Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Tribune

Le problème n’est pas Woerth-Bettencourt, mais...


Le monde politique – et les médias – sont centrés sur ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Woerth-Liliane Bettencourt-L’Oréal ». Le Parti socialiste tire à boulets rouges sur la personne de l’ex-ministre du Budget, promu récemment au Travail. Cela conduit l’UMP à dénoncer un « acharnement » scandaleux visant l’honorabilité d’Eric Woerth…

De quoi s’agit-il en fait :

Un enregistrement pirate des propos tenus par le gestionnaire de l’actionnaire majoritaire, monsieur Patrice de Maistre, le patron de Clymène, la société qui gère certains actifs de L’Oréal fait ressortir :

1 – que la femme du ministre, Florence Woerth, avait été embauchée en 2007, à la demande de son mari, dans l’entreprise chargée de « gérer » la fortune de Liliane Bettencourt (l’une des plus considérables de France, évaluée à 11 milliards d’euros).

2 – que cette activité visait à « optimiser », comme on dit, cette dite fortune, c’est-à-dire à lui permettre d’échapper à sa fiscalisation en France.

3 – que l’actionnaire principale de l’Oréal (30% des actions), admet cette évasion vers des paradis fiscaux (Suisse, Uruguay…), et sa possession, non déclarée, d’une île dans les Seychelles, d’une valeur estimée à plusieurs centaines de millions d’euros.

4 – que, contrairement aux déclarations d’Eric Woerth, l’évasion fiscale constituait une éventualité probable, qui a conduit le juge Courroye à transmettre aux services fiscaux, dépendant du ministère du Budget, une demande d’enquête approfondie dès 2008.

5 – que cette requête n’a été suivie d’aucun effet…

6 - que le ministre, gérant le budget de la France, parallèlement celui de l’UMP en tant que trésorier du parti majoritaire…

7 – qu’à ce titre, il présidait le « Premier cercle », l’organisation collectant les plus généreux donateurs de l’UMP (400 riches cotisants, versant jusqu’à 7500 euros annuels au Parti) ;

8 – que parmi ceux-ci, on pouvait nommer Liliane Bettencourt, soupçonnée de fraude fiscale massive, fraude organisée par Clymène, à laquelle était associée Florence Woerth ;

9 - qu’en outre, Eric Woerth réunissait des fonds privés au bénéfice d’une association personnelle, domiciliée à Chantilly, ville d’où il est maire.

10 – que le ministre du Budget était assez intime avec la patronne de l’Oréal pour déjeuner avec elle en janvier 2008.

11 - que ce déjeuner a eu lieu quelques jours avant que Liliane Bettencourt ne bénéficie d’un chèque de 30 millions d’euros de l’Etat, dans le cadre du "bouclier fiscal", mesure phare de Nicolas Sarkozy en faveur des privilégiés de la fortune.

Tous ces faits sont aujourd’hui du domaine public, relayés par tous les médias.

Mais, posons la question, cette saga financière et ces intérêts mêlés n’engagent-t-ils que la responsabilité d’un seul homme, fût-il ministre, comme la virulente campagne socialiste le laisse penser ?

« Exiger » la démission d’Eric Woerth réglerait-il le problème ?

N’est-ce pas, de la part des dirigeants du PS, une manœuvre dilatoire esquivant l’essentiel, qu’il refuse de prendre en compte ?

Quel est donc « l’essentiel » à nos yeux ?

L’affaire en question est emblématique de la dégénérescence d’un système, celui du capitalisme, arrivé en bout de course. La concentration des capitaux et la globalisation des échanges, liée à son accélération dans le temps et dans l’espace, facilitée par les nouvelles techniques de communication, conduisent à une concentration inouïe du capital.

Les entreprises, en proie à une concurrence sauvage, se font une guerre sans merci à l’échelle mondiale, situation aggravée par l’entrée en lice des économies des pays émergents, qui veulent leur part du gâteau.

L’exploitation éhontée des salariés et de la population des pays du tiers monde, les délocalisations massives de la production dans les Etats à bas coût de main d’œuvre, ces moyens utilisés massivement, ne suffisent plus au grand patronat pour atteindre ses objectifs.

Pour obtenir une rotation toujours plus rapide du capital et la réalisation de profits toujours plus élevés et à court terme, pour pratiquer la spéculation à grande échelle, le concours du pouvoir politique est, plus que jamais, impératif. Celui-ci ferme les yeux sur les opérations illégales des banques et des grandes entreprises, sur leurs paradis fiscaux qui leur servent de paravent.

Il faut, en plus, que les budgets nationaux soient mis à contribution

Des coupes sombres réduisent les dépenses à caractère social de l’Etat, la santé, l’éducation, les retraites, la fonction publique, pour mettre au service des possédants les milliards ainsi « économisés ».

Toutes les conquêtes sociales – et politiques – la protection et les droits syndicaux des salariés, le Code du travail, sont considérés comme autant « d’entraves » à l’envol des profits privés.

Le gouvernement n’est plus que le « chargé d’affaires » du grand patronat.

Et nos dirigeants ne l’avouent-t-ils pas quand ils motivent leurs réformes par la nécessité première de « rassurer les marchés » ?

Les pouvoirs en place en France comme dans toute l’Union européenne, ne font que traduire juridiquement, par la loi, les désirs du capital.

Et rien d’autre.

Une bonne raison pour les détenteurs de capitaux d’en être reconnaissants aux gouvernants. Le Premier cercle des bienfaiteurs de l’UMP, et plus massivement les grandes entreprises, leurs actionnaires, ne sont pas des ingrats. Ils payent bien les services rendus.

Parfois, leurs largesses bénéficient, au-delà du parti, à certains de leurs membres, pris individuellement, pour services rendus. Florence Woerth entre au Conseil d’Administration d’Hermès. Des voyages de luxe sont offerts à celui-ci, à celui-là. On fait partie du même monde. On se retrouve entre amis au Fouquet’s, sur un yacht de Vincent Bolloré…

Mais ce ne sont que scories d’un système, dont l’essentiel, est la confusion totale de la puissance publique et des intérêts privés, la première au service des seconds.

« L’affaire Woerth-Liliane Bettencourt-L’Oréal » n’est que le dernier avatar d’une société sur le déclin, d’un monde qui n’en finit pas de mourir. Cette affaire est un signe, parmi beaucoup d’autres, de la dégénérescence d’un système totalement pourri.

Le problème ce n’est pas Eric Woerth, c’est le capitalisme.


📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende