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L’économie du Brésil est orientée vers la destruction de la forêt

Le Brésil est redevenu en l’espace de quatre ans un producteur et un exportateur de produits primaires. Et la poussée agricole continue à se faire au détriment de la forêt.


Le Brésil exporte de plus en plus de matières premières agricoles. Le soja et la viande bovine en particulier, mais aussi le maïs, le riz, le sucre… représentent aujourd’hui la moitié du volume des exportations. Cette augmentation des exportations primaires constitue à la fois une fragilisation économique et une menace pour la forêt amazonienne, comme le souligne un géographe de l’IRD et ses partenaires brésiliens (1). De fait, ces produits agricoles sont responsables de la majeure partie des défrichements. 750 000 km² de forêt ont disparu à ce jour au Brésil, dont 80 % ont été transformés en pâturages destinés à l’élevage bovin. Récemment, l’expansion des monocultures notamment de soja, repoussant les troupeaux encore plus loin dans les zones de forêt, est venue accélérer le phénomène de déboisement.

Ces travaux pointent du doigt les dangers d’une croissance basée sur les exportations primaires, alléchante mais non durable.

Depuis quelques années au Brésil, le volume des exportations de matières premières agricoles ne cesse de croître. Soja, viande bovine, sucre… représentent aujourd’hui plus de 50 % des produits destinés au commerce extérieur. Depuis les années 1990 et jusqu’à récemment, la part de ces marchandises dans les exportations brésiliennes oscillait autour de 40 %. Entre 2007 et 2010, cette proportion a subitement augmenté, pour atteindre la moitié du volume total, au détriment des produits manufacturés à valeur ajoutée, tels que l’automobile ou les matériels et équipements.

Une croissance « à tout prix »

Face à la pression des fazendas, des grands domaines d’élevage, et de l’agrobusiness, la forêt brésilienne ne cesse de reculer.
La crise économique mondiale de 2008, la montée du real – la monnaie brésilienne – face au dollar, ainsi que la concurrence de la Chine, ont entraîné une perte de compétitivité des produits à haute et moyenne intensité technologique sur le marché mondial. A contrario, la forte demande mondiale et les conditions naturelles avantageuses du Brésil ont contribué à renforcer ses exportations de produits primaires. Le Brésil, s’il reste un pays industrialisé, est ainsi redevenu en l’espace de quatre ans un producteur et un exportateur de produits primaires.

Une économie est dite « primarisée » lorsque la part de ses exportations de matières premières dans le volume total des exportations du pays est prédominante. Si elle est la voie la plus courte pour augmenter les revenus nationaux, la primarisation de l’économie nationale est au final limitante en termes de développement économique. De fait, elle expose le Brésil à la volatilité du cours des matières premières. Elle peut entraîner un déficit commercial sur les produits manufacturés et nuit au secteur industriel national. Enfin, elle signifie une stagnation du nombre d’emplois qualifiés et de l’intégration sociale.

L’élevage piétine la forêt

Sur un plan environnemental, ce phénomène a également un impact négatif. Comme le soulignent les travaux d’un géographe de l’IRD et de ses partenaires (1), l’augmentation des exportations primaires est inquiétante pour la préservation de la forêt amazonienne. De fait, la plus grande partie des défrichements est due aux produits agricoles. A ce jour, 750 000 km² de forêt ont disparu au Brésil – sur un peu plus de 3 millions – dont 80% ont été transformés en pâturages destinés à l’élevage bovin, grand consommateur d’espace. Le pays possède désormais le plus grand cheptel commercial de la planète et s’élève au rang de premier exportateur mondial de viande de bœuf, principalement à destination de l’Europe et de la Chine.

Les trois quarts de ces espaces agricoles sont des fazendas , de vastes domaines appartenant à de grands propriétaires terriens. Ces puissants entrepreneurs exercent de fortes pressions sur les pouvoirs publics pour obtenir toujours plus d’espace. Ils s’approprient ainsi massivement des terres publiques, sachant aussi parfois user de moyens illégaux. Le reste des déboisements est le fait d’une agriculture familiale, alimentée par une croissance démographique rurale encore forte. Des centaines de milliers de familles, parfois encouragées par l’Etat, ont d’ores et déjà obtenu des lots de forêt à défricher. La grande majorité de ces agriculteurs familiaux s’est également convertie à l’élevage extensif de bovins.

La poussée de l’agrobusiness

Plus récemment encore, en réponse à la forte demande mondiale, l’expansion de monocultures mécanisées de soja, de riz et de maïs est venue à son tour empiéter sur la forêt, par un effet domino. De fait, le soja s’étend principalement aux dépens des pâturages, repoussant les troupeaux vers les zones de forêt. Le Brésil est devenu le second exportateur mondial de soja, essentiellement destiné, comme le maïs, à la consommation animale européenne et chinoise.

Il revient moins cher de défricher la forêt pour y implanter ce type d’activités agricoles extensives que d’investir dans l’intensification des cultures. Les exploitants peuvent alors vendre les arbres abattus, le bois demeurant un marché lucratif. Si les mesures de contrôle prises au début des années 2000 par le gouvernement ont réduit les défrichements de 20 000 km² par an en moyenne à seulement 6 000 km² en 2010, l’ombre d’une reprise de la demande mondiale plane toujours.

Ces travaux pointent du doigt les dangers d’une croissance basée sur les exportations primaires : non durable, celle-ci continue de mettre en péril la forêt. Alerté, le gouvernement brésilien s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (2), qui proviennent en grande partie de la déforestation. La conscience écologique et le souci de développement économique pérenne auront-ils raison de la pression de la demande mondiale ?

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Notes :

(1) Ces travaux ont été réalisés en partenariat avec le Laboratoire de Gestion du Territoire (LAGET) de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro et l’Institut National d’Etudes Spatiales (INPE) dans le cadre du Réseau thématique de recherches en modélisation environnementale en Amazonie GEOMA.

(2) Seuls l’Europe, les Etats-Unis, le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Russie et l’Australie sont dans l’obligation de réduire leurs émissions, sous peine de sanctions, au titre du protocole de Kyoto.

Référence de l’étude : Lena, Philippe, "De l’économie prédatrice au post-développement en Amazonie", in F. Gaudez (Dir.), Technoscience et altérité , 2011 (sous presse), Paris, L’Harmattan.


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