La réforme des marchés financiers avance aux Etats-Unis
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Le Sénat des Etats-Unis a adopté le 15 juillet une loi de régulation des marchés financiers. Il est difficile d’en mesurer encore la portée réelle.
Que va changer ce texte ? Impossible de répondre dans le détail ici car il fait plus de 2000 pages et traite de 15 sujets différents ! De l’aveu même des négociateurs, peu de gens au Congrès l’ont lu en totalité. Pour autant, les nombreuses discussions que nous avons cette semaine à Washington dans le cadre de la délégation de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, avec, d’un côté, les négociateurs du texte au Sénat et à la Chambre des représentants, et, de l’autre, les régulateurs (la Banque centrale, la SEC qui est l’homologue américain de l’Autorité des Marchés Financiers en France, la CFTC qui s’occupe des dérivés, le Trésor américain), nous ont permis de mieux en appréhender la philosophie d’ensemble.
Il ressort que les négociateurs ont d’abord poursuivi deux objectifs. Le premier est de pouvoir faire face de manière préparée et organisée à la faillite d’une banque pour éviter un nouveau Lehman Brothers. La faillite surprise de la banque d’investissement new-yorkaise [en octobre 2008] avait paralysé le système financier mondial pendant plusieurs semaines et son démembrement n’est toujours pas réglé aujourd’hui. Le second objectif de la réforme est d’assurer aux contribuables américains qu’ils n’auront plus jamais à contribuer aux sauvetages des banques d’investissement. Le soutien public sera réservé aux seules banques de dépôt qui collectent l’argent des particuliers.
Une filiale spécifique pour les activités à risque
Pour atteindre le premier objectif, le projet de loi oblige les banques à établir une cartographie précise de leurs filiales et de leurs engagements. Les activités les plus risquées des banques (comme les transactions sur les produits dérivés sur les matières premières et les produits agricoles) et celles qui n’ont rien à voir avec l’activité naturelle d’une banque devront être hébergées dans une filiale spécifique. En cas de problème cette filiale ne sera pas aidée par l’argent du contribuable. De plus, l’ensemble des transactions sur les produits dérivés, comme les fameux dérivés de crédit sur les subprimes, devront être enregistrées de façon à sortir ce marché de l’opacité. Henry Paulson, l’ancien secrétaire au trésor américain, a déclaré récemment que s’il avait eu les outils du nouveau projet de loi en septembre 2008 il aurait pu voir venir les problèmes et gérer différemment la faillite de Lehman Brothers.
Le second objectif sera, lui, plus compliqué à atteindre. Pour obtenir les voix républicaines nécessaires à l’adoption du texte (qui a besoin d’une majorité de 60 % au Sénat), les Démocrates ont dû renoncer à la création d’un fonds de résolution des crises bancaires. Il s’agissait de faire payer aux banques d’investissement, comme Goldman Sachs, une cotisation à un « fonds de sauvegarde » destiné à payer les pots cassés en cas de problème. Le projet prévoit quand même d’alimenter un fonds qui en cas de faillite d’une des banques cotisantes et d’insuffisance des ressources, verrait son différentiel payé non par le contribuable mais par des cotisations supplémentaires —ex-post— des autres banques. Un système étonnant car le coût des erreurs de l’une serait payée par les banques qui restent, autrement dit celles qui n’ont pas forcément pris le plus de risques...
La mise en œuvre de la loi dépendra des futures majorités politiques
Que va-t-il se passer quand la loi sera signée par le Président Obama ? Un nouveau combat va commencer : ce sont les régulateurs qui vont alors devoir produire de nombreux textes pour donner corps à la loi. Par exemple, la loi dit qu’il faut identifier les banques qui posent des problèmes systémiques et leur imposer des contraintes supplémentaires. Ce sera aux régulateurs, parmi lesquels la Banque centrale, d’en donner une définition concrète. Les discussions que nous avons pu avoir lors de nos différents entretiens avec les membres du Congrès et les régulateurs nous montrent déjà que le lobby bancaire a compris qu’il ne pouvait plus empêcher l’adoption de la loi, mais qu’il compte bien en atténuer au maximum les conséquences concrètes. Certaines dispositions du texte ne seront effectives que dans un à deux ans, voire quatre ans pour certaines d’entre elles.
Au delà du lobby bancaire, la mise en œuvre de la loi dépendra aussi des futures majorités politiques. Si les Républicains se renforcent lors des élections de novembre, toutes les personnes rencontrées cette semaine estiment qu’ils exerceront une pression sur les régulateurs pour tirer l’application des textes dans un sens le plus favorable aux banques. Pour les Démocrates que nous avons rencontrés, il est essentiel qu’un maximum de sections du texte soit mis en œuvre de manière effective avant la prochaine élection présidentielle en 2012 . En cas de victoire des Républicains, un retour en arrière serait moins probable : les banques auront changé leurs pratiques et leurs organisations, auront supporté les coûts d’adaptation et ne voudront pas forcément changer de nouveau de système.