Tribune —
Retour sur l’histoire du nucléaire en France
Durée de lecture : 28 minutes

On sait que l’énergie nucléaire a été imposée en France sans délibération démocratique. Il est cependant utile de rappeler les épisodes concrets de ce déni démocratique. En voici quelques-uns de 1974 et d’après.
Propos sur les conditions de lancement du programme électronucléaire français en 1974-1978.
“Le Gouvernement est donc résolu-je crois l’avoir démontré- à développer un très large effort d’information sans rien laisser dans l’ombre”, Michel d’Ornano, ministre de l’Industrie et de la Recherche. Assemblée nationale. 14 mai 1975.
1 9 7 4
Fevrier 1974.
Remplacement de M. Robert Poujade, ministre délégué auprès du premier ministre, chargé de la protection de la nature et de l’environnement (nommé en janvier 1971) par MM. Alain Peyrefitte, ministre des Affaires culturelles et de l’environnement et Paul Dijoud, secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires culturelles et de l’environnement, chargé de l’environnement.
On dit beaucoup à l’époque que ce remplacement est dû à un désaccord entre M. Poujade et M. Pierre Messmer, premier ministre qui a autorisé, “à la hussarde”, EDF à lancer 6 tranches nucléaires en 1974 et 7 en 1975 après le choc pétrolier de 1973.
Dans son livre, Le ministère de l’impossible, publié en 1975, Robert Poujade ne cachera pas ses difficultés avec EDF à propos du développement de l’énergie nucléaire. Il écrit ceci : "On serait surpris que je ne dise pas un mot de mes relations avec l’E.D.F. Elles ont été surtout marquées publiquement par un éclat de Paul Delouvrier, énervé par mes exigences, lors d’un colloque sur l’énergie. L’E.D.F., qui a un sens aigu des relations publiques, mais une moindre aptitude à la concertation, offre le visage de Janus. Une des deux faces est souriante et bien lavée. C’est le chauffage tout électrique, la recherche sur la voiture électrique, à laquelle je n’ai cessé de participer. L’autre, c’est un visage revêche et mal léché, celui des centrales polluantes et des lignes à haute tension autoritairement plantées aux plus mauvais endroits. Je sais fort bien que les ingénieurs de l’E.D.F. ont sérieusement travaillé sur ces problèmes. Mais rien n’est plus nuisible à l’image de marque de l’E.D.F. que cette espèce de pharisaïsme qui laisse croire que la propagande dispense du dialogue, que la puissance autorise la désinvolture.
Ces réflexions ne visent pas les hommes pour qui j’ai estime et amitiés, mais un état d’esprit, contre lequel je me suis, en effet, insurgé, au nom des citoyens. J’ai eu aussi maille à partir au sujet des centrales nucléaires avec l’E.D.F. Je pourrais jouer, en l’espèce, les Ponce Pilate, car, en fait, contrairement à ce que certains imaginaient, le contrôle du nucléaire ne m’a jamais été confié. (...) Je n’ai donc été consulté qu’occasionnellement, et surtout sur l’insertion dans le paysage des tours de réfrigération, insertion qui n’est d’ailleurs pas commode, et les dangers du réchauffement des eaux des rivières.
Mes services étaient sur ce point en désaccord avec l’E.D.F., dont l’optimisme est toujours revigorant. Il est d’ailleurs regrettable qu’en matière nucléaire, le C.E.A. et l’E.D.F. soient constamment juges et parties. (...) De toute manière, et même si, comme on peut le croire, les risques que font courir à l’environnement les centrales nucléaires sont réduits, c’est le cas ou jamais de provoquer une consultation approfondie sur les conséquences écologiques de l’implantation des grandes centrales. Si cet effort n’est pas fait, des années de doute et de démagogie risquent de s’ensuivre”.
Mars 1974
- Décision du gouvernement de lancer la construction de 13 centrales de 1000 mégawatts en 1974-1975 avec la perspective de réaliser en outre 50 centrales de 1000 mégawatts d’içi 1985. Cette décision répond à une demande d’EDF étayée sur une étude prospective indiquant une très forte croissance de la demande énergétique dont 25 % devrait être couverte par le nucléaire en 1985.
Juin 1974
- Le film Les atomes nous veulent-ils du bien ? de Claude Otzenberger qui devait passer à la télévision (ORTF) le 18 juin pour alimenter un débat sur l’implantation des centrales nucléaires en France est retiré, sans explication, de la programmation.
- Au conseil scientifique de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules du CNRS est présenté un rapport prospectif élaboré pour la préparation du VII° plan par un physicien de l’Université d’ Orsay et un physicien du CEA. Ils justifient la politique énergétique lancée par le gouvernement et jugent négligeable la pollution qui pourrait provenir des centrales nucléaires. Ce rapport est désapprouvé par les autres membres du conseil qui demandent une étude sérieuse du problème des centrales nucléaires et désignent six spécialistes pour assurer cette tâche. Celle-ci marquant le pas par suite d’une obstruction certaine des pouvoirs publics, des chercheurs du Collège de France, de l’Ecole polytechnique et de l’Université Paris VII décident de travailler de leur côté pour répondre notamment aux citoyens et aux élus qui n’obtiennent pas de réponses à leurs questions .
Septembre 1974
Question écrite de Jean-Pierre Cot (député de Savoie) “sur la nécessité d’informer complètement l’opinion publique française sur les conséquences de l’installation de centrales nucléaires sur le territoire français”.
Novembre 1974
A l’occasion de la discussion du budget de son ministère, André Jarrot, ministre de la qualité de la vie qui a succédé à M. Peyrefitte au mois de mai, déclare à propos de l’énergie nucléaire : “Le gouvernement envisage de lancer une vaste campagne d’information dans laquelle le Parlement jouerait un rôle important. Dans un domaine aussi capital, il est essentiel que l’information soit réelle, complète et objective”.
Décembre 1974
- Envoi aux préfets de région, par M. d’Ornano, ministre de l’industrie, d’un dossier comportant :
a) un document intitulé “Localisation des centrales nucléaires”, indiquant où devraient être implantées des centrales et quels sont les choix énergétiques du gouvernement pour un passage rapide à l’électronucléaire permettant de garantir à la France son indépendance énergétique.
b) un document exposant pourquoi EDF souhaite implanter telle ou telle centrale dans telle ou telle région. Les préfets sont invités à remettre ces dossiers aux conseils régionaux, aux comités économiques et sociaux, aux conseils généraux et aux comités de bassin. Ces conseils donneront leur avis sur les 38 sites proposés. Trois régions (Alsace, Haute-Normandie et Rhône-Alpes) ont à choisir un site où la construction d’une centrale est jugée urgente. Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une consultation mais d’une concertation qui ne peut d’ailleurs pas s’exprimer sur les centrales devant entrer en fonction entre 1975 et 1988.Comme le déclare alors M. d’Ornano : “Notre programme pour 1988, qui est le plus réaliste, n’est guère modifiable. Compte tenu des besoins, il faut aller vite. Mais ensuite nous tiendrons compte des suggestions intéressantes”.
- 13 décembre : envoi par M. Denis Baudoin, délégué général à l’information, au président de la Fédération Française des Sociétés de Protection de la Nature (FFSPN), [devenue depuis France Nature Environnement] d’une lettre dont sont extraits les paragraphes suivants : “Le Gouvernement a décidé de faire rassembler dans un document de grande diffusion les avis des personnalités connues pour s’être déjà exprimées sur les divers aspects des problèmes soulevés par le développement de l’énergie nucléaire. Ce dossier permettra au grand public et à ses représentants d’avoir accès directement à l’information la plus objective sur le sujet. Je vous serais reconnaissant d’accepter de participer à la réalisation de cet ouvrage. (...) Comme les débat relatifs au développement du programme nucléaire auront lieu dans la première moitié de 1975 et comme il serait souhaitable que chacun puisse y participer en pleine conscience de ses responsabilités vis-à-vis de l’avenir, je prévois l’achèvement de ce dossier dans un délai de deux mois.”
