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Un rapport européen dément l’intérêt écologique des agrocarburants


Les biocarburants conventionnels entraînent une augmentation des émissions de carbone et sont trop chers pour être une alternative aux carburants traditionnels sur le long terme, indique un projet de rapport de l’UE.

Selon l’étude EU Transport GHG : Routes to 2050, sans prendre en compte leurs effets indirects, le coût de la réduction des émissions liées aux biocarburants en Europe oscillerait entre 100 et 300 euros par tonne de carbone.

Aux prix actuels du marché, réduire les émissions de CO2 générées par les biocarburants coûterait jusqu’à 49 fois plus cher que d’acheter des crédits carbone sur le marché ouvert à 6,14 euros par tonne.

Les auteurs du rapport sont arrivés à la conclusion qu’il n’était « ni possible ni pertinent de donner des chiffres sur la rentabilité des biocarburants [conventionnels] », dans la mesure où leurs effets indirects en matière de déforestation et d’utilisation d’espaces verts (Changement d’affectation indirecte des sols, CASI) en font une technique émettrice de CO2.

Légitimité de la politique de l’UE ?

Ce rapport ne fera que renforcer les doutes sur la légitimité de la politique de l’UE sur les biocarburants qui avait été justifiée d’un point de vue environnemental.

« En réalité, les décideurs politiques au sein et en dehors de l’UE se sont lancés dans les biocarburants pour d’autres raisons », a déclaré David Laborde, un éminent scientifique du domaine agricole, auteur d’importants rapports sur les biocarburants pour le compte de la Commission européenne.

« C’est un moyen nouveau et facile d’accorder des subventions aux agriculteurs. Ce développement est également lié aux lobbies du secteur qui produit ces biocarburants et à ce qu’ils appellent la sécurité énergétique », a-t-il expliqué à EurActiv Bruxelles.

« Ils souhaitent diversifier l’approvisionnement énergétique et conserver leurs devises étrangères plutôt que d’acheter du pétrole en provenance du Moyen-Orient. Ils préfèrent garder leur argent pour d’autres solutions même si elles ne sont pas nécessairement efficaces ou bénéfiques pour l’environnement », a-t-il ajouté.

L’objectif de 10 %

En 2007, l’UE a d’abord fixé un objectif de 10 % d’utilisation de biocarburants mélangés dans les transports d’ici 2020.

Même si cet objectif a été réorienté des biocarburants aux énergies renouvelables en 2009, les experts affirment que 8,8 % de l’objectif européen proviendra tout de même des biocarburants. Jusqu’à 92 % de ce pourcentage serait issu de biocarburants conventionnels comme le biodiesel.

Les associations du secteur ne partagent pas cet avis et rappellent la part d’éthanol à base de sucre (22%) dans l’UE. Il s’agit de l’un des biocarburants les plus performants. La part du biodiesel, l’un des moins performants est de 78 %.

Cette initiative et la directive relative aux énergies renouvelables élaborée deux ans plus tard ont en outre soumis l’utilisation des biocarburants à des critères par la suite négligés, comme la rentabilité, la durabilité et, le cas échéant, l’utilisation de carburants de deuxième génération.

« Je ne pense pas que nous soyons au point en matière de rentabilité », a déclaré Géraldine Kutas, la représentante à Bruxelles de l’UNICA, l’association brésilienne de l’industrie de la canne à sucre.

« Il n’existe aucune disposition d’ordre financier pour soutenir cette directive et les biocarburants de deuxième génération n’en sont qu’à leurs balbutiements. Ils ne sont pas encore disponibles sur le marché », a-t-elle expliqué.

Même la difficulté d’établir des critères indirects pour la durabilité des biocarburants a émoussé le processus d’élaboration des politiques européennes, a-t-elle reconnu.

Les agriculteurs français

Selon des informations d’EurActiv Bruxelles, il existe des preuves selon lesquelles l’objectif initial de l’UE pour les biocarburants a été établi autant pour des raisons commerciales et politiques que pour répondre aux inquiétudes environnementales.

Claude Turmes, rapporteur du Parlement européen responsable de l’adoption de la directive relative aux énergies renouvelables, a déclaré que les groupes de pression du secteur avaient influencé les négociations lors de la présidence française du Conseil de l’UE.

« Il s’agissait de deux lobbies : celui des producteurs de sucre et celui de l’industrie automobile allemande, qui cherchait à bloquer la réglementation de l’UE sur le CO2 émis par les voitures », a expliqué M. Turmes (Verts/Luxembourg) à EurActiv.

