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Tribune

Le vent nous porte sur le système

« Ou comment être antinucléaire sans devenir pro-éolien »

« L’éolien est le nom du refus de toute transformation radicale de la société »


Les champs d’éoliennes se multiplient. Cette industrie crée des emplois. Pour l’écologie citoyenne, la remettre en cause c’est « naturellement » être pronucléaire. Et pourtant…

Un antinucléaire anticapitaliste

Cette brochure (1) part du constat du dérèglement climatique étroitement lié à la consommation croissante de combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel) : « Politiciens, hommes d’affaires, scientifiques lanceurs d’alertes experts nous somment de rejoindre leur union sacrée, censée nous préserver durablement de la catastrophe tout en nous épargnant le sacrifice de ce mode de vie “non négociable” au premier rang duquel se tient fièrement notre consommation d’électricité (2) » qui, en France, a triplé entre 1973 et 2005. Rappelons que la production d’électricité en France provient à 80 % de l’énergie nucléaire, qui est l’atout maître des pouvoirs économiques et politiques permettant d’assurer le confort du plus grand nombre sans aggraver l’effet de serre. C’est ainsi que la France et d’autres Etats reprennent le parti du nucléaire sans oublier leurs besoins militaires. « Aujourd’hui, la contestation antinucléaire est presque entièrement accaparée par des organisations écologistes de lobbying raisonnable, acceptable, disposant de moyens financiers aussi confortables que leurs mots d’ordre. » Le réseau Sortir du nucléaire et Greenpeace récusent la relance du nucléaire au nom de rationalités économique et écologique. Le nucléaire est trop dangereux, c’est un gouffre financier, les réserves d’uranium s’amenuisent, le Réseau allant jusqu’à affirmer, sans rire, que le nucléaire est une « énergie archaïque(3) ».

Mais le nucléaire est loin d’être seulement un choix technologique ; c’est aussi un choix de société centralisée, policière, fait par l’Etat français au sortir de la guerre, en 1945. Cet Etat en tire les bénéfices en se montrant comme étant « le seul recours à la peur qu’il suscite lui-même : il s’occupe de tout, il est nécessaire ». « Loin de désirer un possible au-delà de la société industrielle et de l’Etat, Greenpeace et le Réseau se font un plaisir de suggérer des alternatives compatibles avec l’aberration existante : sortie du nucléaire étalée dans le temps – comme s’il en restait –, économies d’énergie pour changer dans la continuité et, cerise sur le gâteau : l’éolien industriel pour l’électricité. »

Les capacités techniques des éoliennes

Il y a un peu plus de 2 000 éoliennes terrestres installées sur le territoire métropolitain français d’une puissance comprise entre 1 et 3 MW. Cela fait au total 3 300 MW, soit le vingtième de la puissance nucléaire. Mais, au niveau des quantités d’électricité produites, l’éolien industriel produit 75 fois moins que le nucléaire ! Eh oui ! Les éoliennes ne fonctionnent que lorsqu’il y a un vent régulier de 15 à 90 km/h. L’éolien a un facteur de capacité (4) d’environ 20 %, contre 75 % pour le nucléaire, de 30 à 60 % pour le charbon et 40 % pour l’hydraulique. Le Grenelle de l’environnement s’est fixé l’objectif d’une puissance éolienne de 25 000 MW en 2020… Ce qui signifie l’installation de 900 éoliennes par an de 2 MW chacune pendant douze ans. C’est ainsi que pour remplacer la totalité de la production électronucléaire en 2008, il aurait fallu au moins 100 000 éoliennes, soit une tous les 5 km2 ! Impossible ! Au niveau technique, « on peut conclure qu’il n’y a pas à envisager pour l’éolien industriel, quoi qu’en disent ses promoteurs de tout poil, de fantastique perspective de développement, compte tenu de ses faiblesses structurelles par rapport aux modes de production dits classiques. Même dans les pays qui l’ont développé massivement ces dernières années (Allemagne, Danemark, Espagne), l’énergie éolienne » représente au maximum 20 % de l’électricité produite. Ces Etats ont dû d’ailleurs mettre en place de puissants moyens thermiques capables de pallier les manques de vent. Les techniciens du Réseau ont leur solution pour résoudre le problème de l’intermittence du vent : le couplage écologiquement optimal entre l’éolien et l’hydraulique. Là, c’est théorique, mais le Réseau n’hésite pas à argumenter : « Seuls ceux qui ne croient pas au progrès sont sceptiques sur la mise en œuvre de ces techniques “antiintermittence” » !

