Les livres pour enfants s’intéressent peu à l’environnement

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L’écologie n’intéresse guère les éditeurs de livres pour enfants. Le Salon du livre de jeunesse, qui s’est achevé le 2 décembre, ne présentait que peu de livres parlant de la nature. « Si on n’apporte aux enfants que du numérique et des histoires toutes faites, on aura des zombies dans quinze ans ! », prévient un éditeur.
- Reportage, Montreuil (Seine-Saint-Denis)
Quoi de mieux qu’un livre pour transmettre aux plus jeunes des valeurs comme l’écologie ? « La littérature jeunesse s’adresse aux générations futures. Elle a donc un pouvoir incroyable pour façonner le monde de demain, notamment en ce qui concerne l’environnement », explique Albert de Pétigny, de la maison d’édition Pourpenser. Pourtant, dans les allées bourdonnantes du Salon du livre jeunesse de Montreuil, sur les stands débordants de couleur des éditeurs et des libraires, peu d’ouvrages abordent la thématique environnementale.
Actes Sud met à l’honneur un bel ouvrage sérigraphié, La vie nocturne des arbres. « Il s’agit d’un projet particulier, un coup de cœur, mais cet album est une exception », reconnaît une libraire. « L’environnement n’est pas absent des politiques éditoriales des grandes maisons, précise Frédéric Lisak, directeur de Plume de carotte. Mais ce sont toujours des projets ponctuels ». Suivant les propositions des auteurs et l’humeur du moment. Et la mode n’est pas à l’écologie. « L’intérêt pour les thématiques environnementales s’est émoussé depuis deux ou trois ans », observe Albert de Pétigny. Pour porter les valeurs de l’écologie, plusieurs aventuriers se sont pourtant lancés dans l’aventure de l’édition indépendante.
Sensibiliser par la fiction
Le Sablier Éditions est installé depuis seize ans en Haute-Provence. Sur la table, une série de petits albums, Coucou caché, pour les tout-petits, permet de découvrir le monde qui nous entoure. Dans le dernier paru, une photo de banquise, avec cette devinette : « Qui regarde fondre la banquise ? ». Réponse sur la page suivante... un ours blanc. « La nature est l’un de nos deux piliers. Ça transpire de tous nos livres », constate Manon Gozier.

Afin de faire passer ces valeurs, la maison joue sur l’empathie. « Nous invitons l’enfant à devenir ami avec les plantes ou avec les animaux ». Préférer la poésie à la didactique, l’imaginaire au documentaire. « Nous ne faisons pas du prosélytisme, dit de son côté Frédéric Lisak. Il s’agit de donner le goût de la nature, autour des notions de plaisir et d’émerveillement. Car dire que tout va mal n’est pas une pédagogie efficace ». Sur son étal, de somptueux herbiers attirent le regard des passants.

Plume de carotte est également une des premières maisons à avoir publié des ouvrages de Land art. « C’est un outil d’éveil de la curiosité par l’émerveillement formidable, souligne Frédéric Lisak. Et cela nous permet de toucher le grand public ». Car c’est toujours la question délicate. Comment sortir du cercle confiné des écolos convaincus et des amoureux de la nature ? Albert de Pétigny cherche pour sa part à rendre les livres accessibles. « Pas plus de 12 € ». Et ce, en préférant des impressions simples, sans fioriture.
L’écologie, dès la fabrication
Un choix de fabrication qui procède aussi d’une volonté écologique. « Les livres avec une couverture dure, avec des aspérités et des effets de matière, ont une empreinte environnementale beaucoup plus élevée. Non seulement au niveau du procédé de fabrication, mais aussi parce qu’ils sont imprimés à des milliers de kilomètres, en Chine souvent ». La fabrication du papier est en effet une industrie très polluante.
Avec quinze autres maisons, dont Le Sablier et Plume de carotte, Pourpenser fait partie du Collectif des éditeurs écolo compatibles. Ensemble, ils ont signé une charte de fabrication, les obligeant par exemple à utiliser des papiers labellisés ou à travailler avec des imprimeurs situés à moins de 800 km. « Il est essentiel de mettre nos pratiques en cohérence avec nos valeurs », explique Manon Gozier. Le collectif, informel, existe depuis près de quatre ans. Mais il peine à se faire connaître. « Dans un marché très concurrentiel, où les grandes maisons établies depuis des décennies ont des schémas de fabrication très peu souples, il est difficile de faire changer les mentalités », regrette Albert de Pétigny.
Les éditeurs jeunesse, en sélectionnant, en filtrant les livres qui parviennent jusqu’aux enfants, participent pleinement à l’éducation et à la formation de la génération de demain. « Si on ne leur apporte que du numérique et des histoires toutes faites, sans remise en question, on aura des zombies dans quinze ans ! » prévient Albert de Pétigny.