« Le système a plein de morts sur la croissance… la conscience, pardon »

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A Lyon, de nombreux opposants refusent le projet d’un grand stade football inutile et coûteux. Quelques zadistes, dont Eric Pétetin, étaient jugés mardi. L’occasion d’aller au fond du problème. Reporterre a suivi l’audience.
- Reportage, Lyon
« Monsieur Pétetin, vous êtes connu des tribunaux pour votre engagement politique et votre lutte dans les Pyrénées, notamment, dans les années 90. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de votre venue dans la région lyonnaise ?
- Je suis venu pour défendre la planète Terre et mener le combat face à ce projet de Grand Stade qui est une aberration de notre société capitaliste.
- Vous êtes plutôt écolo ?
- Oui, franchement écolo.
- Est-ce que ce combat peut motiver toute forme d’action ?
- Je pense, oui. Défendre la nature est le plus important, c’est un bien public, la seule vraie richesse de l’humanité.
- Mais jusqu’où la transgression écolo peut se permettre d’enfreindre l’action collective et l’intérêt général ? »
Cet échange entre le président du tribunal de première instance de Lyon et Eric Pétetin, principal prévenu, a ouvert l’audience de plusieurs zadistes lyonnais ce mardi 26 novembre. Le débat juridique s’est orienté sur l’opposition entre légitimité et légalité, entre le droit de manifester et le droit public.
Etienne Tête, avocat de la défense des zadistes, souligne la nécessité de l’égalité de traitement entre tous les citoyens. « Quand le maire de Lyon traite les écologistes de ‘‘Khmer vert’’, je constate qu’il n’y a pas de problème… Ces affaires ont à voir avec la liberté du débat politique. Pour qu’une démocratie fonctionne, on a besoin de ce débat public et de ces personnes qui défendent une cause militante. Cela vaut plus que quelques dégradations ».
Qu’est-il reproché exactement aux quatre zadistes nommés au prétoire ? Diverses actions symboliques d’opposition au projet de Grand Stade à Lyon. Le 6 mai 2013, deux d’entre eux sont arrêtés sur les chantiers et arrêtés pour opposition à travaux publics. La défense plaide : « Pourquoi l’opposition aux travaux d’utilité publique aurait-elle un régime dérogatoire aux méthodes habituelles et pacifiques que constitue le droit de manifester et la liberté d’expression ? Comment cet acte non-violent peut-il devenir un acte répréhensible, quand dans le même temps, en France, certains brûlent des portiques écotaxes sans être poursuivis… ? »
Dans cette affaire du 6 mai 2013, les deux zadistes sont également accusés de port d’armes de sixième catégorie, des armes blanches : un couteau et un Opinel. L’avocat interroge : « Qu’appelle-t-on arme ? Un Opinel, tous les scouts de France, tous les chasseurs, tous les campeurs en possèdent. Sont-ils arrêtés pour cela ? Mes clients sont sans domicile fixe : comment pourraient-ils se nourrir sans couteau ? ».
Le 13 juin 2013, à 6h05 du matin, Eric Pétetin a par ailleurs été surpris à la station de métro Charpennes en train de tracer un graffiti. Lequel ? « J’écrivais le mot ‘‘ténèbre’’ » précise le prévenu. « Un bon mot », reconnaît en souriant le président de séance, en référence au nom du projet contesté, le Stade des Lumières. Les deux hommes s’accordent sur une chose : le métro est un moyen d’expression visible, un « vecteur de propagande ». Problème : « Le graffiti est réprimé par la loi » rappelle le juge.
Le 24 juillet 2013, un agent de police porte plainte contre un individu qui l’insulte de « facho » et de « nazi ». Nouvel échange entre M. Pétetin et le juge :
"- Pourquoi ces mots aux connotations historiques fortes, Monsieur Pétetin ?
- Nous faisions une manifestation pacifiste et le policier nous menaçait avec ses bombes lacrymogènes. Ce sont les méthodes violentes du capitalisme que nous dénoncions.
- Mais en est-on là aujourd’hui : le système économique mondial est-il comparable à l’Holocauste ?
- Il est même pire, car beaucoup plus global et étendu dans ses conséquences. Regardez la faim dans le monde, aujourd’hui. Le système a plein de morts sur la croissance (sic)… la conscience, pardon.
- Monsieur Pétetin, vous voulez dire qu’il y a préméditation de certains intérêts économiques, que ces opérations économiques sont comparables à la planification scientifique d’extermination de la seconde guerre mondiale ?
- Je ne sais pas, je ne suis pas dans la tête de ceux qui gouvernent la planète.
- Mais enfin, vous savez bien que personne ne gouverne vraiment la planète… »
Le 15 octobre 2013, quatre personnes montent sur des engins de chantier pour empêcher l’évolution des travaux. De nouveau, le motif d’interpellation est l’obstruction à travaux publics. L’avocat de la défense entre dans le fond du dossier : il s’agit de contester la légalité de la déclaration d’utilité publique. Il dénonce les aides publiques « irrégulières » à une entreprise privée - 40 millions d’euros du conseil général, 20 millions de la Caisse des Dépôts et Consignations –, un prix d’expropriation des terrains publics fixés étrangement dès 2007, des taux de remplissage du stade insuffisants, seulement 3 000 places supplémentaires au final, qui n’ont pas raison d’être, selon lui, au regard des résultats sportifs du club de l’Olympique lyonnais.
Les arguments sont nombreux pour dénoncer la viabilité économique du projet. « Jusqu’où considère-t-on un tel projet privé d’utilité publique ? Le seul intérêt du stade, c’est la grosse plus-value immobilière qu’il va offrir à quelques acteurs qui ont monté ensemble le projet… », conclut Etienne Tête.
Le verdict sera prononcé le 5 février 2014. Les peines encourues par les prévenus sont des amendes de quelques centaines d’euros et des travaux d’intérêt général.
La salle d’audience, pleine, se vide peu à peu après plus de cinq heures d’argumentation. Parmi la quarantaine de personnes venus pour soutenir les zadistes, Thierry Manceau, membre de l’association « La Ruche de l’écologie » ; il travaille dans les Monts du Lyonnais : « Les zadistes sont des résistants de l’écologie, comme l’étaient à l’époque ceux du Larzac, dit-il. Les problématiques sont semblables entre ces deux combats, il s’agit de défendre des terres agricoles face à la spéculation foncière. La vraie question est celle de l’intérêt général. Pour moi, c’est de disposer de terres vivables pour les générations d’aujourd’hui et de demain. Ce soir, le droit nous dit qu’au contraire, c’est l’expropriation de terres agricoles pour des projets de bétonnage ».