1 9 7 5
Janvier 1975
- Publication dans la revue Entreprise d’un article sur les centrales nucléaires intitulé “Un pari au dessus de nos forces”, surtitré "Trop, trop cher, trop vite !”. On peut y lire ces phrases : “Il serait beaucoup plus sage de ne compter sur l’énergie nucléaire que comme un complément des autres sources d’énergie (et non l’inverse). Qu’il s’agisse des sources d’énergie classiques dont nous disposons encore (contrairement à ce que l’on croit) comme le charbon et l’hydraulique, ou qu’il s’agisse des sources d’énergie (dites) nouvelles comme l’énergie solaire ou la géothermie dont on aurait surement pu accélérer le développement . (...) En 1974, nous aurons, en effet, dépensé en recherche et développement 1, 15 milliard de F. dans l’énergie nucléaire, 12 millions dans l’énergie solaire, 7 millions dans la géothermie et... 1 million (en tout et pour tout) dans l’énergie du vent, les marées, l’énergie thermique des mers.”
- 9 janvier : Conférence de presse sur “L’implantation des centrales nucléaires” organisée par la FFSPN, les Amis de la terre, Nature et Progrès, le Comité national de la Charte de la Nature, le Mouvement écologique, l’Association des Journalistes et Ecrivains pour la Protection de la Nature, Civilisation et Environnement, Jeunes et Nature, la Fédération nationale de sauvegarde des Maisons et Paysages pour la Défense de l’Environnement, SOS Paris, l’ Union nationale des Associations du Cadre de Vie, le Centre Interdisciplinaire de Socioécologie, l’Association nationale pour la Protection des eaux, et l’Association française pour la Défense de l’Environnement.
- Lors de son Assemblée générale du 18 janvier, la FFSPN lance une pétition pour une suspension du programme nucléaire français jusqu’à l’adoption de la loi sur la protection de la nature.
Février 1975
- Protestation de Raymond Leroy, député de Seine-Maritime et membre du bureau politique du Parti communiste à propos de ce qu’il appelle “un simulacre de concertation. Les conseils régionaux ne discutent pas de l’insertion des centrales nucléaires dans un développement régional cohérent, orienté vers la satisfaction des besoins de la population”.
- Rapport préliminaire de chercheurs de l’Institut économique et juridique de l’énergie de Grenoble : Alternatives au nucléaire, réflexions sur les choix énergétiques de la France (Presses universitaire de Grenoble) infirmant les études prospectives d’EDF et estimant qu’à l’horizon 1985, le recours massif au nucléaire n’est pas la seule option possible, notamment si est engagée une meilleure lutte contre le gaspillage énergétique (architecture, urbanisme, transports, etc.) et une diversification des sources d’énergie.
- Lancement par des chercheurs du laboratoire de physique corpusculaire du Collège de France dont son directeur, le professeur Marcel Froissart, d’un appel signé par 400 chercheurs d’horizons divers, physiciens, biologistes, agronomes et toxicologues du Collège de France, de l’Ecole polytechnique, des Universités Paris VI et Paris VII, Orsay, Grenoble, Bordeaux et du Commissariat à l’énergie atomique. Ces chercheurs déclarent que la décison de développer massivement un programme nucléaire est une “décison irréfléchie” notamment parce que “le problème des déchets est traité avec légereté”. Ils demandent à la population de “refuser l’installation des centrales nucléaires tant qu’elle n’aura pas une claire conscience des risques et des conséquences”. En avril plus de 4000 signatures de scientifiques auront été recueillies.
Mars 1975
- Intervention dans Le Monde du professeur François Ramade, président de la Fédération française des sociétés de protection de la nature. Demande d’un moratoire sur la construction des centrales nucléaires tant que :
a) n’aura pas été adoptée la loi sur la protection de la nature (en gestation depuis... 1968) qui prévoit la procédure d’étude d’impact, et tant que n’auront pas été publiés ses décrets d’application. Ce point est important. La loi votée en 1976, verra le décret d’application relatif aux études d’impact publié en octobre 1977 avec effet différé au 1° janvier 1978 pour les installations nucléaires. Cela aura pour conséquences que plusieurs installations nucléaires passeront , en enquête publique, à la sauvette, fin 1997 pour échapper à la procédure d’étude d’impact...( par exemple : Superphénix et la centrale de Belleville) ;
b) la réforme de la procédure d’enquête d’utilité publique n’aura pas été conduite à son terme (elle ne le sera qu’en 1983 avec l’adoption de la loi dite loi Bouchardeau relative à démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement) ;
c) une révision du programme énergétique français n’aura pas été engagée.
- 20 mars : Les Unions CFDT des agents de l’Electricité et du Gaz de France et du CNRS demandent à leur tour un moratoire sur la construction des centrales nucléaires et un réexamen du programme énergétique français.
Avril 1975
Début d’une enquête du Monde sur l’attitude des partis politiques et le débat nucléaire.
Claude Labbé, président du groupe UDR de l’Assemblée nationale (4 avril), Robert Chapuis, membre du comité directeur du parti socialiste (5 avril), Robert Fabre, président du Mouvement des radicaux de gauche (6-7 avril), Jacques Dominati, secrétaire national de la Fédération nationale des républicains indépendants (18 avril), André Diligent, vice-président et porte parole du Centre démocrate (6 mai), Michel Mousel, secrétaire national du Parti socialiste unifié (9 mai), Adrien Zeller, membre du collège de la Gauche réformatrice (10 mai).
- 18 avril : Conférence de presse du délégué général à l’information, Denis Baudoin, qui présente le “livre jaune" sur le nucléaire : L’énergie nucléaire, données techniques, économiques, écologiques. M. Baudoin annonce que ce document, tiré à 100.000 exemplaires, sera diffusé la semaine suivante. Le document ne sera jamais distribué par suite de l’opposition du ministère de l’Industrie. Il ira au pilon. Comme l’écrira en 1978, Alfred Sauvy, “les services du ministère de l’Industrie (Michel d’Ornano, ministre) ont fait échouer le projet. Toujours le secret ! ”. ( A. Sauvy, La Tragédie du pouvoir. Quel avenir pour la France ?, Calman Levy. 1978).
La CFDT, la FFSPN, les Amis de la Terre, le Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire (GSIEN), grâce à l’Union Fédérale des Consommateurs, reprendront des éléments du document pour élaborer un N° spécial de Que choisir qui sera publié en 1977.
- 21 avril, ouverture à Paris de la première conférence nucléaire européenne. Comme le titre Le Monde , à l’occasion de la clôture de cette conférence le 25 avril, "L’atome devient commercial sans que soit résolu le problème des déchets”.
Début d’une grêve de la faim de 9 personnes (dont deux agents d’EDF) pour qu’il y ait, à la télévision, “une vraie campagne d’information au cours de laquelle les scientifiques de disciplines différentes pourront s’exprimer en toute liberté ”.
- 26 avril, manifestation contre le programme nucléaire organisée à Paris par les Amis de la Terre, le Mouvement écologique et le PSU. 30.000 personnes selon les organisateurs, 10.000 selon la police, défilent depuis la place de la République juqu’à la place du Sorbier dans le XX°. D’autres manifestations se déroulent en province sur des sites de futures centrales (Paluel en Seine-Maritime ; Cheppes-la-Prairie dans la Marne ; Gravelines dans le Nord).
Mai 1975
- 3-4 mai. Convention nationale du Parti socialiste. Demande d’un ralentissement du programme d’équipement décidé par le gouvernement et de l’ouverture d’un débat public sur la politique énergétique de la France.
