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La pression sur les terres dans le monde augmente à un rythme sans précédent

Les grandes exploitations agro-industrielles concurrencent de plus en plus les petits paysans.


Chaque année, jusqu’à 30 millions d’hectares de terres agricoles sont perdus du fait de leur dégradation environnementale, de l’urbanisation ou de leur conversion industrielle. Exacerbée par l’expansion des cultures d’agrocarburants et par la spéculation sur les terres arables, cette tendance a des conséquences dramatiques pour des centaines de millions d’agriculteurs, de pêcheurs et pour les populations autochtones. Un nouveau rapport de l’ONU tire la sonnette d’alarme.

« Si 500 millions de petits agriculteurs souffrent de la faim, c’est en partie parce que leur droit à la terre est de plus en plus menacé », a déclaré Olivier De Schutter, le Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, auteur du rapport présenté le 21 octobre 2010 devant l’Assemblée générale des Nations Unies. « Du fait de la croissance démographique dans les campagnes et de la concurrence de plus en plus marquée avec les grandes exploitations industrielles, la taille des parcelles cultivées par les petits exploitants se réduit d’année en année. Les agriculteurs sont souvent relégués sur des terrains arides, des collines ou dans des zones dépourvues d’irrigation. Cette situation menace directement le droit à l’alimentation des populations rurales. »

En Inde, note le rapport, la taille des exploitations moyennes est ainsi passée de 2,6 hectares en 1960 à 1,4 hectares en 2000, et continue de décliner. En Afrique de l’est et australe, la superficie des terres cultivées par habitant a diminué de moitié au cours de la dernière génération.

Un « cocktail explosif »

Le rapport montre que la dégradation de l’environnement, l’urbanisation et les acquisitions de terres à grande échelle par des investisseurs étrangers forment un cocktail explosif, rendant la pression sur les terres propices à l’agriculture plus élevée que jamais.

« Au niveau mondial, 5 à 10 millions d’hectares de terres agricoles sont perdus chaque année en raison de la dégradation environnementale, et 19,5 millions supplémentaires le sont du fait de l’urbanisation et des conversions industrielles », affirme De Schutter. « Mais la pression sur les terres s’est accrue ces dernières années du fait des politiques favorisant l’installation de grandes plantations agricoles. Chaque année, plus de 40 millions d’hectares de terres agricoles font l’objet de demandes d’acquisition par des investisseurs, souvent pour produire des agrocarburants – l’une des principales raisons expliquant la récente vague d’acquisitions de terres à grande échelle. Selon la Banque mondiale, plus d’un tiers de ces acquisitions de terres à grande échelle visent à produire des agrocarburants. »

Paradoxalement, indique le rapport, les mesures adoptées en vue d’atténuer le changement climatique et de protéger l’environnement ont également augmenté la pression sur les terres agricoles. Le fait de planter des forêts afin de bénéficier du « mécanisme de développement propre » a parfois conduit à des expulsions contre lesquelles les populations locales concernées ne sont pas suffisamment protégées.

Pour une nouvelle réforme agraire

« Toutes ces évolutions ont un impact énorme sur les petits exploitants, les peuples autochtones, les éleveurs et les pêcheurs qui dépendent de l’accès à la terre et à l’eau pour leur subsistance », dénonce De Schutter. « Les Etats devraient donc renforcer la sécurité juridique de ceux qui dépendent des terres, qu’il s’agisse d’individus ou de ménages, ou de communautés. Toutefois, on sait aujourd’hui que l’octroi de titres de propriété individuels et la création d’un marché des droits fonciers ne sont peut être pas le moyen le plus approprié pour assurer cette protection. »

Selon le Rapporteur spécial de l’ONU, le processus de délivrance de titres de propriété peut en effet confirmer la répartition inégale des terres, menant dans les faits à une ‘contre-réforme agraire’. En outre, les marchés des droits liés à la terre ont tendance à favoriser ceux qui ont accès au capital pour acheter la terre, et non nécessairement ceux qui feraient de la terre l’usage le plus productif.

« Au lieu de renforcer les droits des propriétaires fonciers, les États devraient d’abord encourager les systèmes de propriété collective, renforcer les régimes fonciers coutumiers et les lois prévoyant un statut pour les tenanciers s’ils veulent mieux protéger les utilisateurs des terres", affirme De Schutter. « Toutefois, vu la répartition parfois très inégale des terres dans les zones rurales, sécuriser l’occupation des terres peut être insuffisant, et la redistribution des terres est dans ce cas nécessaire. »

Le rapport démontre qu’une répartition plus équitable des terres est souhaitable tant pour des raisons d’efficacité que d’équité : une telle répartition a en effet des bénéfiques pour la croissance économique, l’autonomisation des femmes et la réduction de la pauvreté rurale.

« Malheureusement, le sentiment d’urgence concernant la redistribution des terres a régressé car de nombreux responsables politiques sont convaincus qu’améliorer la productivité par la technologie constitue une alternative à la réforme agraire », déplore De Schutter. « C’est là une erreur tragique : étant donné les menaces posées aujourd’hui par les acquisitions de terres à grande échelle, la meilleure façon de garantir le droit à la terre et le droit à l’alimentation est justement de démocratiser et de sécuriser l’accès à la terre au profit des petits exploitants. Aujourd’hui, beaucoup se demandent comment les acquisitions de terres à grande échelle peuvent être ‘disciplinés’. Ce rapport pose la question de savoir comment la réforme agraire peut être promue comme une alternative aux pressions foncières actuelles. L’accès à la terre doit être reconnu comme un droit de l’homme. »


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