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Incendies

Une poignée d’heures pour fuir : récit d’une Canadienne évacuée des feux de Yellowknife

Feux de forêt à 16 kilomètres de Boston Bar, en Colombie-Britannique, le 18 août 2023. (Photo d'illustration)

Au Canada, la ville de Yellowknife évacue ses 20 000 habitants. L’une d’entre eux raconte la nuit « stressante » qu’elle a vécue pour fuir les flammes qui s’approchent.

Montréal (Canada), correspondance

La rumeur s’ébruitait partout en ville : le feu approche de trop près, il faut partir. Dominique Poirier, coordonnatrice des services aux étudiants du Collège nordique à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, s’est empressée de préparer son paquetage, sans attendre l’ordre d’évacuation, émis dans la soirée du 16 août. Elle a pris le nécessaire : du matériel de camping, de la nourriture, des vêtements et des ordinateurs. Direction Edmonton, à plus de quinze heures de route. Comme elle, une grande partie des 20 000 habitants de la capitale de ce territoire ont pris leur véhicule pour s’enfuir. Si bien qu’il lui a fallu trois heures pour quitter la ville congestionnée.

Plus de 1 050 feux ravagent actuellement le Canada, dont plus de 236 dans les Territoires du Nord-Ouest. Yellowknife, la plus grande ville du nord-ouest canadien, pourrait être frappée par les flammes samedi 19 août. Seule solution efficace, donc : évacuer la ville.

« Je n’ai jamais vécu une route aussi stressante »

Sur la route de Dominique Poirier, au travers des vitres, les brasiers se déchaînaient. Ceux qui entourent Yellowknife, mais aussi ceux qui ont ravagé un peu plus loin le petit hameau d’Enterprise (120 habitants), laissant seulement quelques maisons d’aplomb. La Canadienne a vécu une nuit d’effroi, étouffante : « C’est impressionnant, la nuit surtout. Sur la route, on voyait des flammes dans les bas-côtés, des tisons, ça s’étendait sur des dizaines de kilomètres. La fumée aussi était impressionnante. On était obligés de mettre les masques N95 [1] dans l’habitacle du véhicule, ça devenait trop oppressant. Je n’ai jamais vécu une route aussi stressante. »

La pluie, par moments, s’est invitée sur le chemin, mais les précipitations ne suffisent pas à endiguer le feu qui s’approche. Au téléphone, Dominique raconte être désormais à High Level, en Alberta, à un peu plus de sept heures de chez elle, à mi-chemin d’Edmonton, où elle ira trouver refuge chez des proches. Ceux qui n’en ont pas dans les environs sont logés dans des refuges, tous situés à plus de 1 000 kilomètres de Yellowknife. Parmi les évacués, beaucoup ont des animaux de compagnie. D’après Radio-Canada, les cages sont en rupture de stock et certains compagnons sont abandonnés.

Une situation « sans précédent »

La capitale des Territoires du Nord-Ouest n’est pas la seule ville à devoir évacuer ses habitants d’ici vendredi midi. Les communautés Ndilǫ et Dettah, de la Première Nation Déné, vont subir le même sort. Sur TikTok, Morgan, une jeune artiste de Ndilǫ, évoque une situation sans précédent dans la capitale : « C’est ma maison et j’ai peur. Je vous donne des nouvelles dès que je peux. »

De leur côté, ceux qui ne peuvent pas s’enfuir par la route ont pu bénéficier d’avions militaires et de vols commerciaux affrétés à un tarif réduit. D’après le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, plus de 1 500 personnes se sont envolées et 2 500 ont déjà demandé à embarquer. Le tri des demandes est en cours. Vingt-deux vols sont prévus vendredi 18 août.

« Nous sommes tous fatigués du mot “sans précédent”. Mais il n’y a pas d’autres façons de décrire la situation », a déclaré sur X, ex-Twitter, la Première ministre du territoire arctique Caroline Cochrane. Yellowknife se trouve à 512 km au sud du cercle arctique, déjà menacé par le réchauffement climatique et l’exploitation humaine.

« On n’a pas beaucoup dormi »

La préparation du départ et la nuit d’angoisse sur la route cernée de tisons ne semblent pas avoir entamé l’optimisme de Dominique Poirier : « On n’a pas beaucoup dormi, deux heures et demie, trois heures. Mais on est quand même positifs. Je crois que la ville fait du beau travail, l’évacuation se passe bien, on se dit qu’on est entre de bonnes mains. » Pour l’instant, les prévisions météo ne laissent pas entrevoir de fortes pluies à même de freiner l’incendie dans les prochaines heures.

Près de 13,7 millions d’hectares — environ la superficie de la Grèce — ont brûlé depuis le début de la saison, en mai dernier. Soit près du double du dernier record datant de 1989. Près de 168 000 personnes ont déjà dû être évacuées depuis le début de la saison des incendies. Celle-ci risque encore de durer deux mois, prévenaient les autorités la semaine dernière.

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