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Tribune

Quand Cannes fait son cinéma, la Méditerranée trinque

Sous les paillettes du Festival de Cannes se poursuit le lent empoisonnement de la Méditerranée - et de toutes les mers du globe -, par les déchets et les plastiques. Maintenant bien attesté par les recherches scientifiques, cette pollution doit être stoppée par une nouvelle politique des déchets.


En avant-première du palmarès du 64e festival de Cannes, Expédition MED et son laboratoire citoyen de recherche scientifique en milieu marin ont la tristesse d’attribuer à la mer Méditerranée la palme de la pollution. Avec ce conteneur à ordures de la communauté d’agglomération Nice-Côte d’Azur reposant au large de Saint-Jean-Cap-Ferrat (Position : Lat : 43°41’36 N / Lon : 7°19’27 E), le jury voit une terrible mise en abîme de la problématique des déchets en mer : une poubelle au fond d’une mer-poubelle !

Le spectacle de nos détritus jonchant les fonds marins a été observé jusqu’à quatre mille cinq cents mètres de profondeur, et ce, jusqu’à plus de deux mille kilomètres des premières côtes [ selon une étude publiée récemment dans la revue scientifique PLOS One ].

- Observations réalisées au large des côtes -

Ce spectacle relève plutôt d’une mise en abysses des déchets humains qui a de quoi faire frémir le réalisateur James Cameron, passionné des grandes profondeurs, ont ajouté les jurés. L’un d’eux, le chercheur de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), François Galgani affirme que « La Méditerranée est la zone d’Europe la plus affectée, notamment près des grandes agglomérations ».

Cannes ne fait donc pas exception : chaque année en mai, le septième art se célèbre sur la Croisette dans une débauche de champagne, de fêtes, de strass et de paillettes. Mais à quelques encablures de là c’est le monde du silence qui trinque, sans fanfare ni big band. Tandis que les stars en smoking foulent le tapis rouge, sous les marches du palais des festivals s’accumulent des déchets charriés par une rivière souterraine avant de plonger pour un grand et long bain dans la Méditerranée.

Les autorités locales ont beau nettoyer de temps en temps, chaque orage crée une nouvelle décharge sous le palais, les détritus venant de très loin depuis l’intérieur des terres. Lorsque les milliers de festivaliers, journalistes et badauds auront quitté Cannes avec leur moisson de rêves étoilés, d’autographes griffonnés et de sourires forcés, au fond de la baie resteront les mégots, cannettes et gobelets.

A plus ou moins long terme sous l’effet du soleil et de l’eau, ils se disloqueront et viendront grossir les rangs des 250 milliards de micro-fragments plastiques que la première campagne de recherche d’Expédition MED avait permis de révéler en 2010. Les prélèvements que nous avons effectués l’été dernier confirment l’ampleur de cette pollution : entre Marseille et Gênes on trouve par endroits une plus importante concentration de micro-plastiques que dans les grandes zones d’accumulation de déchets océaniques, dont le mal-nommé mais désormais fameux « septième continent de plastique » (gyre du Pacifique Nord).

"Stop plastic in the sea" : Depuis sa création en 2009, Expédition MED a fait de ces quelques mots son slogan et son objectif. Aujourd’hui, devant la gravité de la situation, notre collectif de chercheurs, de marins, d’éco-citoyens engagés interpelle les pouvoirs publics, les décideurs économiques, le monde de l’art et de la culture et bien sûr tous les citoyens pour que chacun fasse sien ce mot d’ordre.

Engagez-vous, rejoignez-nous comme éco-volontaire, changez vos habitudes et faites pression sur les acteurs économiques pour qu’ils changent les leurs. Il existe des solutions pour éviter que cette mer quasi-fermée ne devienne le décor d’un film d’épouvante qui pourrait s’intituler « La nouvelle mer morte ». Aujourd’hui ce scenario catastrophe relève encore de la fiction, alors faisons tout pour ne jamais le laisser devenir réalité. Le festival de Cannes et ses aficionados ont tout à y gagner.