- 7 mai. Vingt-trois chercheurs du laboratoire de physique corpusculaire du Collège de France, des Universités Paris VI et Paris VII, de l’Ecole polytechnique et de l’Ecole normale supérieure dont Marcel Froissart, professeur au Collège de france, demandent “l’arrêt immédiat du programme de développement massif de l’industrie nucléaire”. Dans une note signée par ces chercheurs, la FFSPN et les syndicats CFDT d’EDF-GDF et du CNRS, adressée aux parlementaires sont évoqués les problèmes de sureté des réacteurs, de surgénérateurs, de gestion des déchets radioactifs et la nécessité de diversifier les sources d’énergie.
- 13 mai. Publication par la Commission des finances de l’Assemblée nationale du rapport Mesmin (député centriste de Paris) sur la politique énergétique. Comme l’étude des chercheurs de l’Institut de l’énergie de Grenoble, il préconise un recours moindre à l’énergie nucléaire que celui demandé par EDF et acté par le gouvernement. Le rapport Mesmin insiste sur les économies et la diversification des sources d’énergie et une meilleure utilisation des rejets d’eau chaude des centrales et installation industrielles. Comme le dira le lendemain à l’Assemblée nationale M. Mesmin, les 2/3 de l’énergie produite sous forme de chaleur par les centrales sont gaspillés.
-14-15 mai, débat à l’Assemblée nationale sur le programme nucléaire arrêté par le gouvernement. A une question d’un député demandant l’organisation d’un vote, le ministre de l’Industrie et de la recherche, répond que le Gouvernement s’y refuse : “On ne peut tout de même pas décider par un vote du nombre de centrales à construire dans les vingt prochaines années. Ce serait aussi absurde que de demander chaque année au Parlement de fixer le montant des investissements à engager par EDF.” Et c’est comme cela qu’EDF est à la tête maintenant d’une dette de près de 200 miliiards de francs...
- Le 15 mai, conférence de presse de la CFDT. Présentation de documents élaborés par des chercheurs du CEA sur les questions de sécurité, d’impacts environnementaux, etc. Annonce d’un document ultérieur sur les aspects industriels et économiques. “Nous nous opposons à la vision délibérément optimiste et conquérante des instances officielles (...). Ce n’est pas la polémique que nous cherchons, mais un minimum d’honnêteté dans les débats”.
- Déclaration d’Albin Chalandon s’étonnant entre autres que ne soit pas envisagée la récupération de la chaleur des centrales thermiques pour assurer le chauffage urbain et que la diversification des sources d’énergie ne soit pas plus poussée.
- 25 mai. Le nombre de signatures recueillies par la pétition lancée à l’initiative de la FFSPN en janvier atteint 80.000 .
Novembre-Décembre 1975
Référendums et manifestations hostiles sur une quinzaine de sites susceptibles d’héberger des centrales nucléaires
1 9 7 6
Janvier 1976
- Publication par Le Courrier du CNRS d’un rapport très critique sur le développement de l’énergie nucléaire en France.
Juillet 1976
Vote de la loi sur la protection de la nature introduisant en droit français la procédure d’étude d’impact.
Août 1976
Réunion des fédérations départementales de la Libre pensée. Adoption d’une motion marquant l’opposition de la Libre pensée au développement du programme nucléaire “tant que les études sur la protection et la suppression des nuisances ne seront pas achevées”. A noter que cette réunion se tenait à Bourg-en-Bresse, non loin de la centrale de Bugey dont les tranches 4 et 5 étaient en voie d’achèvement alors que l’encre du décret d’autorisation était à peine sèche.
1 9 7 7
Multiplication des manifestations antinucléaires qui culmineront à Creys-Malville le 30 juillet à proximité du site de Super-phénix. Un manifestant est tué par les forces de l’ordre. La communication sur la programme nucléaire français que devait faire M. Monory, ministre de l’industrie, du commerce et de l’artisanat, au conseil des ministres du 29 juin, puis du 6 juillet est reportée. En visite à l’usine de Pierrelatte, le président de la République, M. Valery Giscard d’Estaing repousse la proposition faite par le Parti socialiste de l’organisation d’un referendum sur le programme nucléaire.
