Près d’Orléans, les villageois résistent à une vague de béton « sportif »

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L’agglomération d’Orléans compte déjà plusieurs grandes surfaces commerciales dédiées au sport. Qu’importe ! On va en ajouter une autre. Decathlon veut ainsi manger seize hectares de champs à Saint-Jean de Braye, avec l’appui de la mairie. Des habitants s’insurgent.
- Saint-Jean-de-Braye (Loiret), reportage
Une étendue verte coincée entre la ville et la forêt. Une quinzaine d’hectares de friches et de champs. Ce matin, l’air est glacial, le sol humide et boueux. La rocade orléanaise, la Tangentielle, à quelques centaines de mètres, fait entendre son vrombissement continu, mais ne parvient pas à couvrir les gazouillis des oiseaux.
C’est là que le groupe Oxylane, propriétaire de l’enseigne Décathlon, veut construire un village sportif, avec le soutien de la municipalité. C’est là qu’un groupe d’irréductibles villageois résiste encore et toujours à l’envahisseur.
Marie Desbrée habite en bordure de la zone. « Fin 2011, la mairie nous a convoqués pour nous présenter le projet. Un représentant d’Oxylane était là ». Suite à la réunion, un groupe de riverains se rassemble, constitue un collectif, fait signer une pétition. Petit à petit, ils gagnent des soutiens hors de leur lotissement. Leur combat fait écho à d’autres luttes, contre le gaspillage des terres et l’offensive de la grande distribution.
Ils refusent un énième centre commercial inutile et polluant. Mais les élus soutiennent le projet. « Ce projet est innovant, il ne s’agit pas d’urbanisme sauvage, de réaliser un aménagement paysager de qualité », assure Bruno Malinverno, adjoint en charge de l’urbanisme.
Sur le papier, le village Oxylane fait tourner la tête : seize hectares, dont huit d’espaces verts aménagés pour le sport, des activités inédites comme le futsal et l’escalade, et (accessoirement), un magasin Décathlon de 5 000 m2. Mais entre les lignes, de nombreuses questions restent en suspens.
Comment lutter contre l’étalement urbain
Chaque année, en France, 600km2 de terres, soit un département tous les dix ans, se retrouvent urbanisées. Et la progression de ces surfaces est quatre fois plus rapide que la croissance démographique. C’est ce qu’on appelle l’artificialisation des terres et l’étalement urbain.
L’urgence est donc à la préservation d’espaces agricoles, forestiers ou sauvages. Dans cette optique, le collectif demande à ce que le projet Oxylane soit abandonné et que la zone reste destinée à l’agriculture. « La commune de Chécy, à quelques kilomètres, a classé 284 hectares en zone agricole protégée l’année dernière, explique Marie. Pourquoi pas nous ? »
La mairie met en avant un autre argument. « Il vaut mieux que ce centre commercial soit ici, en zone périurbaine, plutôt que plus loin dans la campagne ». D’autant plus que le lieu où souhaite s’implanter Oxylane se situe près d’une zone d’activités commerciales, le Parc technologique Orléans Charbonnière. « Il y a une vraie logique, à l’échelle de l’agglomération », précise M. Malinverno.
Une logique confortée par le document d’aménagement commercial, qui préconise « de créer au plus un nouveau pôle commercial visant à conforter le rayonnement de l’agglomération, par l’accueil de concepts commerciaux modernes, dans le cadre d’une charte architecturale et paysagère fixant des objectifs qualitatifs et de développement durable ».
Et puis il y aurait l’emploi. Oxylane affiche une promesse de 240 embauches. « Mais sans aucun engagement écrit de la part du groupe, dénonce José, membre du collectif. Et on sait qu’un emploi créé dans la grande distribution, c’est précaire, mal payé, et ce sont d’autres emplois détruits dans l’agriculture et le petit commerce ».
Le sénateur Jean Arthuis, ancien ministre des Finances, expliquait ainsi en 2004 : "Le combat permanent pour casser les prix d’achat à travers des centrales d’achats permet d’écraser les prétentions de leurs fournisseurs, tout en ménageant les marges des distributeurs. Les industriels tentent de résister, recherchent désespérément des gains de productivité, puis disparaissent ou délocalisent ».
