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Le Parc national des Cévennes en danger de banalisation

La charte en négociation du Parc national des Cévennes affaiblit toutes les mesures de protection de la nature dans ce site exceptionnel. La direction du Parc elle-même encourage cet affablissement. Le ministère de l’Ecologie va-t-il réagir ?


Madame la Ministre
Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie
Hôtel de Roquelaure, 246 boulevard Saint Germain
75007 Paris.

Objet :

Situation du Parc National des Cévennes

Madame la Ministre,

Le SNE-FSU est très inquiet au sujet de la situation du Parc national des Cévennes (PNC). En effet, trois sujets importants nous poussent à vous demander de réagir le plus vite possible pour éviter le pire.

1. Enquête publique

A l’issue de l’enquête, la commission, très fortement influencée par le directeur du PNC, a majoritairement évacué toutes les questions touchant à la protection de la nature et des patrimoines.

Malgré les remarques détaillées de l’autorité environnementale, du CNPN, d’associations de protection de la nature, des représentants du personnel du PNC et de particuliers, seules les remarques venant du territoire et amenant à plus d’ouvertures et moins de contraintes ont été reprises (contraintes déjà très modestes pour un Parc national).

Ainsi, il s’avère qu’en matière d’eau, de pratique de l’écobuage et des modes de gestion agricole dans leur quasi-totalité, la réglementation du Parc se reporte à la réglementation banale. Des ouvertures très importantes par rapport aux anciens textes sont faites sur la chasse, la cueillette et la circulation des véhicules motorisés.

D’autres mesures que nous ne pouvons détailler ici, car trop nombreuses, vont toujours dans le même sens de banalisation du coeur du Parc.

Seules deux réserves sont faites par la commission :

-  une sur le loup et sa présence maintenant avérée en Cévennes (nous y reviendrons par la suite) ;

-  une sur l’eau qui ne fait que reprendre ce que prévoit déjà le Code général des collectivités territoriales que la direction de l’établissement s’est empressée de reprendre comme modification de la charte (demander comme engagement de la charte de respecter la loi risquerait-il de contribuer à la protection d’un patrimoine naturel, culturel et paysager exceptionnel ?).

Tous ces éléments nous inquiètent fortement sur la capacité du PNC à maintenir un niveau de protection suffisant, digne d’un Parc National. Cela ouvre la porte aux contentieux dès la publication de la charte.

Enfin sachez que depuis le 1er janvier 2013, le PNC est dépourvu de réglementation sur toutes les activités encadrées auparavant par les arrêtés du directeur et les délibérations du conseil d’administration (circulation motorisée, cueillette, camping, coupes de bois...).

Alors que les agents des différents services du PNC et les services juridiques des Parcs Nationaux avaient alerté la direction de l’établissement leur demandant de prendre au plus vite des pré-MARCoeur (Modalités d’Application de Réglementation du Coeur), le directeur et le président du Parc ont préféré qu’il n’y ait pas de protection dans le coeur pendant plusieurs mois (entre 6 et 12 mois), préférant délibérer sur le loup, le vautour et la mise place d’une restructuration allant dans leur sens de toujours moins de protection et plus de développement local.

2. Loup

Après avoir pris une délibération dans la précipitation, mettant à mal des décennies de politiques de concertation sur l’acceptation de cette espèce, le Conseil d’Administration (CA) du Parc National des Cévennes continue à affirmer haut et fort que le loup n’a rien à faire sur ce territoire.

Le président du PNC s’est affiché dans l’assemblée générale de l’association locale d’opposants au loup (le Collectif des Eleveurs de la Région des Causses et leur Environnement : CERCLE) en y déclarant : « …il y a quelques années, je ne suis pas sûr qu’un président d’un Parc national se serait déplacé. Pourquoi je le fais aujourd’hui : c’est parce que je pense que la donne a changé au Parc et il y a plusieurs de mes collègues qui sont ici administrateurs avec moi…ça n’aurait pas été possible il y a quelques années parce que la donne a changé au Parc, aujourd’hui nous sommes en majorité des gens du territoire et donc forcément dans les décisions qui sont prises au CA, ça pèse. Depuis la loi de 2006 le CA a un véritable pouvoir de décision, auparavant le CA était plutôt un endroit où on validait la position de la tutelle et de la direction. Aujourd’hui ça a changé, c’est le CA qui prend les décisions et la direction du Parc est chargée de les appliquer. Quand le problème du loup est venu dans les débats du CA, y a pas eu photo, très rapidement une majorité très large a considéré que la présence du prédateur sur le territoire était pas compatible avec le type d’élevage du territoire… une délibération a été prise, elle a surpris très désagréablement le monde de l’environnement… ».

Le SNE-FSU est bien conscient des difficultés que représente la présence de cette espèce pour les éleveurs. Néanmoins, qu’un président de Parc National tienne un tel discours, qui va à l’encontre de la position de l’Etat et des missions fondamentales d’un parc, voilà qui me paraît dépasser les bornes et déstabiliser un peu plus le PNC.

S’exprimer ainsi en tant qu’élu local est compréhensible, mais le faire en tant que président du CA, avec toute la symbolique que cela amène, nous semble très dommageable.

