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Les députés s’inquiètent enfin du nucléaire

Le 16 mars, des parlementaires ont écouté ministres et spécialistes leur parler de la catastrophe de Fukushima. L’IRSN indique que le nuage radioactif fait plusieurs dizaines de kilomètres. Le groupe socialiste demande l’étude des scénarios alternatifs au nucléaire.


L’Assemblée nationale est souvent le lieu des faux semblants. Fausse colère, fausse joie émaillent quotidiennement des débats convenus. Et puis il y a des instants de vérité. C’était le cas cet après-midi dans la salle Lamartine, au sous-sol de l’affreux bâtiment qu’occupe l’Assemblée, rue de l’Université à Paris. Les députés et les sénateurs réunis (en fait les commissions de économiques et de l’environnement des deux assemblées) étaient venus écouter les ministres Nathalie Kosciusko Morizet (environnement) et Eric Besson (Industrie), ainsi que les responsables de la filière nucléaire française. Anne Lauvergeon (Areva), Henri Proglio (EDF), Jacques Repussard (IRSN), Bernard Bigot (CEA), Jean-Jacques Niel (ASN).

Le moins qu’on puisse dire c’est que la représentation nationale n’en menait pas large à l’écoute du récit et des précisions apportées par les intervenants.

NKM avait pris un ton du chirurgien au moment de l’amputation pour annoncer l’étendu des dégâts à la centrale de Fukushima, après le passage du tsunami : « les cœurs des réacteurs 1,2 et 3 sont partiellement en fusion. L’enceinte du réacteur 2 est endommagé, et probablement aussi celle du numéro 3. Des rejets radioactifs s’ajoutent aux rejets volontaires ». « La cinquantaine de salariés de Tepco (l’opérateur) qui restent sur place pour combattre le sinistre prennent des risques pour leur santé et pour leur vie ». Le silence s’alourdit encore lorsqu’elle conclut : « la situation très grave peut s’aggraver encore ». Les parlementaires s’alarment. Jean-Claude Lenoir (UMP), très proche des milieux nucléaires, avoue son désarroi : « nous avions visité les centrales japonaises et avions été très impressionnés par le sérieux des ingénieurs. Nous ne pouvions imaginer un tel accident si proche de Tokyo… » Il questionne : « quelles sont les retombées exactes. Jusqu’où ? L’an dernier les cendres d’un volcan islandais ont fait le tour de la terre. » Réponse de NKS : « si on va au bout des scénarios catastrophes, il peut y avoir des retombées faibles à Saint-Pierre et Miquelon et aussi en Métropole… » Frisson dans la salle où chacun cherche à calculer combien de milliers de kilomètres séparent le Japon de la France…

Les précisions apportées par les « techniciens » sont presque plus terribles. Jean-Jacques Niel (ASN) révèle que le ministre de la santé japonais vient de relever le seuil de radiation admissible, pour les 50 travailleurs demeurant à leurs postes dans la centrale, de 100 millisieverts à …250 millisievert. Et de préciser « il faut qu’il soit volontaires ». Cette barbarie (et ce courage) ne sont pas l’apanage des Japonais, puisque Repussard apporte cette précision : « en France les textes prévoient que dans le même cas, le ministre de la santé peut relever le seuil à 300 millisieverts ».

Anne Lauvergeon décrit le spectacle terrible de Fukushima : « il faut imaginer qu’entre la centrale et la mer, il ya désormais une mangrove. C’est un océan de boue qui rend l’accès très difficile. L’urgence absolue est de trouver tous les moyens pratiques d’apporter de l’eau pour refroidir les réacteurs et les piscines. Il faut 100 mètres cube d’eau par heure et par site. On a pensé aux Canadairs (contre les incendies de forêts), mais il leur faudrait 94 heures de vols pour être sur place. Trop long. Les américains tentent d’envoyer des camions de pompiers utilisés sur les aéroports. » La patronne d’Areva ne manque pas de tâcler Henri Proglio, assis à côté d’elle : « Certains jugeaient le réacteur EPR trop sûr. Sureté et sécurité ne se négocient pas . Il faudra rebâtir la confiance dans nos industries. » Proglio plonge dans ses notes…

Selon le directeur de l’IRSN, Jacques Repussard : « Le nuage radioactif fait plusieurs dizaines de kilomètres. Dans quelques jours il fera plusieurs centaines de kilomètres. Nous allons examiner les avions, les équipages et la passagers d’Air France en provenance du Japon. » Pas de panique pour autant : « la radioactivité » sera inférieure à celle constatée après les essais nucléaires dans la Pacifique… »

Le débat politique est assez convenu, sans doute anesthésié par la force des informations révélées. Jean-Marc Ayrault (PS) se veut néanmoins offensif. Son groupe vient de décider de demander l’étude « loyale » des scénarios alternatifs au nucléaire, brisant un tabou chez les socialistes. Il exige un audit complet des centrales, et il faudra dit-il « avoir le courage d’en fermer certaines si nécessaire ». On sent que la présidentielle de 2012 approche. Le Vert Yves Cochet, qui ne relève pas qu’il est moins seul que d’habitude, demande de soumettre à referendum la sortie du nucléaire « en 25 ans », et l’association de la société civile, en fait les groupes de scientifiques (GSIEN, Crirad) anti-nucléaires à l’audit, le tout sous les huées d’une droite à qui la menace d’un nuage atomique n’a pas retiré ses vieux reflexes pavloviens…

Il y eût aussi l’apparition d’un Maxime Gremetz ivre faisant scandale à cause de voitures en stationnement dans la rue de l’Université. C’était tellement minable qu’on n’en racontera pas davantage.


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