Le groupe Bilderberg s’est réuni le 3 juin. Mais, chut, la presse française n’en dit mot
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Plusieurs Français ont participé à la réunion du groupe Bilderberg qui vient de s’achever le 3 juin aux Etats-Unis. Les présidents de Saint Gobain, de Michelin, du Monde... et c’est Henri de Castries, le patron d’Axa, qui dirige ce discret cénacle international.
Le dimanche 3 juin 2012, dernier jour de la rencontre de Bilderberg de 2012, le silence médiatique français se poursuit. Alors qu’en Grande-Bretagne The Independent analyse cette réunion avec le titre « Conspiracy theorists join the world’s elite », on ne trouve rien de tel dans la presse française. Pour quelle raison ? Les rencontres de Bilderberg seraient-elles sans importance ? Dans ce cas, pourquoi plusieurs hauts responsables de l’Union Européenne y sont-ils présents, comme souligné dans notre article « Bilderberg 2012 : quels objectifs ? (I) » ?
Force est de constater que Bilderberg rassemble toujours des représentants au plus haut niveau des milieux financiers, industriels, politiques et « gestionnaires » européens et US. Peut-on sérieusement prétendre « qu’il ne se passe rien » à de telles rencontres dont celle de 2012 compte autour de 145 invités ?
Le 3 juin, Le Nouvel Observateur annonce « La Syrie et l’Iran au menu du sommet UE-Russie à Saint-Pétersbourg ». Un sommet prévu juste après le Bilderberg 2012 auquel participent entre autres Bassma Kodmani, porte-parole et membre du bureau executif du Conseil National Syrien, et le président du Front Civil Uni (opposition) de Russie, Garry Kasparov. Serait-ce anodin ? On remarque également parmi les participants au Bilderberg 2012 la présence de Thomas E. Donilon, Conseiller pour la Sécurité Nationale à la Maison Blanche, et de Keith B. Alexander, directeur de la National Security Agency des Etats-Unis. Une « orientation » fort significative et parlante en ce qui concerne le contenu de la participation des instances gouvernementales US au Bilderberg 2012.
Et si la rencontre de Chantilly ne servait à rien, pourquoi ces hauts responsables de la Sécurité Nationale US se seraient-ils déplacés ? Le 3 juin également, le blog Notre Siècle interroge : « Bilderberg 2012 : la presse française, bâillonnée ? ». L’article évoque la possibilité d’un éventuel rapport entre ce silence médiatique français et l’approche des élections législatives, l’actuel président des rencontres de Bilderberg et PDG d’AXA Henri de Castries étant connu pour sa proximité avec François Hollande.
Précisément, le rôle d’Henri de Castries à la tête des rencontres de Bilderberg avait déjà été passé sous silence pas les médias français. De quoi s’inquiéter sérieusement en ce qui concerne la transparence de la politique française et le respect effectif du droit des citoyens à une réelle information. A fortiori, à l’approche d’importantes échéances électorales. Hier, dans notre article sur Médiapart « Bilderberg, enjeux, silence médiatique français... », nous avions également dénoncé cette situation qui, le 3 juin au soir, ne semble pas avoir évolué d’un pouce. Au même moment, Le Figaro écrit à son tour « L’UE a 3 mois pour sauver l’euro (Soros) », se référant à des déclarations du milliardaire George Soros sur l’avenir de la Grèce, de l’Union Europénne et de l’euro. Un autre sujet qui, de toute évidence, fait partie des priorités de la rencontre de Bilderberg de 2012.
Le 3 juin, dernier jour du Bilderberg 2012 commencé jeudi dernier [31 mai], Forex Pros rapporte de source AFP « Un "plan d’ensemble" en préparation pour sortir la zone euro de la crise ».
Mais la prétendue « austérite » qui pointe à l’horizon est-elle indépendante de dépenses d’une « Europe militaire » que les dirigeants des Etats-Unis semblent réclamer pour des raisons financières et que, paradoxalement, Jean-Luc Mélenchon soutient ?
Le 3 juin aussi, le site Heraldnet (The Daily Herald) relance l’interrogation « Bilderberg Conference : Is it a powerful global cabal ? », alors que Bangor Daily News l’exprime à son tour sous la forme « Is Bilderberg a conference on world affairs or a secret cabal ? ». Mais peut-on vraiment opposer ces deux notions, dès lors qu’il s’agit d’une réunion extra-institutionnelle impliquant une large centaine de responsables au plus haut niveau de tous les secteurs d’activité de l’Europe et des Etats-Unis ?
Quant aux actions sur le terrain à Chantilly, le journal britannique The Guardian souligne le 3 juin « Bilderberg 2012 : protesters hail their hero, Alex Jones », avec le sous-titre « Radio host from Austin rallies demonstrators with full-throated denunciation of the global elite ». On ne peut être plus clair.
