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La gauche du PS veut une « relance écologique et sociale »

Le « parti socialiste » bougerait-il sur sa gauche ? Celle-ci voudrait une « relance écologique et sociale ». Mais le mot « écologique » parait plus un alibi qu’autre chose : le texte montre que la Croissance reste l’obsession de cette gauche.


METTRE EN ŒUVRE UN PLAN DE RELANCE ECOLOGIQUE ET SOCIAL POUR LA FRANCE ET POUR L’EUROPE

Les gardiens du cercle de la raison s’étaient réjouis trop tôt. La stabilisation des marchés financiers à l’été 2012 n’a pas mis fin à la crise mais seulement fait temporairement baisser la fièvre. Elle continue de se développer et vient de franchir une nouvelle étape. Après le krach financier en 2008, puis la crise économique et sociale, voici venu le temps de la crise politique. Il fallait réellement vivre loin de la réalité, les yeux rivés sur les indices boursiers, pour ignorer que rien n’était réglé et que le pire restait à venir. Le plus étonnant réside dans le fait que la plupart des commentateurs et des décideurs n’ont pas pris la mesure de cette crise, 5 ans après son déclenchement, et semblent surpris que le mal continue de courir et de s’étendre.

Le résultat est que la crise financière menace déjà à nouveau, la croissance atone n’apportant pas de recettes budgétaires suffisantes et les peuples commençant à rejeter les mesures de rigueur financières, dont certaines frisent la spoliation. « Vous avez voulu éviter l’instabilité financière au prix de la stagnation économique. Vous avez la stagnation et vous aurez l’instabilité ! » aurait pu dire Churchill en cette période qui ressemble à un Munich économique et social au profit des marchés.

Dans une situation comparable, pendant la Grande Dépression des années 30, le Président des Etats-Unis, F.-D. Roosevelt, en s’affranchissant des dogmes libéraux pour mettre en œuvre le « New Deal », a sans doute sauvé la démocratie. Régulation draconienne des établissements et des marchés financiers, pour mettre un terme à la spéculation, à l’instabilité et pour financer la reprise1, dévaluation du dollar (de plus de 40%) et protection du marché intérieur (mise en œuvre du « Buy American Act » de 1933), réorganisation à la fois dirigiste et concertée de pans entiers de l’économie pouvant passer par un soutien des prix et par des accords de coopération, plan de relance massif fondé sur l’investissement et l’emploi au travers d’un programme de grands travaux, au service des besoins sociaux et écologiques et non de la seule demande solvable, défense résolue des salariés et des syndicats, création de la sécurité sociale américaine (1935) : autant de remises en cause de l’idéologie dominante tenant pour sacrés la concurrence, le libre-échange et l’absence d’intervention de l’État dans la fixation des prix et des salaires, l’initiative privée et le caractère purement contractuel des relations sociales, la minimisation des impôts et des dépenses publiques, l’équilibre budgétaire.

Un des principaux enseignements de cette expérience est qu’il fallut à Roosevelt mener une lutte acharnée pour triompher de cette pensée libérale. Contre les media, contrôlés par le « Big business », contre le droit existant et les juristes, en particulier de la Cour suprême, mais aussi contre lui-même. Initialement partisan de l’orthodoxie financière (il fit campagne en dénonçant les déficits budgétaires laissés par le Président Hoover), Roosevelt ne s’engagea réellement en faveur d’une augmentation des dépenses publiques qu’en lançant un second « New Deal », en 1935, après les résultats insuffisants du premier.

