Tribune —
Le Parti dit Socialiste meurt d’ignorer le peuple
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En s’obstinant dans le soutien au capitalisme, dit « néo-libéralisme », le parti socialiste, comme toute la gauche « réformiste » européenne, s’enfonce dans le bourbier. La gauche peut-elle renaître à gauche du PS ?
Avec 42 voix d’avances sur Ségolène Royal, Martine Aubry est arrivée en tête lors du second tour de l’élection du premier secrétaire du Parti socialiste le vendredi 21 novembre 2008. Le PS est désormais coupé en deux, le résultat des élections est contesté. Nul ne peut prédire l’évolution de ce parti dans les semaines qui viennent.
En revanche, Ségolène Royal et Martine Aubry, qui ont toujours incarné la droite du PS, sont restées sur une « ligne » social-libérale dans leurs motions, au-delà de la rhétorique propre à une période de congrès. Après le congrès de Reims, plus que jamais, la refondation de la gauche passe à l’extérieur du PS. Ce congrès valide a posteriori la démarche engagée par Marc Dolez et Jean-Luc Mélenchon.
Le parti « socialiste » actuel est très éloigné du socialisme historique, qu’il soit « autogestionnaire » et/ou « planificateur ».
Même le socialisme « libéral » d’aujourd’hui est coupé de ses racines historiques. En effet, le socialisme libéral du début du XXe siècle acceptait que le marché joue un rôle important ; mais ce marché était censé mettre en relations des coopératives (de production et de consommation), des associations et des mutuelles. Il en restait quelque chose dans le PS « autogestionnaire » des années 70 mais ces potentialités n’ont pas survécu à la vague néolibérale des années 80-90. Sinon à l’état de traces : le « tiers-secteur » est aujourd’hui relégué au second plan voire ignoré. Le socialisme « libéral » d’aujourd’hui vient en droite ligne de la guerre froide. L’anti-stalinisme n’était évidemment pas, à l’époque, dénué de fondements, mais à l’heure actuelle il n’a plus lieu de constituer une priorité.
Ces derniers temps, écrasé par le rouleau compresseur néolibéral - désormais en panne ? -, le PS n’avait pas pu durablement s’extraire de l’atlantisme et du « financiarisme »
Le Parti socialiste a accepté les rapports de forces actuels, politiques, économiques et stratégiques. Il en est venu à confondre capitalisme et démocratie. C’est un peu dommage pour des socialistes : Marx mais aussi Jaurès, voire Blum ont dû se retourner dans leurs tombes ! Le PS de Mitterrand et, quelque temps, celui de Jospin, ont semblé s’extraire de ces ornières mais n’ont pas réellement tenté la mise en œuvre d’un projet de socialisme démocratique. Illustration de ces dérives : Mitterrand obtenait quelque 40% des voix des ouvriers au premier tour des présidentielles de 1981, Jospin est tombé à 13% en 2002 (trois fois moins !) ; Ségolène Royal est remontée aux alentours de 25 % en 2007, avant de franchir la « barre des 50% » d’assez peu au deuxième tour dans cet électorat. Remontée significative mais très insuffisante. Un parti qui s’est éloigné à ce point d’une de ses bases sociales primordiales est-il encore vraiment « socialiste » ?
La social-démocratie européenne traverse une crise existentielle majeure. Sur le plan électoral, cette crise se traduit par l’échec des partis sociaux-démocrates dans 15 élections nationales sur 17 qui se sont tenues dans la dernière période. En Grande-Bretagne et en Allemagne, pays dirigés par la social-démocratie, le mécontentement populaire est considérable et menace ces partis d’une lourde défaite aux prochaines élections. Quant aux partis sociaux-démocrates renvoyés dans l’opposition, ils ne présentent aux droites au pouvoir dans ces pays, comme en France et en Italie, qu’une opposition molle et peu crédible.
Partout, cette pseudo gauche qui s’est prétendue « moderne » a participé à l’introduction du néolibéralisme, parfois avec un zèle qui a surpris les néolibéraux eux-mêmes. Partout cette gauche a libéralisé les marchés financiers ; privatisé les banques et les institutions financières ; privatisé de nombreux services publics et entreprises stratégiques ; baissé les impôts pour les hauts revenus et sur le capital ; libéralisé le « marché » du travail ; démantelé l’Etat social ; introduit les fonds de pension et affaibli la retraite par répartition ; instauré l’austérité et la « modération » salariale. Ces politiques néolibérales ont déstabilisé les classes populaires et contribué à dépolitiser une partie d’entre elles.