Le 19 août, M. Monory déclare vouloir proposer au Parlement, à la rentrée, un débat sur le fait nucléaire : “Puis j’informerai les Français d’une façon très précise sur le plan économique et technique à travers les radios, les journaux et la télévision ”. Les services du Premier ministre, M. Raymond Barre, font alors savoir qu’il ne s’agit que d’une initiative personnelle de M. Monory. Sa proposition n’a pas de suite. Le 11 novembre, création du Conseil de l’information sur l’énergie électronucléaire. Mme Simone Veil, ministre de la santé et de la sécurité sociale, en assure la présidence après que M. Robert Poujade eut refusé cette charge.
1 9 7 8
Février 1978
Organisation sur le site universitaire de Jussieu, le 15 février, d’un débat sur l’énergie et les installations nucléaires par l’ Union rationaliste et le Laboratoire d’écologie générale et appliquée de l’Université Paris 7. L’on y apprend d’un ingénieur représentant EDF que le seul problème de contamination possible du milieu aquatique en bord de cours d’eau est lié au temps de passage des poissons devant une installation nucléaire. EDF a calculé que compte tenu de la vitesse du courant et de la vitesse de déplacement des poissons, ceux-ci ne resteraient pas assez longtemps devant l’installation pour recevoir une irradiation significative.
A la question d’un biologiste sur les processus de bioconcentration, c’est à dire d’accumulation d’éléments émis en faible quantité et s’accumulant au long de chaînes trophiques pour atteindre des doses toxiques (processus classique en écologie, cf. le DDT ; cf. Minimata ; cf le pain d’algue Porphyra - consommé par les des habitants du Pays de Galles voisins de l’installation de Windscale, amenés à ingérer des concentrations de Ru 106 supérieures aux doses admises par la CPRI), il fut répondu qu’EDF avait les meilleurs ingénieurs qui soient et que cette question ne se posait pas.
Cela était totalement faux. On connaissait déjà, à l’époque, de nombreux cas de bioconcentration d’éléments radioactifs (Foster-1971 pour la rivière Columbia aux Etats-Unis, Lowmann & coll.1971 pour le milieu marin aux Etats-Unis, Preston & Jefferies 1969 en milieu marin au voisinage de Windscale. etc.). Mais MM les ingénieurs ne faisaient manifestement pas leur bibliographie avant de s’exprimer péremptoirement.
Novembre 1978
Après que le "non" l’ait emporté dans le réferendum autrichien sur la construction de la centrale de Zwentendorf, le Parti socialiste demande l’organisation d’une telle consultation en France et un accès à tous les dossiers concernant l’énergie nucléaire.
A noter cette remarque de Mme Huguette Bouchardeau, ministre en charge de l’Environnement de 1983 à 1986, puis députée de Montbéliard, lors d’un entretien publié en 1989 dans la revue Que choisir . Question : "En juin 1987, la découverte d’une fuite de sodium provoquait l’arrêt du surgénérateur Super-Phénix de Creys-Malville (Isère). Quels commentaires avez-vous à faire après l’annonce de son imminente réouverture ?" Réponse : "L’an dernier, lors des incidents, le directeur de la centrale était venu à l’Assemblée nationale, à notre demande, témoigner devant la commission de la production et des échanges. Une de ses phrases m’avait frappée : ’on a déja tellement dépensé... on ne peut plus arrêter’. Compréhensible humainement mais pas du tout logique économiquement, je laisse vos lecteurs juges de cet argument. Après la Villette et le Concorde, la solution raisonnable de temps en temps c’est de dire ’on arrête les frais !’ ” (Que choisir, n° 246, janvier 1989).
