Tribune —
On peut se désintoxiquer de la télévision !

Durée de lecture : 10 minutes
« Zéro télé, voilà un exploit titanesque pour un enfant moderne branché à la télé et à la tablette numérique depuis le berceau, d’où l’importance de bien préparer les enfants au sevrage. »
Dans un article précédent, on a vu que l’exposition à la télévision et autres aux écrans contribue à l’obésité de diverses façons.
La Coalition québécoise sur la problématique du poids (CQPP) est catégorique : trois cas d’obésité sur 10 chez les 12-17 ans pourraient être prévenus si l’on diminuait le temps-écrans à moins d’une heure/semaine. (1) Pendant que les écrans empêchent les enfants de brûler des calories, la publicité leur vante des habitudes et produits alimentaires malsains.
Les produits les plus annoncés sont des aliments : aux États-Unis, les chaînes privées diffusent 4 000 pubs alimentaires par année, soit l’équivalent de 30 heures. Les dessins animés du samedi matin en sont infestés. Les diffuseurs y insèrent une pub alimentaire aux 5 minutes et dix-neuf fois sur 20, les aliments annoncés ont une valeur nutritive nulle ou négligeable.
Pour garder nos enfants en santé, faut-il diminuer l’écoute de la télévision ou augmenter l’activité physique ? Pourquoi pas les deux ? (2) Dans plusieurs dizaines d’écoles primaires où l’on a voulu inciter les élèves à réduire le temps passé devant les écrans, on a pris soin, dès le départ, d’inviter les parents à l’école pour une conférence, suivie d’une assemblée générale décisionnelle.
On a commencé par leur présenter les avantages documentés de la réduction du temps-écrans et l’approche que le personnel enseignant allait utiliser pour préparer les élèves : pas question de motiver les enfants en décrétant ou en menaçant. Pas bâton ni carotte. Les pédagogues professionnels savent comment procéder pour transmettre aux enfants le VOULOIR essayer et le POUVOIR de réussir.
La réduction du temps-écrans est présentée aux élèves comme un un défi, un match, un nouveau sport difficile, extrême. D’où la nécessité pour tous les enfants, petits et grands, de s’entraîner et de s’entraider.
Une fois les bénéfices de la réduction du temps-écrans présentés et l’approche pédagogique expliquée aux parents, ces derniers sont invités à questionner, commenter, débattre du projet proposé avant de passer au vote. Leur accord est important si l’intervention auprès des enfants doit être concertée. Sans cette complicité entre enseignants et parents, les efforts éducatifs donnent le plus souvent des résultats mitigés, parfois même nuls.
Dans la plupart des assemblées de parents, les mamans et les papas présents se prononcent en faveur du projet unanimement. Une fois les résultats du vote connus, la direction de l’école peut, avec l’équipe enseignante, préparer l’échéancier de la période de préparation des élèves (environ 3 mois) et informer tous les parents, y compris ceux qui n’ont pas pu assister à l’assemblée, des dates où l’on gardera les écrans fermés.
Dans certaines écoles, les organismes de la communauté sont invités à assister à la conférence et comprennent spontanément la contribution escomptée : offrir aux familles des activités qui vont intéresser les enfants loin des écrans. Les organismes se font ainsi (mieux) connaître et les enfants font leurs choix, avec l’aide de leurs parents.
Deux types d’activités ont préséance dans les programmes : celui où les enfants participent avec leurs parents, celui des loisirs physiquement actifs. Cela n’exclut nullement la bibliothèque, la soirée de contes, la leçon de cuisine, le repas collectif, les jeux de société, l’observation des étoiles, la dégustation de fruits, légumes et fromages, le repas multiculturel, l’exposition de jouets, etc. La liste est sans fin.
Toute cette programmation où les voisins se rapprochent, tous les exercices éducatifs réalisés en classe et complétés à la maison, tous ces efforts convergent vers le succès du Défi, avec la participation des élus et des aînés. Résultat ? Plus de 95% des enfants acceptent de livrer le match qui leur est proposé et les deux tiers réussissent à garder les écrans éteints durant 10 jours complets.
