Tribune —
Times Square
Blork se déguise en n’importe qui. Tiens, journaliste. Ouvre les oreilles. Entend des chefs d’Etat et autres éminences parler du changement climatique. Ils disent « génocide silencieux », « meurtre de masse », « catastrophe irréversible », marche « vers l’abîme ». Ah ? C’est si grave que ça ?
Blork se promène dans la ville où ces personnages s’agitent. New York. Il atteint Times Square : mille feux clignotants, pixels scintillants, éclats, écrans, images, couleurs, le capitalisme dans son incontestable habit de lumière. L’espace est saturé de réclames publicitaires, le spectacle est fascinant. Coca-Cola promet le bonheur, Samsung l’ubiquité, CNN le savoir, Gap le plaisir, Broadway et Hollywood l’évasion, tous, l’abondance. Ah ? C’est si bien que ça ?
Blork tombe sur un livre commentant le discours de Winston Churchill, le 13 mai 1940 : « Je n’ai à vous promettre que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur ». Churchill, politicien sur le déclin, annonçait depuis des années, seul, que la menace grandissait, et qu’il ne fallait pas croire les promesses de la paix sans effort. Il a fallu que le cours des choses confirme sa lucidité pour qu’il soit enfin entendu. Ah ? Si tard ?
Blork s’interroge : comment les responsables politiques peuvent-ils parler de catastrophe irréversible et faire comme si les feux de Times Square ne devaient jamais s’éteindre ? Comment peuvent-ils prétendre lutter contre le changement climatique et laisser croire aux foules occidentales que rien ne va changer dans l’abondance matérielle ? A quel point exact de la « marche vers l’abîme » dira-t-on aux citoyens, par exemple : « Ce serait bien qu’on ne roule plus en voiture le dimanche, pour commencer » ? Blork pense que la politique ne consiste pas à être populaire, mais à mettre les mots en accord avec la réalité, et les actes en accord avec les mots.
Le New York Times du jour annonce que les découvertes de pétrole se multiplient. Les hauts prix des années précédentes ont relancé l’exploration, les techniques ont progressé et permettent de forer de plus en plus profondément, le « pic pétrolier » est repoussé de... quelque temps. On entend presque les soupirs de soulagement souffler dans les canyons de la ville haute.
Mais davantage de pétrole, ce sera... encore plus de gaz carbonique, non ? Peut-être faudrait-il arrêter... de chercher du pétrole ? Et peut-être le vrai courage politique, ce serait de dire, non pas « Yes, we can », mais « No, we should not ». Non, on ne devrait pas vouloir toujours plus de voitures, de lumières, de pétrole, de toutes ces merveilles que promettent les écrans scintillants. De dire « Yes, We Must ». Oui, on doit changer de monde. Et, oui, le nouveau brillera moins.
Blork n’est pas drôle aujourd’hui. Il contemple les lumières de Times Square, et pense aux pyramides d’Egypte. Civilisations - mortelles.