard-de-Lans en Isère par exemple) et assurent que, grâce aux canons à neige, il est possible de skier normalement.

Mais cet optimisme ne doit pas cacher certains problèmes. En effet, la production de neige artificielle exige de grandes quantité d’eau (55 % de cette eau provient des retenues d’altitude, 30 % des cours d’eau, et 15% du réseau d’eau potable). Or, nous avons été alertés du niveau très
bas de ces retenues dans les massifs des Alpes du Nord. Nous savons également que pour sauver la saison de ski, les stations continueront à produire sans relâche de la neige. Il faudra donc bientôt remplir ces retenues... C’est le cas, par exemple, de La Clusaz en Haute-Savoie
qui ne possède que 8000 m3 d’eau dans ses retenues sur les 200 000 m3 prélevés au total. Le directeur des remontées mécaniques avoue avoir dépassé les objectifs de production et avoir eu recours à un remplissage en janvier, en accord avec la préfecture…

Si la situation semble difficile pour les domaines skiables, elle l’est encore plus pour la faune et la flore de montagne. L’hiver correspond à la période de l’année où le débit d’un cours d’eau atteint son point le plus bas. Et c’est à ce moment critique que d’importantes quantités d’eau sont prélevées dans le milieu naturel au risque de provoquer une prise en glace des cours d’eau, malgré l’obligation réglementaire de respecter un débit minimum, dit débit réservé. En effet, l’hiver en montagne, ces seuils, censés garantir la survie des espèces, peuvent ne pas être suffisants
pour empêcher le gel complet du cours d’eau, gel catastrophique pour la vie.

Les inquiétudes soulevées dans ce courrier ne sont pas nouvelles. Depuis de nombreuses années, nos associations tirent le signal d’alarme pour dénoncer l’utilisation démesurée de la neige artificielle. Apparue dans les années 80, cette technique qui devait être une solution de secours, est devenue aujourd’hui un argument commercial. Les investissements dans la
production de neige sont en croissance continue depuis plus de 5 ans.
L’utilisation de neige artificielle s’accompagne de travaux de terrassements des pistes ayant un impact lourd sur le paysage. La consommation énergétique n’est pas négligeable non plus puisque
chaque hectare enneigé correspond à l’émission de 8 tonnes de CO2.

L’impact sur la ressource en eau est plus difficile à appréhender. On sait que près de 20 millions de m3 d’eau sont consommés tous les ans et ce volume s’accroit au rythme de 1 million de m3 supplémentaire chaque hiver.

Mais ces chiffres ne sont qu’estimations basses : les experts reconnaissent que le suivi et le contrôle des volumes prélevés sont déficients, et les volumes fournis par les réseaux d’eau potable inconnus. Il faut encore ajouter les pertes par évaporation et suintement, parfois estimées entre 10 et 30 %. Ces prélèvements d’eau ne se font que sur quelques mois de l’année, justement quand la montagne en manque… La création de grandes retenues d’altitude captant en partie les eaux abondantes de printemps pour en reporter l’utilisation l’hiver pourraient apparaître comme une solution… mais ce serait oublier leur impact très important sur le milieu naturel, leur création amenant bien souvent la destruction de milieux naturels remarquables et d’ailleurs protégés comme les zones humides.

Le Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD), qui a rendu un rapport sur la neige artificielle en juin 2009, souligne clairement le manque de transparence dans l’utilisation de l’eau dans la neige artificielle. Ce rapport qui analyse les impacts environnementaux de la neige artificielle, précise les enjeux
socio-économiques du tourisme de montagne qui en constituent le contexte et adresse quinze recommandations à l’attention des pouvoirs publics et des exploitants. Ces recommandations portent notamment sur l’amélioration de la collecte de données sur les prélèvements d’eau, sur la
sécurité des retenues d’altitude, sur la mise en cohérence de l’application des réglementations, sur la réalisation d’un guide d’expertise technique et économique de la neige artificielle et sur la mise en place, avec le Conseil national de la montagne, d’une réflexion stratégique sur la place de la
neige artificielle dans l’avenir d’un tourisme de montagne réellement durable.

Confortant les critiques faites de longue date par nos associations, les auteurs mettent en exerguele manque de données fiables sur les impacts environnementaux des équipements existants,notamment en ce qui concerne les prélèvements d’eau : « Ni les services de police de l’eau, ni
les agences de l’eau ne disposent d’informations suffisantes sur les prélèvements dans la ressource alimentant les enneigeurs ou sur les volumes fournis par les réseaux de distribution d’eau potable. » Les seules données portent sur l’aval - l’eau transformée en neige - et non l’amont – les prélèvements sur la ressource ou la fourniture des réseaux d’eau potable. La mission souligne que « les prélèvements peuvent modifier fortement le bilan ressource/usages en eau et devenir très sensibles localement et en période de pointe hivernale. » Voici exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons en ce mois de février 2011.
Le rapport demande aussi, ce qui constitue une autre de nos revendications, une instruction unique des dossiers et la prise en compte du volet « neige artificielle » dans l’évaluation environnementale des dossiers de demande d’autorisation d’Unités touristiques nouvelles
(UTN).

Enfin, les commissaires du CGEDD estiment qu’il est l’heure de faire le bilan, et de re-dynamiser collectivement les travaux en cours sur la mutation indispensable du modèle actuel. Nous pensons également qu’une autre logique de développement est à trouver, en réponse au changement
climatique annoncé y compris dans les Alpes (En 50 ans Météo France enregistre une augmentation de la température de +2°C et une bais se de l’enneigement de 40%).

Les hivers doux ne sont malheureusement plus exceptionnels, et l’utilisation de neige artificielle de plus en plus systématique. Cela impose un contrôle strict des prélèvements, tout
particulièrement dans des périodes de tension sur l’alimentation en eau qui sont propices aux abus.

Aussi, nous vous demandons de vérifier que des contrôles sont bien effectués par des agents dument commissionnés et assermentés et le cas échéant de diligenter les contrôles requis. Nous attirons votre attention sur le fait que, en matière de respect des débits réservés, le respect des prescriptions concernant les ouvrages existants conditionne l’attitude des tiers face à toutes nouvelles pressions sur le milieu naturel, surtout lorsqu’il
s’agit d’équipement de loisirs voire de simple confort. Nous vous demandons ainsi la mise en place d’un outil de gestion et de contrôle rigoureux de la ressource en eau sur les domaines skiables afin que les activités économiques et touristiques soient compatibles
avec le respect des écosystèmes.

Enfin nous pensons que, sauf à y mobiliser des moyens disproportionnés ou même simplement incompatibles avec le niveau actuel de nos finances publiques, l’État ne peut espérer faire respecter les lois qu’en montrant sa détermination sur des exemples dont la sécheresse actuelle pourrait donner l’occasion.

Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’accepter, Monsieur le Préfet, notre respectueuse considération.


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