Réenchanter la consommation
Au demeurant, le village Oxylane répond-il à un besoin ? « Nous avons d’autres magasins de sport à moins de cinq km, et la commune compte de nombreuses associations sportives », souligne le collectif. « Les motifs de visites sur le Village ne seront pas seulement de venir faire ses achats chez Décathlon mais aussi de pratiquer une activité de façon autonome ou encadrée », rétorque Christophe Gratedoux, du groupe Oxylane.
- En rouge, le magasin Décathlon déjà existant d’Orléans (cercle blanc), et les autres grandes surface de sport. En jaune, le projet de village Oxylane -
De fait, le binôme commerce-loisirs a le vent en poupe. Une manière de réenchanter la consommation. Les grandes enseignes plébiscitent les projets qui associent magasins et services culturels (cinéma), récréatifs, de restauration et même non marchands (le Village Oxylane pourrait accueillir une crèche).
La grande distribution se réinvente autour d’une nouvelle idée : « gagner de l’argent non en vendant plus, mais en proposant davantage de services, des bouquets », explique le professeur d’économie Philippe Moati.
Mais cette réorientation se fait au détriment des considérations environnementales. Pour Pascal Madry, directeur du club d’enseigne Procos, interrogé par Alternatives économiques en novembre dernier, « depuis une quinzaine d’années, le parc de surfaces commerciales croît plus vite que la consommation. Il a progressé de 60 %, alors que, dans le même temps, la consommation n’a progressé que de 36 % ».
Ainsi, Procos estime que « la production de l’urbanisme commercial est en hausse de 7% par rapport à 2012, avec 4,3 millions de m2 autorisés ». Certains analystes accusent même les enseignes de la grande distribution de créer une nouvelle bulle immobilière.
Le rôle ambigu des politiques locales
« Cet emballement n’aurait pas été possible sans le consentement des collectivités locales, qui livrent une quantité surabondante de foncier aux projets commerciaux. Dans un contexte de compétition des territoires, la moindre agglomération veut son parc d’activités commerciales, et les emplois et les taxes qui vont avec », poursuit Philippe Moati.
Le collectif SPLF45 estime que les élus sont en fait instrumentalisés par l’entreprise Decathlon. « Pour les politiques, c’est pratique, Oxylane leur livre un projet clé en main, ça permet d’avoir quelque chose à présenter lors du bilan face aux électeurs. »
A la mairie, Bruno Malinverno explique qu’il n’a pas « le pouvoir de dire non » face à la liberté d’installation commerciale. « Si une enseigne comme Décathlon veut s’installer à Saint-Jean-de-Braye, dans une zone prévue à cet effet, qui suis-je pour le lui refuser ? Mieux vaut alors ne pas être en conflit mais accompagner l’enseigne, fixer ses conditions afin d’aller vers le meilleur projet possible. »
Pourtant, la municipalité ne s’est pas contentée d’accompagner. 50 % des seize hectares du futur Village appartenaient à la collectivité, commune et agglomération.
Et il ne s’agit pas d’une question partisane. PS (à la mairie) et UMP (à l’agglo) avancent main dans la main. Même le groupe local d’Europe Écologie-Les Verts, dont un des adhérents est élu au conseil municipal, n’a dénoncé le projet qu’à demi-mot.
Pourtant, la ville se défend de donner carte blanche à Oxylane, insistant sur sa volonté de concertation et de transparence. « Nous avons organisé des ateliers de travail urbain avec les habitants. Ce n’étaient pas de simples réunions d’information, car ils ont abouti à des modifications précises du projet, comme le déplacement des parkings plus loin des lotissements », explique M. Malinverno.
Les opposants au projet dénoncent un simulacre de concertation. « On nous invite à négocier des détails, sans jamais aborder le fond, c’est-à-dire l’implantation d’un centre commercial », précise Yannick.
Les tractopelles engagées pour réaliser le diagnostic archéologique ont commencé par la même occasion à défricher la zone.
Après l’enquête publique, une nouvelle page, plus administrative, s’ouvre. Modification du Plan local d’urbanisme, permis d’aménager, autorisation de la Commission départementale d’aménager commercial. Chacun prépare ses nouveaux arguments. « Nous sommes prêts à aller en justice », affirme le collectif SPLF45. Qui prépare un nouveau rassemblement devant la mairie le 14 février prochain et a lancé une pétition contre le projet.