Cette dérive et le malaise généré au sein du monde de l’environnement illustrent parfaitement les problèmes de gouvernance auxquels sont exposés les Parcs nationaux français à l’heure actuelle.

Après les préconisations de la commission d’enquête, le CA va délibérer pour modifier le texte de la charte. A cette occasion, nous savons que le PNC s’apprête à intégrer dans sa charte la délibération prise il y a quelques mois et qui affirme l’opposition du CA à l’arrivée de ce grand prédateur.

Remettant en cause l’ancien plan national sur le loup et devançant le nouveau en « validant » par avance, entre autres, les tirs létaux possibles en coeur de Parc.

Il nous semble inadmissible que soit inscrit dans un document de planification à 15 ans, qu’une espèce animale protégée par la convention de Berne et par le droit français, soit considérée comme nuisible dans un espace protégé qui plus est un Parc national. Là aussi, les risques de contentieux avec l’Europe et les associations de protection de la nature sont grands.

3. La réorganisation du PNC

Depuis deux ans et demi, la réorganisation du PNC oppose le directeur – qui s’appuie sur une partie du CA – et les agents du PNC, toutes tendances confondues. Le projet des personnels se fondait sur trois objectifs : mettre en place une organisation efficace pour le Parc national des Cévennes, qui dure dans le temps et basée sur les agents et les compétences actuelles.

Finalement, le CA a délibéré à bulletin secret et a validé la nouvelle organisation proposée par la direction.

Cette restructuration va de fait créer de la précarité et faire du PNC un outil de développement, le SNE-FSU s’est largement exprimé sur ce sujet auprès des élus des Cévennes, dans les médias et auprès de vos services sans la moindre réaction concrète sur le projet retenu.

Cela étant dit, les agents du PNC livrés à eux-mêmes ont simplement obtenu du CA et de la direction : « Une mise en oeuvre avec un véritable accompagnement au changement » et en particulier : « pour apporter aux agents qui vivront la réorganisation avec forcément des efforts supplémentaires à produire, une compensation sous la forme de conditions exceptionnelles » qui se limite, comme l’a annoncé la direction au dernier Comité Technique, à une discussion sur le maintien des résidences administratives des agents situés sur le terrain en cas de changement de poste, ce qui légalement est déjà problématique.

Depuis trois mois, la réorganisation avance tambour battant et sans dialogue social. Bien sûr il y a le passage mécanique du projet dans les comités techniques, mais ceux-ci sont considérés par la direction du PNC comme des chambres d’enregistrement, dont les avis négatifs ne valent pas d’être pris en compte.

Les personnels ont obtenu de la direction et du CA du PNC un soutien par un prestataire extérieur pour évaluer et limiter les risques psychosociaux. Nous veillerons tout particulièrement à ce que cet accompagnement ne soit pas qu’un alibi pour que la direction continue à avancer froidement malgré toutes les alertes que notre syndicat vous a déjà exprimé.

En effet, la direction agit toujours dans un esprit de défiance et de revanche vis-à-vis des personnels, majoritairement contre cette réforme. Nous vous alertons une nouvelle fois sur la nécessité de rétablir un dialogue social réel, en respectant les engagement pris, dans des délais de mise en oeuvre raisonnable (et non au 1er mai comme c’est prévu) sachant que la direction demande à l’ensemble du personnel de mettre en place dès maintenant des actions de la charte pour montrer au territoire (avant adhésion) que cette dernière va lui servir, en occultant toujours la protection des patrimoines en coeur.

De plus, la direction exerce de plus en plus ouvertement un chantage sur les représentants syndicaux élus en leur reprochant leurs positions syndicales lors des débats et en les accusant d’être responsable du non dialogue.

Le mal-être généré par cette restructuration est grand, le SNE-FSU sera toujours extrêmement vigilant sur ce sujet brûlant qui concerne tous les Parcs nationaux.

De plus, je vous rappelle que vos directeurs ne sont pas exonérés des règles élémentaires de la fonction publique sur la nomination des agents à tel ou tel poste.

La direction du PNC affirme haut et fort qu’elle a carte blanche pour nommer comme bon lui semble sur un poste des agents d’horizons ou de statuts totalement différents. Si tel était le cas, le SNE-FSU porterait l’affaire devant les tribunaux dès que le nouvel organigramme sera validé.

Enfin, se pose la question budgétaire : comment le PNC compte-t-il financer cette réforme dans le contexte budgétaire actuel ? Car cette réforme implique des créations de structures sur certains massifs, de nouveaux bureaux au siège à Florac, l’embauche massive de personnels de catégories A ou B à la place de postes budgétaires de catégories C et une multiplication des déplacements (et donc des coûts afférents) engendrés par une nouvelle organisation géographique basée sur un pilotage des services centraux.

Aux yeux de notre syndicat, la situation du Parc National des Cévennes est extrêmement préoccupante tant pour les personnels que pour le devenir de l’établissement et nous espérons sincèrement que vous prendrez très rapidement les mesures adaptées qui permettront de remettre cet établissement public sur pied.

Je vous prie de croire, Madame la Ministre, en l’expression de ma très haute considération.

Le Secrétaire Général du SNE-FSU

Jean-Luc CIULKIEWICZ


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