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La technosociété ou la liberté diminuée

Le numéro de février-mars de la revue Nature et Progrès consacre un dossier aux libertés sous le régime de la technologie.

  • Présentation de la revue par son éditeur :
  • L’introduction du dossier du numéro 116 de la revue Nature et Progrès consacré aux libertés individuelles et collectives dans les technosociété

Ce dossier est né de plusieurs évènements concomitants, sources de révolte, de colère… C’est comme un piège que l’on voit se refermer sur une certaine idée de la société, de l’humanité ; et dont on ignore s’il est possible, encore, de lui échapper.

Il y a d’abord eu la mort de Jérôme Laronze, cet éleveur bio de la Confédération paysanne, tué en mai par deux gendarmes. Savoir que ce drame a surgi du harcèlement de ce militant par les services vétérinaires est insupportable. Le modèle de paysannerie que défendait Jérôme n’a rien à voir avec celui des agri-managers promu par nos « élites » des ministères, de l’agro-industrie et des banques. Eux veulent des drones, des puces électroniques, des élevages de 1.000, 4.000 « vaches à lait », ici bien nommées. Son refus — tellement justifié !— des excès de normes imposées aux petites fermes en a fait un paria. Il a été tué tandis qu’il tentait d’échapper à des règles, à des pratiques pensées exclusivement par l’agro-ingénierie pour l’agro-industrie. Jérôme, c’est Charlot dans Les Temps modernes : un être vivant qui tente de le rester au milieu des machines. Mais lui, n’en est pas ressorti avec juste la canne et le chapeau de guingois : il en est mort. Broyé par le système. Première colère.

Ensuite, en pleine affaire glyphosate, tandis que l’autorisation de cette molécule cancérogène est reconduite pour cinq ans, la lecture d’un communiqué d’Aspro PNPP m’atterre littéralement. On y apprend que certains magasins Botanic ont été sommés de retirer de leurs rayons des purins de consoude, une plante qui se mange en beignets !

En creusant le sujet, le scénario qui se profile est, là encore, monstrueux. Comme personne ne veut plus de pesticides de synthèse, les industriels du secteur préparent leur sortie en s’appropriant la possibilité de breveter des plantes connues de tout temps pour leur efficacité à soigner ou à stimuler d’autres plantes. Jusque-là, l’usage de ces préparations végétales n’était pas réglementé : issu des savoirs populaires, il appartenait au domaine public. Mais en 2006, ces alternatives aux pesticides ont été classées comme produits phytosanitaires, et donc soumises aux mêmes règles que les produits dits « tête de mort ». Un comble ! Cette date a sonné le glas de « la guerre de l’ortie ». Depuis, certaines substances d’origine végétales, animales et minérales, exemptées de ce discrédit, sont classées comme biostimulants d’après une liste tenue à jour par le ministère de l’Agriculture. Mais cette liste est si réduite qu’elle revient à interdire les substances qui permettraient sur le terrain de limiter, voire supprimer, les pesticides de synthèse. Les paysans bio privés de leurs moyens de préventions et de soins naturels : quelle aubaine pour les industriels ! Lesquels, pendant ce temps, s’approprient le secteur prometteur du biocontrôle que leur a largement ouvert le précèdent ministre de l’Agriculture, M. le Foll, pour favoriser ses amis de l’agriculture raisonnée, estampillés depuis « agroécologistes » ! Demain, alors que les paysans bio ne pourront plus avoir recours à la consoude, la fougère, le savon noir, le talc, la sarriette, l’origan, etc. [de très dangereux produits vous en conviendrez] pour les aider dans leurs pratiques douces de l’agriculture, ils n’auront qu’à s’acheter les produits brevetés — cette fois dûment autorisés ! — fournis par les firmes bien connues pour le soin qu’elles ont de la planète : Monsanto, Syngenta, Dupont, Bayer, BASF… devenues les reines du biocontrôle !

Voilà pourquoi ce dossier : pour que nous sachions bien contre qui l’on se bat, et ne soyons pas dupes de toute cette récupération, de tout ce dévoiement à l’œuvre : de nos mots, de nos idées, de nos pratiques… Un homme averti en vaut deux : soyons celui-là ! Pour multiplier les effets « Notre-Dame-des-Landes », et compter davantage dans les luttes à venir : Bure, Europacity, etc. La technosociété ne peut pas gagner : elle a besoin de terres rares pour proliférer. Nous, nous avons juste besoin de terres.

Nelly Pégeault


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