En 2013, nous sommes entravés par la même idéologie et les mêmes oppositions, y compris à l’intérieur de nous-mêmes en quelque sorte, tant nous demeurons dominés par un « surmoi libéral » qui remonte aux années 80 et à la première expérience de la gauche au pouvoir sous la Ve République. « Situation intenable, solutions impraticables » affirme le diagnostic général. C’est la tâche historique de la gauche, en ce début de XXIe siècle, de sortir la France et l’Europe de cette impasse, de trouver une autre voie pour la construction européenne que celle de l’ « ordo-libéralisme » allemand ou de l’économie (en rien) sociale du (tout) marché, qui se transforme en camisole de force pour les peuples. Pour cela, elle doit rompre avec une hiérarchie de priorités et une stratégie elle aussi héritées des années 80 (la désinflation compétitive), qui apparaissent avec le recul tout bonnement suicidaires, au sens propre comme figuré, comme l’ont montré le désastre électoral de 1993 et la fin tragique de Pierre Bérégovoy.

Il ne suffit pas d’attendre en apurant les finances publiques, sous l’œil toujours critique des marchés financiers, que la croissance veuille bien revenir, tels les Bretons du Moyen-Âge attendant le retour du roi Arthur. Il ne suffit pas de lui fixer rendez-vous à un horizon plus ou moins reculé ; il faut aller la chercher. La situation actuelle ne peut que s’enliser voire s’aggraver si la France ne prend pas les devants, comme elle le peut et comme elle le doit.

On ne peut pas non plus tout miser sur la compétitivité, dont l’amélioration ne produirait ses effets que sur la demande externe. Or, chaque pays européen s’étant lancé dans une stratégie similaire, les gains de chacun se font nécessairement au détriment du collectif, chaque excédent commercial produisant mécaniquement un déficit dans un autre pays. A force de comprimer les salaires et d’attaquer les conditions de travail, cette politique néo- mercantiliste ne produit que le dumping social et fiscal et ne conduit qu’à la régression de tous. L’Europe de la compétitivité généralisée ne peut être celle de la coopération et du progrès. Car il faut le rappeler : si l’Union est le premier ensemble commercial au monde et si la zone euro a une balance commerciale équilibrée c’est bien parce que la performance économique ne se réduit pas à la seule « compétitivité-coût ». C’est au contraire à l’aune de paramètres autrement plus subtils, notamment dans une économie développée comme la nôtre que se mesure son attractivité. A la compétitivité par la déflation salariale, nous opposons l’élargissement de l’offre productive, l’amélioration de la qualité et la ré-industrialisation par l’investissement

Lorsqu’on interroge les investisseurs étrangers en France - 20 000 sociétés étrangères sont implantées dans notre pays, où elles emploient deux millions de travailleurs (ce qui n’est pas mal pour un pays qui ferait fuir les « créateurs de richesse »4 ), ils indiquent qu’ils choisissent la France d’abord pour la qualité de la main d’œuvre5, de ses services et infrastructures publics : agir pour notre performance économique, c’est agir d’abord sur nos capacités productives (montée en gamme, transition écologique, utilité sociale) et sur nos infrastructures ; l’investissement dans l’éducation, la formation, la recherche, étant autant de leviers pour une stratégie de croissance à moyen et long terme.

Mais cet effort resterait vain si, dès à présent, faute de consommation, bon nombre d’entreprises n’avaient pas de carnets de commande remplis, si faute de « planification » les industriels n’avaient aucune vision de l’avenir, et si faute d’anticipation ils n’étaient pas au rendez-vous d’une reprise française et internationale.
Aussi nous proposons un tournant de la relance fondé sur 3 piliers :

-  La relance de la consommation populaire : des mesures immédiates pour une reprise à court terme,

-  La relance par des investissements publics et des grands projets mobilisateurs soutenant la ré-industrialisation, pour un redressement à moyen terme

-  Une réforme fiscale fondatrice, garante d’une croissance à long terme ;

Choisir cette voie constituerait évidemment un acte politique majeur en Europe.
Prendre le tournant de la relance, c’est lancer un mouvement qui permettra à l’Europe de ne plus être l’ « homme malade », regardé avec commisération par les autres continents, de la croissance mondiale.

