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Les déboulonneurs repartent à l’attaque des écrans pub video

Une action antipub a été menée samedi 24 novembre à Paris par les Déboulonneurs. Objet visé : les écrans video que multiplie la RATP, gaspilleurs d’énergie et attracteurs de cerveaux.


-  Reportage, Paris

Un mois avant la période des fêtes, ce n’est pas l’architecture qui attire le flot de passants se pressant sur le boulevard Haussmann. Mais samedi 24 novembre, le ballet des emplettes a été perturbé par la centaine de personnes qui s’étaient réunies devant les portes des grands magasins, pour soutenir l’action du collectif des Déboulonneurs. Venus de Paris, Lille et Rouen, 17 d’entre eux avaient ainsi prévu de « barbouiller » des panneaux publicitaires parisiens, protestant contre l’invasion de l’espace public par les messages commerciaux et revendiquant la « liberté de réception ». Celle que l’on exerce, par exemple, lorsque l’on décide de plein gré d’aller lire les affichages associatifs limités à un format 50cm x 70cm.

Les objectifs des Déboulonneurs, en bon accord avec les principes de non-violence, restent ciblés et réalistes. Ils concernent les dimensions des publicités ainsi que leur nombre, et impliquent la participation du gouvernement, de la RATP et des élus locaux, notamment par l’instauration de Règlements Locaux de Publicité. Différents niveaux réunis dans le « on ne lâche rien, dans la rue, dans les urnes comme dans les institutions », lancé par Danielle Simonnet (Parti de Gauche), lors de la prise de parole précédant l’action de barbouillage. L’élue du 20e arrondissement a également rappelé les raisons éthiques qui poussent à s’insurger contre la publicité. Entre autres : pollution visuelle, incitation à la consommation et méthodes insidieuses de contrôle des esprits.

Quant à ce qui se fait « dans les institutions », Jean-François Pellissier (élu des Alternatifs) a détaillé l’avancement d’une étude votée en 2010, lors de la séance budgétaire de la région Ile-de-France. Elle permettrait de connaître exactement le coût des panneaux publicitaires, le revenu qui en est tiré, d’éclaircir les responsabilités des régies publicitaires et de la SCNF, et de retirer les écrans ACL, plus connus sous le nom d’écrans « espions ».

Ce fut ensuite au tour de représentants de l’Eglise de la Très Sainte Consommation d’officier : chasuble rouge et verte, euro géant en guise de crucifix, « missel du consommateur » sous le bras, la messe a été dite face aux Grands magasins. A un chant d’introduction dans un latin macaronique à faire pâlir Queneau, ont succédé un credo in Metrobus et Decaux ainsi qu’une prière aux galeries commerciales. Une façon joviale et efficace d’interpeller le public, quelque peu surpris par cette masse agenouillée, scandant avec dévotion : « Publicité, je t’offre mon cerveau et je t’en supplie, dicte-moi mes désirs ».

Après les derniers rappels pratiques sur le caractère non violent de l’action, déboulonneurs, fidèles consommateurs et élus (ces catégories pouvant se recouper) se sont joyeusement acheminés vers la gare Saint Lazare, au son de la fanfare invisible. Leur cible ? Les fameux écrans espions ACL (Affichage à Cristaux Liquides) qui peuplent maintenant le hall des gares ou certaines rames de métro, et s’installent même sur les trottoirs.

A la technique classique des affiches publicitaires (l’œil fatigué se pose sur un panneau et le cerveau gamberge on ne sait trop où), les écrans combinent des phénomènes propres à la télévision. L’impact du message commercial se trouve renforcé par des stimuli extérieurs (lumière, changement de plan), capables de maintenir l’esprit dans un état d’alerte, encourageant le cerveau à recueillir plus d’informations qu’au repos. C’est l’effet menant au constat : « quand la télé est allumée, je ne peux pas en détacher mon regard ».
Outre l’accroissement de l’efficacité biologique de la publicité, la présence des écrans n’est ainsi pas sans rappeler un univers orwellien dans lequel les esprits sont atrophiés par un flot continu de stimulations visuelles et sonores.

A cela, les Déboulonneurs ajoutent une autre critique, à l’instar de cette jeune femme ayant pris soin d’entourer de peinture rouge deux orifices de caméra situés sur la partie supérieure de l’écran espion : « Cela permet d’analyser la réaction des passants et l’efficacité du message. Et de cibler encore mieux le public… Pour l’instant, Métrobus assure qu’il n’y a pas de caméra à l’intérieur. Mais à quoi seraient destinés ces emplacements ? »

Plus qu’un simple gadget technologique, cette modernisation de la publicité devrait donc susciter une certaine méfiance ; les passants font cependant plutôt preuve d’indifférence. Un premier affirme « ne pas voir la pub ». Un deuxième trouve scandaleux d’avoir « sali de beaux panneaux ». Une dame contemple un écran barbouillé :

« Je pense que les publicitaires sont libres de faire ce qu’ils veulent.
- Mais la rue est à vous, non ?
- Ah… Euh oui certainement. De toute façon, la pub ça ne marche pas avec moi. Je n’achète pas. »

Visiblement, l’accueil est un peu plus mitigé qu’au début de la manifestation. Il semble plus facile de rire de l’Eglise de la Très Sainte Consommation que de s’attaquer à ses origines…

Quelques minutes après l’inscription de « Liberté », « Ce panneau me regarde » ou « Légitime réponse » sur une vingtaine d’écrans, la moitié des déboulonneurs est emmenée au poste, escortée par l’ensemble des sympathisants et la fanfare. Carte d’identité à la main, tous revendiquent leur geste et quelques panneaux supplémentaires sont décorés pour forcer la main aux forces de l’ordre peu réactives. Finalement, quatre déboulonneurs seront auditionnés par un officier de police judiciaire, le reste de la troupe étant convoqué ultérieurement ou entamant les démarches nécessaires à une audition volontaire.

Lancé en 2005, le collectif compte ainsi sur d’éventuelles poursuites judiciaires pour continuer à avoir une tribune dans les médias. Après une période de creux, où les sorties réunissaient une quarantaine de personnes, le mouvement semble reprendre un nouveau souffle en privilégiant la qualité des actions à leur quantité. A en juger par le nombre de sympathisants réunis samedi dernier, la stratégie a été payante !


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