Stop plastic in the sea ! Non au plastique en mer

L’appel du collectif Expédition MED (Méditerranée en Danger)

S’il est techniquement impossible de dépolluer la méditerranée des microfragments plastiques, on peut d’ores et déjà limiter l’hémorragie : tout d’abord en réduisant les déchets à la source, en recyclant et en réutilisant au maximum les objets. Mais ces petits gestes du quotidien ne suffisent pas s’ils ne sont pas soutenus et encouragés par une volonté politique affirmée. C’est pourquoi nous demandons aux élus de la République de voter sans tarder la proposition de loi N°1682 visant à interdire les sacs et emballages « oxo- fragmentables », une arnaque environnementale qui a été jusqu’ici la seule réponse de l’industrie de la plasturgie aux problèmes posés par leurs sacs plastiques. Plutôt que de produire des bioplastiques 100% biodégradables répondant à la norme EN14432, les industriels se sont contentés d’ajouter des additifs chimiques à leurs polymères pour accélérer leur fragmentation, ce qui selon l’Ademe pourrait « même générer des effets négatifs sur l’environnement à travers l’accumulation de résidus dans le milieu ».

Aux industriels, qu’ils soient producteurs ou utilisateurs d’emballage plastiques, nous demandons de substituer -à chaque fois que c’est techniquement possible- des matières 100 % biodégradables aux plastiques traditionnellement utilisés. Si on ne peut imputer aux grandes marques le comportement des consommateurs concernant la fin de vie de leurs produits, elles sont en revanche 100% responsables des matières qu’elles choisissent d’utiliser et donc à plus ou moins long terme de leur impact sur l’environnement. Passer d’une société du tout-jetable à une société durable et responsable nécessite l’implication de tous les acteurs, sans exception.

A l’heure des élections européennes, Expédition MED lance un appel aux futurs eurodéputés et à la Commission Européenne : nous avons besoin d’une action collective et internationale pour faire face à cette pollution. En novembre 2013, après dix ans d’atermoiements, Bruxelles a enfin obligé les Etats-membres à réduire leur utilisation des sacs plastiques à usage unique (épaisseur inférieure à 50 microns) mais en laissant chacun libre de ses moyens d’actions. Or jusqu’ici seule une importante taxation des sacs à usage unique s’est avérée payante pour pousser les industriels à opter pour les emballages en papier ou bioplastique. En France le principe de cette taxe a été voté en 2010 mais on attend encore son décret d’application.

Enfin, il est impossible de faire face à cette pollution par les plastiques sans prendre en compte et associer les pays de la rive Sud, où la gestion des déchets est bien souvent anarchique. Nous demandons que le processus euro-méditerranéen initié à Barcelone en 1995 soit relancé d’urgence afin d’inclure un volet de partenariat environnemental qui permette d’insuffler des pratiques vertueuses au Sud et pourquoi pas à terme, de développer une filière euro-méditerranéenne de valorisation des déchets plastiques. Quand on sait qu’aujourd’hui les pêcheurs marocains remontent dans leurs filets 40 % de détritus pour 60 % de poissons, on se dit que la matière première pour produire du plastique recyclé à partir de déchets marins ne manque pas !

Nous sommes tous concernés par cette pollution de la Méditerranée, qui au-delà des conséquences environnementales présente aussi des risques économiques et sanitaires. Si la « Grande bleue » devient une gigantesques soupe de plastique, les quelque trois cents millions de touristes accueillis annuellement sur ses rivages s’en détourneront pour le plus grand malheur des communes balnéaires et la profession des marins-pêcheurs, déjà sinistrée, sera encore plus gravement impactée. Quant au festival de Cannes, il perdrait en glamour si la Croisette voyait ses tapis rouges se
couvrir de sacs poubelles noirs rejetés par la mer.

N’oublions pas : c’est sur les rives de la Méditerranée que se sont élevés les fondements de notre civilisation comme la démocratie et le monothéisme. La Méditerranée est notre mère à tous et nous avons le devoir de la préserver. Si nous le faisons pas par égard pour cette mer nourricière, faisons-le au moins pour ses enfants, nos enfants.

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