Mais du côté de la presse et du monde politique français, tout paraît beaucoup plus simple. Il suffit de ne pas en parler. Et moins on se posera de questions, mieux cela vaudra. En tout cas, vu par « nos élites ». Une approche, au fond, très voltairienne.
Voltaire estimait que le « bas peuple » n’a pas vocation à être instruit. Voir, par exemple, l’une de ses lettres à Etienne-Noël Damilaville rappelée dans notre article « La lettre de Voltaire à Damilaville du 1er avril 1766 ». Les électeurs français actuels sont-ils vraiment traités d’une façon fondamentalement différente en ce qui concerne l’information citoyenne ?
Au même moment, on peut lire sur le site de la Commission Européenne :
Gouvernance économique
La crise a mis en évidence des problèmes fondamentaux et des évolutions non tenables dans de nombreux pays européens. Elle a aussi rappelé combien les économies des pays de l’UE sont interdépendantes. Une coordination renforcée des politiques économiques dans l’ensemble de l’UE nous aidera à surmonter ces problèmes et à stimuler à long terme la croissance et la création d’emplois.
La nouvelle gouvernance économique de l’UE repose sur trois piliers :
•Un programme économique renforcé soumis à une surveillance plus étroite. Ce volet comprend la définition de priorités et d’objectifs communs dans le cadre de la stratégie Europe 2020 ; des engagements supplémentaires de la part des États membres participant au « pacte pour l’euro plus » ; une surveillance plus étroite des politiques économiques et budgétaires dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance et des nouveaux instruments de lutte contre les déséquilibres macroéconomiques ; une nouvelle méthode de travail, le « semestre européen », permettant de débattre des priorités économiques et budgétaires à la même période chaque année.
•Action pour préserver la stabilité de la zone euro. En 2010, l’UE a réagi à la crise de la dette souveraine en créant des mécanismes temporaires de soutien pour ses États membres, qui seront remplacés en 2013 par le mécanisme européen de stabilité (MES). Les mesures de soutien proposées, qui sont élaborées en étroite collaboration avec le FMI, sont subordonnées à la mise en œuvre de programmes de réforme et de consolidation budgétaire rigoureux.
•Action pour relever le secteur financier, comme expliqué ci-dessous.
Vous trouverez ci-après une présentation des principaux aspects de cette nouvelle gouvernance économique européenne.
C’est de toute évidence sur l’approfondissement de cette politique, en rapport avec « l’Europe militaire » et avec une éventuelle intervention en Syrie, que porte l’une des principales priorités de l’actuelle rencontre de Bilderberg. Mais dans ce cas, pourquoi un tel silence médiatique côté français ?
Dans le domaine de langue portugaise, on voit circuler, provenant de l’Agence EFE, une note datée de samedi intitulée « Influente, discreto e poderoso, Clube Bilderberg se reúne neste fim de semana ». Pourquoi, donc, une telle « exception française » ?
C’est vrai que les membres du gouvernement actuel ne semblent guère aimer que l’on « remue » des informations comme celles concernant les rencontres de Bilderberg. Voir, par exemple, cet entretien de Manuel Valls d’il y a quatre ans.
Et quelle peut être la spécificité de la réunion de Bilderberg de 2012 sur laquelle les médias français gardent systématiquement le silence ? Force est de constater que son président et actuel président du Comité permanent des rencontres de Bilderberg , n’est autre que le PDG d’AXA Henri de Castries. On trouve également dans ce comité permanent un autre français : Nicolas Baverez.
D’autres participants français à l’actuelle rencontre de Bilderberg sont : le sénateur UMP et président du Conseil Général de Maine-et-Loire Christophe Béchu ; le PDG de Saint-Gobain Pierre André de Chalendar ; le directeur du journal Le Monde Erik Izraelewicz ; Anousheh Karvar (CFDT, Terra Nova...), inspectrice à l’IGAS ; Pascal Lamy, directeur général de l’OMC ; le président de l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales) Thierry de Montbrial ; Jean-Dominique Senard, directeur général du groupe Michelin ; et le diplomate Pierre Vimont, secrétaire général exécutif du Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE).
S’agissant du président de Bilderberg Henri de Castries, les médias français s’étaient déjà abstenus de signaler son rôle au sein du Comité permanent des rencontres de Bilderberg, lorsqu’ils ont évoqué sa proximité avec François Hollande. Par exemple, dans les articles « François Hollande : ces patrons qu’il connaît depuis l’école » (Journal du Net), « La promo Voltaire à la manœuvre » (Le Parisien), « Ces économistes et ces patrons qui soutiennent François Hollande » (Challenges), François Hollande, son réseau parmi les patrons » (L’Expansion), etc... C’était pourtant une information susceptible d’intéresser les électeurs, et on ne peut que regretter une telle omission.
Mais pourquoi ce silence même aujourd’hui, en pleine rencontre de Bilderberg et une semaine avant le premier tour des élections législatives ?