Tribune —
Les épées de bois

« Les porteurs d’épées de bois commandent encore. Mais les esprits changent, et le monde. »
Flânant dans l’actualité énervée, l’on s’attarde sur une passe d’armes fugace entre les candidats préférés des sondages, avant que le zapping politique ne les ait emportés vers de nouvelles et tonitruantes annonces. M. Hollande a promis de bloquer le prix des carburants pendant trois mois, tandis que M. Sarkozy veut mobiliser les réserves stratégiques de la France. N’osant employer le mot de stupidité à l’endroit d’aussi éminents personnages, on regrettera qu’ils n’aient pas eu l’idée de parler vrai, en exposant à nos compatriotes la perspective du pic pétrolier et la nécessité de réduire les gaz à effet de serre.
Il est douteux, au demeurant, que cette démagogie à la petite semaine convainque les Français, qui semblent plus sages que ceux qui sollicitent leurs suffrages. Car, comme nous l’indique le bulletin n° 118 du Commissariat général au développement durable, le trafic automobile s’est stabilisé depuis 2003 (à 424 milliards de km), en réponse à l’augmentation régulière et continue du prix du carburant (+ 2,6 % par an pour le super sans plomb). Nous faisons ce que l’intelligence commande : s’adapter à des conditions qui changent.
Plutôt que de brandir leurs épées de bois, MM. Sarkozy et Hollande devraient parler sobriété, transports en commun et recherche pour réduire la consommation des véhicules. Mais ils croient encore vivre dans le monde ancien, celui de la croissance sans fin et des autos sans souci. Plusieurs surprises les démentent.
La première nous vient d’outre-Atlantique : un des think tanks environnementaux les plus respectés, le Worldwatch Institute, vient d’adopter le concept de « décroissance ». Dans son State of the World, rapport annuel qui paraîtra le 11 avril, il recommande « the degrowth of overdeveloped countries », la décroissance des pays surdéveloppés.
Et voilà que l’Association des régions de France vient de prendre parti pour de nouveaux indicateurs, afin de « mettre fin à la tyrannie du PIB », selon Jean-Jack Queyranne, président de Rhône-Alpes. L’on entend aussi M. Mélenchon expliquer qu’il « s’interdit d’employer le mot croissance » - c’est la première fois qu’un haut responsable politique abandonne le tabou. On se rappelle même que Mme Joly propose un budget fondé sur une croissance réduite à 0,8 %. Décidément, le réalisme n’est pas où l’on croit. Les porteurs d’épées de bois commandent encore. Mais les esprits changent, et le monde.