Zéro télé, voilà un exploit titanesque pour un enfant moderne branché à la télé et à la tablette numérique depuis le berceau, d’où l’importance de bien préparer les enfants au sevrage. Quatre mots clés servent à gagner ce match bizarre, un nouveau sport extrême contre des professionnels du divertissement : liberté, vérité, solidarité, amitié.
Liberté parce que la décision de participer au match est libre de même que le choix des activités alternatives ; l’imposition d’une diète zéro télé rapporterait des bénéfices, certes, mais jamais autant que lorsqu’elle est voulue, désirée, organisée, préparée.
Vérité, car chacun des points doit être vraiment mérité ; les enseignants valorisent la vérité plus que la quantité. On peut mériter 58 points au total : un le matin, un le midi, un l’après-midi, un 4e au repas du soir, et un dernier en soirée, le plus difficile à mériter. Un jour d’école, on peut donc mériter 5 points. Un jour de congé, 7 points sont en jeu.
Solidarité, car on ne veut pas savoir qui gagne le plus de points, on les additionne. Chaque point compte. Édouard peine à mériter un seul point par jour, pas grave, on l’ajoute à ceux de toute la classe. Cette stratégie crée plus d’entrain que toute autre. On gagne ce match en s’entraidant et toute l’école joue ensemble.
Amitié, la vraie, bien différente de la version tordue proposée par les réseaux sociaux.
L’idée de zéro écran vient du programme SMART expérimenté à la fin de la décennie 1990 par le Centre de Recherche en prévention de l’Université Stanford, en Californie.(3) SMART est l’acronyme de Student Media Awareness to Reduce Television.
Après avoir été validé dans une école primaire de San José, le programme a été implanté dans plusieurs écoles du district Delta Schoolcraft, au Michigan.(4) Résultat ? SMART a permis d’améliorer les habitudes alimentaires : on cesse de manger devant la télévision et on consomme des aliments moins gras. Le programme californien de réduction du temps-écrans est maintenant affiché sur le Portail des pratiques exemplaires de l’Agence de Santé publique du Canada (ASPC) pour prévenir l’obésité.(5)
Mobilisation dans l’école et dans la communauté
Au printemps 2003, une première école québécoise expérimentait un programme de réduction du temps-écrans inédit mis au point par Edupax et endossé par l’Association des comités de parents de la Capitale-Nationale et de la Chaudière-Appalaches. En 9 ans, plus de 100 écoles québécoises ont goûté au Défi 10 jours sans écrans. Les préparatifs étalés sur trois mois permettent aux enfants de développer leur VOULOIR et leur POUVOIR de réduire les écrans au silence pendant 10 jours.
Pour éviter que le projet ne soit considéré comme une activité parascolaire, il faut plus que des activités alternatives. Le programme québécois offert aux écoles comprend des exercices (éducatifs) de sensibilisation, d’expression, d’estime de soi, de jugement critique, d’empathie-compassion-entraide, ainsi que des outils d’évaluation.
En plus de s’adresser aux élèves, les exercices amorcés en classe sont complétés à la maison, rejoignant ainsi les parents, partenaires importants du programme. La préparation au Défi sans écrans touche quatre domaines du Programme de formation de l’école québécoise : santé et bien-être, environnement et communication, vivre ensemble et citoyenneté, médias et communication.
Le rôle des organismes de la communauté est capital : ils offrent aux familles des activités qui permettront aux jeunes de s’intéresser aux réalités qui les entourent et de décrocher des fictions utilisées pour les garder devant l’écran. Les résultats de cette mobilisation concertée quadripartite impressionnent les journalistes qui viennent questionner les enfants. Partout, les activités préférées des élèves pour se libérer des écrans sont l’activité physique, la lecture et les conversations familiales. (6, 7, 8)
En mai 2008, la réduction du temps-écrans traverse l’Atlantique et mobilise le personnel et les parents d’une première école, à Strasbourg. (9) Les médias des quatre coins de la France ont rapporté l’exploit des enfants de façon élogieuse. S’agit-il d’une forme de censure ? Des récompenses ont-elles été promises aux enfants ? A-t-on privé les enfants d’écrans d’autorité ? A-t-on exercé des pressions sur les enfants récalcitrants ?
