Tribune —
Le coût de l’arrogance
« Ce que nous apprend le drame japonais, c’est que l’opacité, dans une société technologique, est intrinsèquement dangereuse. »
Jour après jour, la catastrophe de Fukushima se fond dans la normalité : l’inacceptable est devenu quotidien. La radioactivité fuit, et va continuer à fuir. Comme l’indique le 28 mars l’Autorité française de sûreté nucléaire, qui maîtrise l’art subtil de la litote, « le pronostic d’évaluation des réacteurs n° 1 à n° 3 devrait rester très incertain pendant les prochaines semaines ». Ce qui est certain, c’est l’insidieux empoisonnement des eaux et des terres alentour. Tentons un premier bilan, en partant du postulat optimiste que les ingénieurs et travailleurs japonais parviendront à refermer la terrible boîte de gaz et particules cancérigènes.
Le Japon a perdu quatre voire six réacteurs nucléaires, soit une valeur de 20 à 30 milliards d’euros, démantèlement non compris. Plus d’un millier de kilomètres carrés alentour sont contaminés à des degrés divers, rendant durablement impossible une vie normale. La centrale de Fukushima elle-même deviendra un cimetière nucléaire, à surveiller pendant des centaines d’années. La stratégie énergétique du pays va être bouleversée. Une contestation de la responsabilité politique devrait aussi se développer.
En matière nucléaire, le Japon est le jumeau de la France : même politique, mêmes techniques, même opacité, même arrogance des « nucléaristes », même passivité des politiques. Fukushima aura des conséquences chez nous.
Nul ne peut plus accepter l’hypothèse de voir Nogent-sur-Seine, à 100 kilomètres de Paris, ou de Saint-Alban, à 50 kilomètres de Lyon, connaître une situation comparable, même de loin, à celle de Fukushima. Les exigences de sûreté nucléaire vont considérablement s’accroître - et donc le coût de l’électricité. L’attention va aussi se porter sur la question des déchets nucléaires et du démantèlement des installations atomiques, qui n’a pas de vraie réponse.
Indépendamment même du débat sur la sortie du nucléaire, on va remettre en cause la logique de privatisation qui préside à la politique nucléaire depuis une dizaine d’années. EDF doit-il être renationalisé ? GDF Suez doit-il construire des réacteurs en France ? L’EPR de Penly est-il utile ? La libéralisation du marché de l’électricité est-elle une bonne chose ? La loin NOME - qui oblige EDF à céder à bas coût son courant à des concurrents - est-elle acceptable, alors qu’elle diminue les ressources nécessaires pour la sûreté nucléaire ?
Dans ces discussions, c’est en fait le fonctionnement de l’appareil nucléariste qui doit être soumis à l’investigation. Ce que nous apprend le drame japonais, c’est que l’opacité, dans une société technologique, est intrinsèquement dangereuse.