« L’économie verte en trente questions »

Il faut remettre au coeur de notre logiciel intellectuel la question des ressources
Philippe Frémeaux
Le terme d’économie verte est aujourd’hui utilisé à toutes les sauces. Il sert tout d’abord à désigner les activités qui diminuent ou réparent les atteintes à l’environnement. Dans cette acception, l’économie verte se réduit à ce compartiment de l’économie dont l’expansion est portée par les politiques environnementales actuelles.
C’est ainsi qu’on peut entendre nos ministres se féliciter de la multiplication des emplois verts, sachant qu’en pratique, ceux-ci sont d’autant plus nombreux qu’on produit plus de déchets, et qu’on gagne plus d’argent à les ramasser et à les trier.
Le terme économie verte est également largement utilisé pour vanter des innovations techniques qui se présentent comme bonnes pour l’environnement mais qui sont d’abord des moyens de continuer à produire et consommer comme avant. Certes, progrès technique et innovation devraient nous permettre de produire demain en utilisant moins de ressources et d’énergie.
En revanche, il n’est pas sérieux d’imaginer que la possession par tous d’une voiture électrique roulant à l’électricité nucléaire soit la solution à la demande de mobilité des 9 milliards de personnes que comptera demain notre petite planète !
De manière plus systémique, enfin, la notion d’économie verte est présentée comme le moyen de réconcilier l’écologie et l’économie. Les investissements que supposerait sa mise en œuvre seraient ainsi le moyen de relancer la croissance. Et il faut bien avouer que celle-ci n’est jamais aussi désirable que lorsqu’elle a disparu, comme c’est le cas aujourd’hui en Europe.
De fait, à mesurer les risques politiques liés à l’approfondissement de la crise de la zone euro, on ne peut que souhaiter que soient dégagées rapidement les voies d’une sortie de l’austérité sur notre continent.
Mais est-il pour autant raisonnable de laisser croire, face au défi du chômage, qu’on pourrait concilier une croissance indéfinie de l’économie et une économie réellement verte, c’est-à-dire soutenable ? La réponse est non.
Au cours des dernières décennies, grâce à la montée des services et à l’optimisation des procédés industriels, la consommation de ressources entrainée par la création d’une unité de Pib [produit intérieur brut] supplémentaire a plutôt diminué. Mais la corrélation demeure positive entre la croissance de l’activité – telle qu’elle est définie aujourd’hui – et celle de l’utilisation des ressources.
C’est pourquoi, afin d’éviter le pire pour demain, il nous faut rapidement s’engager sur le chemin d’une véritable économie verte, afin d’accroître la résilience de l’économie, et au-delà de notre société. Concrètement, il nous faut :
- Penser l’économie autrement pour remettre au cœur de notre logiciel intellectuel la question des ressources. La conception de l’économie qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui valorise essentiellement les flux et l’accumulation de richesse monétaire, sans se préoccuper des conséquences environnementales de l’activité économique. Il nous faut désormais adopter une vision substantielle de l’économie, pour reprendre les termes de Karl Polanyi.
- Sortir de la dictature du Pib et lui adjoindre des indicateurs qui mesurent concrètement comment l’activité économique assure le bien-être de chacun, comment sont satisfaits nos besoins fondamentaux et avec quelles conséquences sur l’environnement.
Plus concrètement, cela signifie :
- Promouvoir une alimentation et une agriculture réellement durable au bénéfice de tous,
- Agir pour réduire radicalement notre dépendance aux énergies fossiles et nucléaire, en modifiant nos villes et nos modes de déplacement, afin de ralentir le réchauffement climatique.
- Imposer un recyclage généralisé et allonger la durée de vie des produits afin de privilégier systématiquement la préservation des ressources et non le gaspillage afin de se rapprocher d’une économie circulaire,
- promouvoir l’usage plutôt que la possession des biens durables afin d’en limiter la production,
- privilégier la production des biens et services qui prennent d’autant plus de valeur quand tout le monde en bénéficie - l’éducation par exemple - et taxer les biens statutaires dont la seule fonction est d’affirmer sa supériorité à l’égard de ses semblables,
- décentraliser la production autant que faire se peut, en privilégiant les circuits courts,
- étendre la démocratie à tous les niveaux afin de civiliser l’économie sans renoncer à vivre dans une société ouverte…
Autant dire qu’aller vers une vraie économie verte, c’est-à-dire propre à satisfaire les besoins de toute l’humanité sans détruire les bases naturelles de la vie, suppose des transformations bien plus profondes de nos modes de production et de consommation que ce qui nous est généralement proposé aujourd’hui. Des transformations qui loin de nous faire vivre moins bien, pourrait au contraire nous permettre de vivre mieux si nous prenons les bonnes décisions.
C’est ce que veut démontrer le hors série poche « L’économie verte en trente questions » que vient de publier Alternatives Economiques, en expliquant qu’une véritable économie verte est non seulement nécessaire, mais possible et souhaitable !
Hors série poche « L’économie verte en trente questions »