Comme M. Poujade, Mme Bouchardeau avait eu maille à partir avec EDF : “EDF n’est pas un lobby à proprement parler, c’est-à-dire une force extérieure à l’Etat : elle a ses représentants dans l’appareil. (...) EDF et le CEA - Centre de l’énergie atomique - ont reçu, dés leur création, des missions du pouvoir politique. Puis ils se sont autonomisés et tentent désormais d’imposer eux-mêmes leur politique” (H. Bouchardeau, Le Ministère du possible, A. Moreau, 1986).
Ce lobby est efficace. Il a réussi pendant des années à faire en sorte qu’il n’y ait pas de débat sur la politique énergétique de la France. Mme Bouchardeau rappelait ainsi lors d’une réunion dont le thème était “Démocratie et environnement” organisée par l’Entente européenne pour l’Environnement le 30 novembre 1992 comment avait été bâclé en 1989 le “débat” parlementaire sur cette question : “Il ne faut quand même rien exagérer quant à la manière qu’a eue le Parlement de s’emparer de questions telles que l’énergie et le nucléaire. En 1989, lorsqu’elle a été amenée à présenter devant le Parlement le rapport sur l’énergie préparé en quatre semaines, pas une de plus, on lui a donné dix minutes de temps de parole ! Il s’agissait tout de même de présenter la question de l’avenir de l’énergie en France et le bilan qu’on pouvait dresser de la politique énergétique et nucléaire.” (Bulletin de l’Entente européenne pour l’Environnement, 13 janvier 1993)
En guise d’épilogue
Février 2000
- Nucléaire, environnement et débat social. Rapport au Conseil Environnement d’EDF. Une tentative de réécriture de l’histoire ?
“Avec le lancement du programme Messmer, suite au premier choc pétrolier, la contestation se développa, le nucléaire devenant le cheval de bataille des écologistes. (...) Devenant le maître symbole de la société libérale centralisatrice, les centrales nucléaires connaissent entre 1974 et 1977 une désaffection encore plus spectaculaire dans l’opinion (chute des adhésions supérieure à 30 points) que celle qui suivra en 1986 l’accident de Tchernobyl. (...) Dès que le conflit s’est développé, (...) on est manifestement sorti du cadre de la pensée rationnelle telle que l’envisage le technicien pour celui des représentations où interagissent les valeurs et les symboles”.
En d’autres termes les seuls opposants au programme nucléaire ont été des gens irrationnels. Les économistes de l’Institut de l’énergie de Grenoble, les physiciens du Collège de France, du CNRS, de diverses université, les 4.000 scientifiques signataires de l’appel des 400, les syndicalistes d’EDF-GDF et du CNRS, les naturalistes de France Nature Environnement, etc. ,... tous des écolos soixante-huitards...
Février 2001
“L’opinion a besoin de pouvoir se faire sa propre opinion et attend de l’Etat que lui soient donnés les moyens de forger son jugement. Cette conception participative de la démocratie, ce besoin de demander des comptes, sont concomitants avec le rôle croissant des médias, l’un alimentant l’autre. Le secret est devenu un péché alors qu’il était un des apanages du pouvoir. On peut faire ce constat à propos de l’industrie nucléaire, qui s’est longtemps développée dans une certaine opacité.(...) L’Etat ne peut donc aujourd’hui exercer une mission de stratège économique qu’avec la plus grande transparence et en essayant de se concilier les medias.
(...)
Le citoyen use de plus en plus, individuellement ou collectivement, de la justice administrative pour remettre en cause des décisions prises par des autorités auxquelles il a délégué la mission de servir l’intérêt généra ”.
Anne Lauvergeon, président-directeur général de la Compagnie générale de matières nucléaires (COGEMA), in Notre Etat, le livre vérité de la fonction publique. IV. L’Etat stratège. A la recherche d’un métronome, Robert Laffont, 2001, pp 455-471.
La dernière phrase mériterait d’être discutée, car l’on ne voit pas où, quand et comment le citoyen a délégué une telle “mission”.