L’importance donnée à la relance de la consommation est justifiée au plan économique, de par la rapidité et la puissance de ses effets sur la production nationale, à rebours de certains

Dans cette perspective, nous nous proposons d’examiner ici un plan de relance de 43 Md d’euros, dont seulement 28 Md d’euros financés sur fonds publics, qui constituerait le pendant du pacte pour la compétitivité adopté fin 2012.

Il s’appuierait à la fois sur l’investissement et la consommation, en donnant sans complexe la priorité à celle-ci (qui représenterait plus de la moitié des dépenses) car c’est la meilleure manière de faire face à l’urgence économique et sociale. Ce plan de relance comprendra une nouvelle stratégie industrielle impliquant une réorientation de l’abondante épargne des français vers la ré-industrialisation du pays. Ses effets bénéfiques sur la croissance à court terme, étayés par de nombreuses études qui montrent l’efficacité de la dépense publique en période de récession ou de quasi-récession (« multiplicateurs » plus élevés), mais aussi à long terme, par le renforcement de la productivité et de la compétitivité de notre économie, font qu’il serait largement autofinancé.

Nous ne traiterons pas de l’ensemble de la révolution fiscale qu’il faudrait engager dès 2013/2014 mais qui, comme nos propositions pour l’Europe, feront l’objet de publications spécifiques.

Insistons ici dès à présent sur la justification sociale mais aussi politique de cette stratégie. Il ne faut pas oublier que les classes populaires et moyennes souffrent depuis 10 ans et qu’elles ont choisi l’alternance avec beaucoup d’espoir. Pouvons-nous sérieusement les faire attendre encore ? Remettre à demain, et à un futur bien incertain, l’amélioration de leur condition repose sur une vision statique de l’économie ; il faudrait rétablir l’équilibre avant de repartir de l’avant, alors que c’est en avançant qu’on trouve son équilibre. Ce choix ferait courir le risque d’une rupture avec une base sociale sans laquelle aucune politique ne peut perdurer très longtemps. C’est bien parce qu’il y avait eu une première phase de relance que le peuple de gauche n’a pas brutalement rejeté Mitterrand et le pouvoir socialiste après le « tournant de la rigueur » ; c’est parce qu’il n’y a rien eu de tel, durant son second septennat, qu’il fut sanctionné si durement en 1993.

Relancer, c’est aussi préparer l’avenir, et en premier lieu celui de nos enfants - non pas en se fixant pour seul objectif de réduire la dette publique qu’on leur laissera à rembourser (ils hériteront aussi des infrastructures publiques que cette dette aura contribué à financer...), mais en leur laissant une économie dynamique et moderne. Cela exige de soutenir l’activité en temps utile pour éviter une spirale déflationniste, et d’investir pour préparer l’avenir, au lieu de céder à la tentation de la prudence et du rabougrissement. Les fameuses « générations futures » dont certains n’hésitent pas à s’autoproclamer les porte-parole, attendraient peut-être de nous, si elles pouvaient s’exprimer, un peu plus que des comptes impeccables. L’état des comptes est une donnée très aléatoire dans le temps qui dépend de la monnaie, des taux d’intérêt. La force de l’économie réelle, la qualité du cadre de vie, des services publics, un environnement préservé sont bien plus essentiels. Voilà ce que nous souhaitons transmettre à nos enfants et aux générations futures qui feront la France de demain.

Chez certains de nos voisins comme l’Allemagne, la faible natalité conduit aujourd’hui à épargner et accumuler des excédents, par anticipation de leur déclin démographique. La nôtre, bien supérieure, nous oblige à faire un effort particulier pour que notre descendance dispose des infrastructures matérielles et immatérielles nécessaires à sa productivité mais aussi son bien-être. Il appelle notamment de nouveaux types d’investissement, de nature écologique. Nos priorités doivent être, dans le même mouvement, de créer des emplois pour notre jeunesse et de garantir le niveau de vie de nos anciens en consolidant nos systèmes de retraite par répartition.

(...)


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