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Tribune

Le sport met la nature à sac

« Tous ces lieux du sport-spectacle puisent sans vergogne dans les ressources naturelles (eau, air, terre), martyrisent le milieu organisé par les hommes (jardin paysager, rive aménagée), et pis, captent ou détruisent une nature désormais gênante. »

Le vote de la Fédération française de tennis [le 12 février 2011] a mis fin au faux suspens d’une décision dont on connaissait par avance le résultat sans pour autant en apprécier toutes les conséquences. La volonté farouche de construire un nouveau stade de 5.000 places, à l’endroit même où se dressent plusieurs serres d’Auteuil, doit se comprendre dans le cadre d’une politique générale menée par les instances sportives et politiques dont la seule préoccupation est le prestige des compétitions de haut niveau.

Mais ce sont également : le stupéfiant stade de 42.000 places sur le bord même du lac d’Annecy, un projet satisfaisant le délire de gigantisme de la ville- candidate et du CIO pour les JO de 2018 ; l’emprise territoriale et marchande de l’« OL Land » ; le Qatar organisant la Coupe du monde de football en 2022 et promettant des stades climatisés (25° à l’intérieur pour 50° à l’extérieur !) ; le 1,7 milliard dépensé pour la rénovation et de la construction d’une douzaine de stades (Euro 2016). Tous ces lieux du sport-spectacle puisent sans vergogne dans les ressources naturelles (eau, air, terre), martyrisent le milieu organisé par les hommes (jardin paysager, rive aménagée), et pis, captent ou détruisent une nature désormais gênante.

La mise à sac de la nature est induite par la logique même de la compétition sportive. Son besoin irrésistible de conquête de terrain se traduit par le bétonnage irréversible de sites fragiles. Par exemple la montagne connaît une dégradation rapide du fait d’installations mécaniques et d’habitations de plus en plus denses, un réseau serré de transports, et aussi la destruction de la couverture végétale naturelle (bombardée par les canons à neige), la compression des sols, l’augmentation des risques de glissement de terrain, d’érosion et d’avalanches. La préparation des JO de Sotchi pour 2014 déboise des forêts entières protégées par l’Unesco. A Paris est projetée la destruction pure et simple d’une partie d’un patrimoine bâti et botanique unique, les serres d’Auteuil, préservé depuis des années par un personnel qualifié, vigilant et dévoué, et vis-à-vis duquel la FFT et Bertrand Delanoë voudraient substituer un nouveau stade et agrandir un « village » pour les mondanités et l’exhibition médiatique des people.

A quel titre considérer Roland-Garros comme un patrimoine culturel et architectural ? Roland-Garros fut, au début des années 40, un camp d’internement pour 600 « étrangers indésirables », c’est-à-dire les Allemands, Autrichiens, Espagnols expulsés de leur pays… Les 4 mousquetaires, dont on nous rebat les oreilles, comptaient parmi eux Jean Borotra, dirigeant du commissariat général à l’Education et aux Sports du 7 août 1940 au 18 avril 1942. Le 13 septembre 1941, il écrivit à Xavier Vallat, commissaire général aux questions Juives : « […] il n’entre nullement dans ma pensée de soustraire les organismes dont j’ai la charge aux mesures d’ordre général qui ont été prises pour éliminer les Juifs de tout poste ou emploi impliquant l’exercice d’une fonction de direction sur l’une des branches de l’activité française. […] L’agrément ministériel, condition de leur existence, ne pourra donc être accordé qu’aux associations dont le comité ne comprendra aucun Juif. Pour les mêmes raisons, je m’abstiendrai de désigner des Juifs dans les postes que je serai appelé à pourvoir, soit au Comité national des sports, soit aux fédérations sportives : le caractère d’intérêt général de ces organismes me paraît justifier suffisamment une telle décision […]. »

Une « place des Mousquetaires » comme patrimoine tennistique ? Où est le caractère de culture et d’histoire patrimoniales d’un stade lorsqu’il s’agit d’un bloc de béton aveugle, tournant le dos à la subtile beauté plastique d’un parc, réceptacle vide onze mois sur douze et dont l’ombre portée cachera les serres et une grande partie du parc ? Le nouveau stade sera une tache indélébile au cœur d’un magnifique parc peuplé d’arbres d’essence rare et de milliers de plantes tropicales parfois uniques.

La « sportivisation » de la ville et de la montagne a pour conséquence la régression des espaces naturels et leur chosification : pelouse synthétique, neige produite en tant qu’artefact, terre battue circonscrite par des lignes blanches, air climatisé… Tout stade, s’il intègre nombre d’individus, n’est intégration qu’au seul spectacle du sport. Le stade et le sport ne sont jamais intégrateurs d’aucune culture et n’en ont jamais créé d’originale. Un revers lifté vaut-il un Kandinsky ? Un stade tient-il la comparaison avec un parc arboré ? Le stade est désintégrateur du lieu où il s’impose. A Auteuil, ce sera pour subir la pollution des allers et venues dévastateurs de spectateurs piétinant un jardin sensible. Paris et le « Grand Paris », si tant est que ce concept corresponde à une réalité, méritent mieux qu’un tournoi de tennis. Et il en est de même de régions entières et de pays touchés par le fléau du sport de compétition.


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