Souvent, les partis sociaux-démocrates ont soutenu les politiques de l’OTAN et l’invasion en Irak. A l’échelle européenne, quand ces partis étaient majoritaires, ils ont avalisé le « sommet de Barcelone » en 2002, où le Conseil européen a décidé de libéraliser le marché de l’énergie et tous les services publics (dont la Poste), de repousser l’âge de la retraite de cinq années, d’encourager les fonds de pension. Ils ont défendu le Traité constitutionnel européen et participé, avec la droite, à l’expulsion du suffrage universel des institutions européennes, soutenu le Traité de Lisbonne qui n’en était que la copie conforme et voté avec la droite, en France, alors qu’il était possible de la battre au Parlement et d’imposer un référendum.
En mettant en œuvre ou en soutenant ces politiques, la social-démocratie a contribué à faire de la zone euro l’espace où le développement économique est le plus faible du monde. Pourtant, en 1997, 12 pays sur 15 que comptait l’Union européenne étaient dirigés par des partis sociaux-démocrates…
Ce sont toutes ces raisons qui ont conduit la social-démocratie à la défaite. Ségolène Royal et Martine Aubry font semblant de ne pas encore l’avoir compris. Celles-ci pensent tout simplement que la seule façon d’arriver au pouvoir est de se placer dans des alliances avec ce que l’on appelle le « centre », qui lui-même essaye de se frayer un chemin vers le pouvoir dans les méandres de la droite classique. Comme les Verts en Allemagne et maintenant en France, qui sont capables de participer au pouvoir une fois avec la droite et une fois avec la gauche, tout simplement pour être au pouvoir. Or, la victoire de la gauche ne sera possible qu’en gagnant d’abord les classes populaires. Sur la base d’une politique de classe en leur faveur.
Une dérive générale s’est produite qui fait de ces partis de l’Internationale « socialiste » les représentants, pour l’essentiel, de classes moyennes salariées recherchant avant tout un compromis avec les milieux de la finance mondialisatrice.
Aujourd’hui, la finance mondialisatrice entre en crise ouverte. La caricature du socialisme que constituaient les régimes « capitalistes d’État » (dits soviétiques) est désormais jetée aux poubelles de l’Histoire. Sauf en Chine, mais ce pays ne peut prétendre jouer un rôle de modèle pour les socialistes européens. Les PS sont donc devant un vide stratégique : sont-ils en mesure de renouer avec leur base sociale, de revivifier leurs références historiques, de formuler de véritables projets politiques, impliquant la prise du pouvoir d’État mais ne s’y réduisant pas ? Les PS peuvent-ils seulement reconstituer une pensée critique profonde et cohérente du capitalisme ? On peut éventuellement l’espérer mais on ne peut l’affirmer. On peut même en douter profondément après le congrès de Reims.
Cette indétermination pose évidemment problème aux républicains sociaux, démocrates de gauche, communistes de diverses tendances, écologistes responsables et toutes forces politiques et sociales qui aspirent à construire une démocratie véritable et qui ne peuvent guère l’envisager sans une évolution socialiste des socialistes ! « On ne peut rien faire avec le PS, mais on ne peut rien faire sans lui. » Il faudra bien surmonter d’une manière ou d’une autre cette contradiction Cela suppose des évolutions, qui se produiront inévitablement…
« L’erreur en politique, c’est l’erreur sur la question de l’État. » Citation approximative d’un propos de Gramsci, communiste italien. Sous couvert d’internationalisme, nombre de socialistes ont oublié que la démocratie s’exerçait pour l’essentiel, et sans doute pour longtemps, dans le cadre des « États-nations ». Il est vrai que la nation, la patrie, ont donné lieu à des récupérations nationalistes et bellicistes tragiques. Mais c’est la vision ethnique de la nation, celle de la race et du sang, qui en est responsable. La nation républicaine, politique, est au contraire un instrument de libération, un ingrédient de l’internationalisme. Jaurès l’avait bien compris : « Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale, beaucoup de patriotisme y ramène. »
La confusion entre internationalisme et anti-patriotisme, ou l’anti-étatisme, explique l’invraisemblable dérive des PS européens, acceptant l’Union européenne actuelle comme vecteur de l’internationalisme. Une partie de la « gauche de gauche » commet la même erreur dramatique. L’abandon de toute réflexion un peu profonde et pertinente sur l’État se déduit de cette erreur fondamentale. D’où les approximations et les divisions du PS français, par exemple, sur la question constitutionnelle l’été dernier. Et le malaise sur la question présidentielle : le PS oscille entre un présidentialisme forcené, y compris en son sein, et un parlementarisme aux horizons limités. Corollaire : on voit fleurir des analyses, malheureusement fondées, selon lesquelles les grands élus régionaux et municipaux du PS préfèrent rester dans l’opposition au niveau national plutôt que de risquer de perdre leurs mandats locaux…
Écartons d’abord les critiques faciles, assez communes. Le fait que des courants s’affrontent sur des textes présentés par des personnes et que des votes tranchent entre ces options n’est absolument pas répréhensible. Sauf à ériger en modèle le rassemblement autour d’un Dieu (Déesse ?), d’un(e) César(e ?) ou d’un(e) Tribun(e ?) [Il ya lieu désormais de féminiser Dieu, César et Tribun, c’est un progrès !]
Qu’un congrès de délégués n’ait pu trancher les différends et que les adhérents se prononcent en dernier ressort dans un scrutin à deux tours quelques jours après, c’est plutôt à saluer. Ou… ce serait à saluer si ces formes démocratiques n’étaient pas occultées par le clientélisme (grosses fédérations votant comme un seul homme ou presque ce qui est suspect) et par le vide stratégique signalé ci-dessus.
Qu’il y ait ou non synthèse dans un congrès du PS n’indique rien ou presque sur l’unité de ce parti non plus que sur sa capacité à se tracer une ligne claire et pérenne pour au moins deux ans. Ainsi, Épinay 71 et Metz 79 sont sortis sans synthèse (lire : sans unanimité) mais avec une force propulsive incontestable. A l’inverse, Nantes 1977 et Rennes 1990, congrès sans synthèses, ont débouché sur des échecs en 1978 et 1993. D’un autre côté, les congrès unanimistes (avec synthèses) à Valence en 1982, à Toulouse et à Lille dans les années quatre-vingt puis au Mans en 2005, pour ne citer que ceux-là, restaient lourds d’arrière-pensées et de faiblesses stratégiques.
Que l’attelage constitué par le favori des sondages (Delanoë) et le premier secrétaire sortant (Hollande) sans compter Moscovici, Jospin et quelques autres, ait pu plafonner à 25% alors que certains de ses membres espéraient dépasser 50 % est une réelle surprise. La référence malencontreuse de son leader présumé (Delanoë) au socialisme libéral n’y est sûrement pas pour rien. Ils sont clairement les perdants de ce congrès. Ségolène Royal est arrivée en tête au premier tour mais loin, très loin des 60% qu’elle avait recueillis au moment de la désignation du candidat PS pour les présidentielles. Martine Aubry, avec 24% des voix au premier tour retrouve à peu près le score de son allié Fabius, alors qu’elle avait attiré aussi des Strauss-Kahniens et évidemment des Deloriens. Benoît Hamon, avec 19%, fait mieux que prévu mais reste très loin des 40% obtenus par le Non de gauche lors du referendum interne au PS en 2004. Et plus loin encore des quelque 60% d’électeurs socialistes qui auraient voté Non en mai 2005. B. Hamon n’est-il pas devant une impasse ? Refuser de se prononcer, au deuxième tour Royal-Aubry, aurait été un aveu d’impuissance à court terme. A l’inverse, son ralliement à l’une des candidates, Martine Aubry, expose sans doute sa motion à l’éclatement. B. Hamon, qui avait rassemblé les courants de gauche du PS, est en outre affaibli par le départ de certains d’entre eux (Dolez et Mélenchon).
Le mode de scrutin a ajouté à la confusion : si les délégués au Conseil national sont logiquement désignés en fonction de la représentativité des motions donc sur des options politiques, ce n’est pas le cas de la désignation du premier secrétaire qui se fait au suffrage universel, méthode dont a vu qu’elle s’accompagnait d’une forte démagogie. Il est probable que les adhésions à 20 euros, instituées avant les présidentielles dans l’esprit de créer des « primaires » à l’américaine, aient participé de cette confusion.
La refondation de la gauche semble aujourd’hui possible, mais à la gauche du PS. Elle est désormais en mesure de tirer les enseignements du « stalinisme » et du rejet sans nuance de la démocratie parlementaire qui en avait fait le lit. Le capitalisme n’est pas seulement incapable de maîtriser les questions sociales et environnementales. Au contraire il les suscite et les aggrave, ce qui recommence à se savoir. Le colosse néolibéral vacille. Les bases sociales d’un socialisme démocratique du XXIe siècle existent. Des projets politiques voient le jour qui peuvent être activés. Les militants, actuellement encartés dans des PS ou extérieurs à ces partis peuvent les uns et les autres contribuer à ces évolutions nécessaires. Dans ces conditions, les PS actuels seront contraints d’évoluer en se ressourçant ou ils s’achemineront vers un éclatement et une disparition que, seuls, quelques vieux élus locaux regretteraient. Il semble que le PS soit sur ce chemin…