Les journalistes ont vite constaté que la réduction du temps-écrans s’était déroulée sans subterfuge, sans astuces, sans contrainte. Aurait-on pu obtenir des résultats similaires en organisant une classe-nature ? Le Défi sans écrans a l’immense avantage de permettre aux familles de se réapproprier leurs parcs, leurs espaces publics, leur quartier, leur village. Les parents tissent des liens entre eux et se rapprochent de l’école.
En fait, le DÉFI « 10 jours sans écrans » est tout sauf une punition. C’est un exploit sportif auquel on se prépare au moyen d’exercices éducatifs de haute qualité. Un directeur d’école du Mans a revu les outils pédagogiques québécois pour les parfumer à la Française.(10) Le Défi sans écrans n’est pas un jeûne sacrificiel, mais un arrêt de consommer libre, une victoire d’équipe de 4 partenaires bien préparés : enfants, enseignants, parents, communauté.
La récompense ? La fierté d’avoir surmonté des adversaires puissants et séduisants qui gardent les petits humains assis beaucoup trop longtemps et beaucoup trop souvent. Et pour enchaîner les enfants aux écrans, que leur montre-t-on ? Des choses magnifiques, quelques-unes du moins, auxquelles on a ajouté 100 000 actes d’agression et 8 000 meurtres, que le cerveau du petit humain aura encaissé avant l’âge de 14 ans.
Et en bonus, l’enfant aura aussi subi le bombardement intensif de dizaines de milliers de messages publicitaires par année, proposant tous, avec une insistance raffinée, le bonheur factice de la surconsommation matérielle. Le prix à payer pour cette guerre de conquête du cerveaux de nos enfants ? L’obsession maladive de l’apparence chez nos filles et des troubles de comportement chez nos fils, intoxiqués par des super-héros mâles incapables de régler un différend autrement qu’en exterminant des « méchants » par centaines.
Non, décidément, les écrans bourrés de messages publicitaires ciblant les enfants n’ont vraiment rien à voir avec le bonheur et l’estime de soi. Ils préparent le terrain pour le paradis terrestre du marketing : l’esclavage consumériste.
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Références
(1) Communiqué de la CQPP : http://www.cqpp.qc.ca/fr/priorites/publicite-destinee-aux-enfants .
(2) La Nouvelle / Union. L’obésité, une pandémie réelle, comment la contrer. Janvier 2010.
http://www.lanouvelle.net/Societe/Vie-communautaire/2010-01-21/article-1342357/Lobesite%2C-une-pandemie-reelle%2C-comment-la-contrer%3F/1
(3) Centre de Recherche en prévention, U. Stanford, Californie. http://notv.stanford.edu/
(4) Diaporama du programme SMART appliqué dans plusieurs écoles du Michigan. http://www.takethechallengenow.net/powerpoint/SMART_Plus_TC_1-%2027-2011.ppt
(5) Portail des pratiques exemplaires pour prévenir l’obésité, Agence de Santé Publique du Canada (ASPC).
http://66.240.150.14/intervention/84/view-fra.html
(6) Bilans du Défi 10 jours sans écrans dans différentes écoles du Québec.
http://www.edupax.org/index.php?option=com_content&view=article&id=47&Itemid=60
(7) Vidéo sur le Défi sans écrans relevé à l’hiver 2011 par les élèves de l’école Fréchette, Commission scolaire des Rives-du-Saguenay, co-production Grouille-to-le-Fjord et Québec en Forme.
(8) Documentation relative au Défi 10 jours sans écrans.
http://www.edupax.org/index.php?option=com_content&view=article&id=59&Itemid=64
(9) Institut ÉCO-conseil, Strasbourg, Bilans du Défi 10 jours pour voir autrement.
http://www.ecoconseil.org/decouvrir-nos-actions/sensibilisation-et-formation/le-defi-10-jours-sans-ecrans