« L’objectif initial de 10 % pour les énergies renouvelables dans les transports était bel et bien fondé sur le fait que ces deux groupes de pression avaient fait front commun pour l’imposer à la Commission. »

Plusieurs acteurs européens interrogés par EurActiv sont du même avis. Ils affirment que les biocarburants n’étaient alors qu’une contrepartie demandée contre l’introduction de mesures « plus vertes » dans la directive, visant à stimuler le secteur de l’énergie éolienne et solaire et à réduire les émissions.

Les producteurs européens de sucre avaient quant à eux souffert de la réforme de la politique agricole commune de 2006, qui avait réduit de 36 % le prix garanti du sucre et ouvert le marché européen du sucre à la concurrence mondiale.

L’ouverture d’un marché garanti pour les agrocarburants issus de l’éthanol à base de sucre leur permettait ainsi d’obtenir une certaine forme de compensation. En outre, la puissance du lobby des agriculteurs français rendait impossible le retrait de cet objectif de 10 % pour Paris, a ajouté M. Turmes.

« L’industrie agricole manifestait un intérêt certain pour les biocarburants, les produits biochimiques et la bioéconomie en général », a poursuivi Mme Kutas.

Mais finalement, les producteurs européens de sucre ont bien moins profité de la politique de l’UE sur les biocarburants que les producteurs de matières premières destinées au biodiesel, un carburant plus adapté au parc automobile du vieux continent.

L’industrie automobile

Les fonctionnaires de l’UE affirment que l’industrie automobile a également joué un rôle prépondérant en insistant pour que l’objectif sur les biocarburants soit inclus comme un compromis visant à combler l’écart entre les 130 g de CO2/km voulus par l’UE pour 2012 et les 140 g que le secteur automobile était prêt à offrir.

« Ce n’était un secret pour personne », a déclaré une source à EurActiv. « L’objet de ces pressions était très clair et cela est arrivé jusque dans les mains de la Commission. »

En conséquence, les fonctionnaires de la DG Energie de la Commission n’ont pas examiné de la même façon les recherches qui remettaient en cause la légitimité de ces carburants pour l’environnement et celles qui les soutenaient, ont confirmé de multiples sources.

La plus grande erreur de l’UE a été de « commencer à élaborer une politique sans en connaître les conséquences », a déclaré M. Laborde.

« Nous discutons à présent de l’affectation des sols, après avoir passé dix ans à dire que les biocarburants étaient nécessaires pour réduire les émissions », a-t-il poursuivi. « Ce fut une grave erreur. »

Proposition sur les émissions indirectes

Bruxelles devrait publier dans le courant de l’année une proposition visant à évaluer les effets indirects des émissions issues des biocarburants. Cette proposition ferait la distinction entre les biocarburants faibles en carbone, comme l’éthanol, et ceux fortement émetteurs, comme le biodiesel.

Le processus décisionnel de l’UE est toutefois paralysé par un conflit permanent entre la DG Energie, qui ne souhaite pas inclure de facteurs lié au changement d’affectation des sols indirects (Casi), et la DG climat, qui est d’avis contraire. Et ce n’est pas le seul problème.

Les directives sur les énergies renouvelables et la qualité des carburants contiennent des clauses « d’antériorité » exemptant des nouvelles réglementations toutes les infrastructures de biocarburant existantes en 2014, et ce jusqu’en 2017.

Surcapacité

La capacité actuelle de l’industrie des biocarburants est déjà sur le point d’atteindre l’objectif des 10 %, selon un récent rapport du cabinet de conseil spécialisé Ecofys, ce qui risque d’entraîner une situation de surcapacité.

L’Institut pour une politique européenne de l’environnement a calculé que selon les tendances actuelles, la conversion de 4,7 à 7,9 millions d’hectares serait nécessaire pour gérer le surplus de biocarburants, soit l’équivalent de la taille de l’Irlande.

L’introduction de facteurs CASI condamnerait toutefois certainement les biodiesels conventionnels très polluants, soit la majorité de la production européenne de biocarburants.

Cela provquerait un tollé politique dans certains Etats européens comme la France et l’Allemagne et pourrait ébranler le compromis qui avait permis l’adoption de la directive sur les énergies renouvelables.

Pour l’instant, la proposition reste bloquée dans les couloirs d’une Union européenne qui semble craindre tout autant les conséquences politiques de la reconnaissance de cet échec que les conséquences environnementales d’un éventuel déni.


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