Tentative d’explication
On pourra se demander pourquoi une telle volonté d’occultation, d’accaparement du savoir par quelques uns. Il y a, bien sûr, la connivence originelle entre le nucléaire militaire et son sacro-saint "secret-défense" et le nucléaire civil. Mais il y a aussi la main-mise de certains corps d’ingénieurs (notamment ceux des mines) dont Elisée Réclus disait, en 1905 (L’ Homme et la Terre) : "Elevés en militaires dans les écoles de l’Etat, ils se réclament des règles de la discipline pour exiger l’obéissance ; fonctionnaires ils parlent au nom du gouvernement et de la loi ; savants, ils n’admettent pas que leurs conceptions personnelles puissent être discutées ; chacune de leur parole doit être tenue pour la vérité même (…). Sans doute , ils doivent, plus d’une fois, reconnaître, en secret, que tel ou tel de leurs « chers » camarades a commis quelque grossière bévue, mais, avant tout , il importe de ne pas laisser le public entrer dans la confidence, de revendiquer le mauvais travail comme un chef d’œuvre et surtout, il faut empêcher, à tout prix, qu’un homme du dehors, un individu non sorti des écoles, ne permette de corriger l’ouvrage manqué ».
Il est amusant de constater que ces hauts fonctionnaires issus des grandes écoles n’ont jamais été plus heureux que sous le régime de Vichy qui les avaient débarrassé de ces empêcheurs de tourner en rond qu’étaient les élus et la « société civile ». Comme l’écrivaient avec lucidité François Bloch-Lainé et Claude Gruson (Hauts fonctionnaires sous l’Occupation, Odile Jacob. 1996) : « Nous avons trouvé normal que les techniciens aient un rôle plus important par rapport aux élus ».
Post Scriptum : Comité scientifique du Parc national des Ecrins (19 juin 1997).Le comité est informé que les résultats de la radioactivité mesurée par l’IPSN (Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire) de Cadarache sur les échantillons récoltés dans le Parc en 1986 après l’accident de Tchernobyl seront fournis avant le 27 juin...Ils ne le seront qu’en octobre. Il n’aura donc fallu que... 11 ans aux autorités responsables pour “ informer ” et ce après que la CRII-RAD ait publié les résultats de ses propres analyses... A signaler qu’il n’est pas tellement étonnant que les résultats des analyses soient restées aussi longtemps sous le boisseau, ils ne correspondaient pas au discours officiel qui voulait que “le territoire français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné par les retombées de radionucléides consécutives à l’accident de la centrale de Tchernobyl” (Communiqué du 6 mai 1986 du Ministère de l’Agriculture dont le titulaire était alors M. François Guillaume). Il est vrai que M. Guillaume, adepte d’un certain négationnisme n’hésitera pas quelques années plus tard à nier les pollutions azotées d’origine agricole... A signaler qu’après l’accident de Tchernobyl, son nuage bloqué par la ligne bleue des Vosges et les calembredaines du Professeur Pellerin, l’on a guère entendu les scientifiques et ingénieurs du CEA ainsi que les ingénieurs d’EDF (qui, eux, savaient fort bien que M. Pellerin disait n’importe quoi) protester et tenter de rétablir la vérité...
Cette volonté d’opacité et d’occultation de la réalité n’est pas le fait des seules autorités françaises. Il faut signaler que suite à un accord signé en 1959 entre l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) , la première est tenue de soumettre à la seconde les éléments d’information dont elle dispose qui pourraient compromettre les activités de la seconde. C’est ainsi que l’OMS a mis cinq ans à se rendre sur place à Tchernobyl et qu’après voir organisé, en novembre 1995, une conférence internationale sur les suites de la catastrophe, n’en a jamais publié les actes . Les résultats des recherches pouvaient manifestement entraver le développement de l’énergie nucléaire. C’est un peu comme si la publication des travaux sur le cancer du poumon lié au tabagisme avaient dû être soumise aux industries de la cigarette.