Mini harpons et protéine urticante, les armes redoutables des chenilles processionnaires

Romain Jacquemin et Hubert Schmuck, experts forestiers, scrutent les chenilles processionnaires du chêne en Moselle, juin 2022. - © Clémence Michels / Reporterre
Romain Jacquemin et Hubert Schmuck, experts forestiers, scrutent les chenilles processionnaires du chêne en Moselle, juin 2022. - © Clémence Michels / Reporterre
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Ses soies microscopiques dotées de harpons la rendent redoutable. Des experts forestiers nous emmènent dans les bois de Moselle à la rencontre de la chenille processionnaire du chêne.
Forêt domaniale de Sarrebourg (Moselle), reportage
Les papillons virevoltent, les oiseaux gazouillent, les arbres offrent une ombre rafraîchissante. Une saison idéale pour aller se promener en forêt ? Pas vraiment. En ce mois de juin, les pollens nous font éternuer, les moustiques nous piquent, et les chenilles processionnaires nous irritent. Romain Jacquemin et Hubert Schmuck, experts de l’Office national des forêts, nous emmènent dans la forêt domaniale de Sarrebourg en Moselle à la rencontre de la processionnaire du chêne, cousine de celle du pin. Depuis quelques années, ce lépidoptère « ravageur », présent en Europe de l’Ouest, notamment dans les régions du nord et de l’est de la France, fait beaucoup parler de lui. Depuis le 25 avril, un décret le classe même comme espèce nuisible à la santé humaine.
Quelques faisceaux de lumière percent les feuillages et éclairent les sentiers de la forêt. Ces bois humides aux températures douces sont un éden pour la biodiversité. La chenille processionnaire du chêne en fait partie. D’arbre en arbre, cette espèce grégaire ne se déplace jamais sans ses consœurs. Comme toute chenille, les processionnaires du chêne fonctionnent par cycle. Un cycle dure un an et se décompose en trois phases. Après l’accouplement des papillons, la ponte a lieu début août. « La ponte représente un amas d’un à deux centimètres de long et cinq millimètres de large pour environ 100 à 200 œufs qui sont protégés du froid par une petite couverture d’écailles jusqu’à fin avril », diit Hubert Schmuck. Ensuite, la phase larvaire comprend six stades de chenilles – entre chaque stade elle va « muer », c’est-à-dire changer de peau. Lors de la phase nymphale, les chenilles forment un cocon pour devenir des papillons. « C’est à partir du troisième stade larvaire que la processionnaire est urticante », dit le spécialiste.

Chaussures de randonneurs aux pieds et jumelles autour du cou, les deux agents de l’Office national des forêts s’arrêtent de temps à autre. Ils observent le ciel, surveillent le haut des arbres, cherchent les nids. « Cette année, ce sont de plus petites colonies, situées à vingt mètres de haut, dit Romain Jacquemin, formant avec ses bras un nid invisible de la taille d’un ballon de baudruche géant. L’an dernier, il y avait des nids parfois longs de deux mètres. »
« C’est comme se baigner dans un paquet d’orties »
La prolifération des chenilles est cyclique. « Le nombre de chenilles va augmenter au fil des années, poursuit Hubert Schmuck. Au bout de six ou sept ans, les colonies vont fortement diminuer, en raison de famines si elles ont mangé toutes les feuilles, du fait aussi des prédateurs, des conditions météo, ou encore de virus. Mais elles ne disparaissent jamais vraiment. » En conséquence, lorsque ces chenilles phytophages se développent à un niveau « épidémique », elles affaiblissent les chênes et les rendent plus vulnérables aux maladies et champignons. Chez les humains et les animaux, elles provoquent démangeaisons, rougeurs et boutons. « C’est comme se baigner dans un paquet d’orties. Ce ne sont pas ses poils visibles à l’œil nu qui sont urticants, mais les “soies”, microscopiques », commente Hubert Schumck. « Lorsque la chenille se sent en danger, elle éjecte de son dos des soies creuses et dotées de harpons qui contiennent la protéine thaumétopoéine, urticante pour l’humain. » Ces poils peuvent aussi se déposer sur la cornée ou, via inhalation, toucher les voies respiratoires et le système digestif.
Christophe Bailly est référent local de la processionnaire du chêne à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae). Il étudie cette espèce depuis 2012. Pour faire face aux « épidémies » de processionnaires, ce spécialiste cherche les méthodes pour atteindre la chenille « sans avoir un impact sur les autres insectes » : « Il est possible de pulvériser sur les feuillages des arbres infestés et depuis le sol un bio-insecticide contenant la bactérie Bacillus thuringiensis kurstaki. » Il ne fait pas l’unanimité. « Il s’agit d’un produit de synthèse, pourtant vendu comme naturel, déplore Alexis Borges, membre de l’Observatoire des chenilles processionnaires et de l’Office pour les insectes et leur environnement. Il peut avoir un impact sur près de 555 espèces de chenilles, ainsi que sur les autres habitants autour du chêne. Il existe des traitements alternatifs, comme les phéromones de synthèse, mais cela reste limité. »

Utilisé en automne durant la phase d’accouplement, le piégeage phéromonal « n’attire presque pas les papillons », assure Christophe Bailly, qui regrette que cette méthode ne soit « pas efficace ». « Les prédateurs naturels peuvent aussi réguler », complète Alexis Borges. Les chenilles sont une source de nourriture pour de nombreux insectes, comme le calosome sycophante, une sorte de scarabée, ou le sylphe à quatre points, ainsi que pour les oiseaux, notamment les mésanges. « Attention à nouveau », prévient Hubert Schmuck, « poser des nichoirs partout ne va pas régler la situation, car aucun oiseau ne mange uniquement la processionnaire. De plus, ces oiseaux préfèrent généralement les chenilles glabres aux poilues ». D’autres techniques existent pour lutter contre cet insecte, comme la destruction des nids en pulvérisant de l’eau savonneuse puis en les incinérant, ou encore la pose de pièges pour les empêcher de descendre de l’arbre.

« Ce n’est pas une espèce exotique ni envahissante, le problème existe depuis des décennies, dit Hubert Schmuck. Les déplacements de la processionnaire du pin vers le nord du territoire sont un effet du réchauffement climatique. Ce lien est moins évident avec celle du chêne. » « Cet insecte présente, contrairement à la plupart de ses congénères, un développement larvaire hivernal. Il se trouve, pendant ce stade, favorisé par une augmentation même minime de la température hivernale qui régule ses chances de survie », explique ainsi le site du ministère de la Transition écologique. L’expansion de l’aire de répartition de la chenille processionnaire du pin fait d’ailleurs partie des indicateurs du changement climatique retenus par l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc).
Les trois experts conseillent aux promeneurs d’éviter de s’approcher des chenilles en forêt. « Nous allons bientôt réinstaller des panneaux informatifs en lisière », ajoute Romain Jacquemin. « Le but n’est pas d’éradiquer cette espèce autochtone, mais de limiter son impact », conclut Alexis Borges.