Un investissement alibi vert

Areva, Siemens, General Electric, EDF, Total, etc., sont « toutes à jour de cotisation au Syndicat des énergies renouvelables. Ces entreprises ont créé des filiales ou absorbé des sociétés déjà présentes sur le marché, dont certaines spécialisées dans l’éolien industriel… Il y a de fortes chances que le renouvelable reste pour elles une rente parmi d’autres, mais surtout un commode alibi vert, profitable à leur image de marque. » Le Réseau s’en félicite tout en regrettant qu’Areva ou Total continuent de développer leurs activités dans le nucléaire ou les énergies fossiles. Afin de promouvoir cette industrie, le Réseau n’hésite pas à « faire gratuitement sur son site la retape pour le compte des industriels de l’éolien (5) ». Pour conclure ce chapitre : « L’éolien est le nom de l’eau tiède citoyenniste visant à nous maintenir, via le développement de technologies “propres”, dans le bain bouillant du système capitaliste (…) ; il est en somme le nom du refus de toute transformation radicale de la société. »

Le désastre

Après avoir évoqué les points faibles des luttes anti-éoliennes en Lozère, la brochure s’attache à montrer que la seule position réaliste réside « dans la critique complète et énergique de la société capitaliste industrielle : pourquoi tant d’énergie ? Pour quels besoins ? Pour quel genre de vie ? » Dans notre société capitaliste, l’électricité, quel que soit son mode de production, ne constitue que 23 % de l’énergie totale consommée. Les consommations de l’industrie et des transports représentent 58 % de cette énergie totale. L’évolution de la consommation d’énergie de la société industrielle est désastreuse. Ce désastre est environnemental mais aussi social.

Ce dernier aspect est primordial puisque seule la résolution préalable du problème qu’il pose pourrait limiter les dégâts du désastre environnemental. « La société industrielle comme nous l’entendons (…) désigne l’industrialisation incessante et autoritaire d’une part croissante de la vie individuelle et sociale : du travail, des “loisirs”, de l’alimentation, de la santé, de l’habitat, des déplacements, du temps, de l’espace, etc. Capitalisme, Etat, « progrès » scientifique et technologique, somnifères citoyennistes, croyances écologistes diverses, tels sont les leviers de cette machine à soumettre. Tout projet d’émancipation qui viserait à donner aux individus le pouvoir, confisqué de si longue date, de maîtriser leur destin collectif serait donc nécessairement et tout à la fois anticapitaliste, anti-industriel, antiscientiste et anti-étatique. » Nous, nous ajouterions antipatriarcal…

Denis

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Notes :

(1) 32 pages, format A 4, elle est éditée par le collectif libertaire antinucléaire amiénois : CNTAIT, 8 rue des Cordeliers, 80000 Amiens.

(2) Toutes les citations, sauf indication contraire, sont extraites de cette brochure.

(3) Cf. « Eoliennes : vent de polémiques », août 2008.

(4) Rapport en prourcentage entre la production d’électricité annuelle d’une installation et la quantité maximale théorique qui aurait dû être produite pendant un an.

(5) h t t p : / / w w w . s o r t i r -... : > s ’ i n - former>brochures>aberrationnucléaire> renouvelables.


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