Une proposition de loi très modérée sur les ondes est discutée par les députés
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Les députés discutent aujourd’hui d’une proposition de loi sur les ondes électromagnétiques. Elle propose notamment de limiter l’exposition des enfants. Mais les lobbies s’y opposent.
Il y a quasiment un an jour pour jour, la députée écologiste Laurence Abeille avait déposé une proposition de loi sur les ondes électromagnétiques. Mais celle-ci n’a jamais pu être débattue dans l’hémicycle. Car es députés PS avaient eu recours à une procédure exceptionnelle, une motion de renvoi en commission, pour repousser l’examen du texte.
La législation sur le sujet était "prématurée", avait alors expliqué la ministre déléguée à l’Economie Numérique, Fleur Pellerin : "La proposition de loi était, dans son écriture initiale, tout simplement disproportionnée dans ses effets, pour des risques sanitaires non avérés. Il n’y a pas de fondement scientifique à établir de nouvelles valeurs limites d’exposition aux champs électromagnétiques."
Une façon pour la ministre d’expliquer qu’elle ne voulait pas que la loi définisse de nouveau seuil d’expositions aux ondes. Celui-ci s’étale aujourd’hui de 41 à 61 volts par mètre selon les fréquences, un niveau très élevé, presque unique au monde. Les associations qui suivent le sujet recommandent une limite à 0,6 volts par mètre, un niveau cent fois inférieur.
Cette valeur était présente dans la première proposition de loi. Mais en un an, le texte "a largement fondu", déplore Janine Le Calvez, présidente de l’association Priartém. "Laurence Abeille veut absolument que cette proposition de loi soit votée, elle a donc tenu compte de ce qui était acceptable par la majorité actuelle." Plus question d’inscrire une nouvelle valeur limite d’exposition aux ondes dans la loi, elle sera définie par décret.
- Lien vers le dossier législatif
Une loi "poudre aux yeux"
Le député UDI Bertrand Pancher, qui a également suivi le dossier de près, fait le pari "que le gouvernement fixera les seuils de façon à ce que les opérateurs n’aient pas à modifier l’existant. Comme ça les écolos seront contents parce qu’ils auront une loi et les télécoms aussi parce qu’ils n’auront rien à changer. C’est une loi poudre aux yeux !"
Laurence Abeille se défend en indiquant que "le but est de produire une loi qui protège, même dans un cadre d’incertitude." Le texte se donne d’abord pour objectif la "modération" de l’exposition aux ondes. Un terme qui ne satisfait personne. "C’est un concept flou, il donne très peu de possibilité de défense aux citoyens", déplore Janine Le Calvez. Quant à la Fédération française des télécoms, elle s’inquiète de l’absence de définition technique de ce mot, ce qui pourrait "donner lieu à des contentieux juridiques à l’infini", redoute Jean-Marie Danjou, directeur général de la Fédération.
Pour appliquer cette "modération", la loi propose en particulier de résorber les "points atypiques" : ces lieux où l’exposition aux ondes est anormalement élevée, à cause d’une concentration d’antennes par exemple. "Cela va obliger les opérateurs à reconfigurer certaines installations", se félicite la députée écologiste.
Autre mesure phare du texte, l’amélioration des procédures de concertation. "Elles vont devenir obligatoires, même quand ni le maire, ni les riverains le souhaitent", déplore Jean-Philippe Desreumaux, directeur fréquences et protection chez Bouygues Telecom. Au contraire, Pascal Julien, adjoint écologiste dans le 18e arrondissement de Paris, en charge des ondes à la mairie, se réjouit : "Aujourd’hui la loi donne tous les pouvoirs aux opérateurs. Les maires peuvent s’opposer à l’installation d’une antenne, mais souvent ils sont cassés en justice. Avec ce nouveau texte, le maire aurait enfin son mot à dire."
Protéger les enfants
Enfin, la loi prévoie plusieurs dispositions pour la protection des enfants et l’information du public. Elle propose d’indiquer par un logo quand il y a des ondes, comme le wifi, dans les lieux publics. Elle souhaite également interdire le wifi dans les crèches ou limiter la publicité des objets connectés destinés aux enfants. "Cela va beaucoup trop loin", s’inquiète Jean-Philippe Desreumaux, relayant un appel lancé par plusieurs associations représentatives de l’industrie des télécoms et du numérique. Il ajoute : "Il y a contradiction au gouvernement qui d’un côté, avec ce texte, met des obstacles au développement des objets connectés et de l’autre veut développer les tablettes numériques dans les écoles."
"Mais il existe des alternatives avec les connections filaires. Réglementer n’empêche pas de développer le numérique", répond Janine Le Calvez. Dans une lettre ouverte aux députés rédigée avec l’association Agir pour l’environnement, elle demande au contraire d’accentuer ces limitations. "Les ondes électromagnétiques ont des effets démultipliés sur les cerveaux des enfants et sur internet, on trouve en vente libre des téléphones pour bébés !", s’insurge Janine Le Calvez.
Mais pour elle, cette loi a au moins un mérite : "Elle porte le débat sur la place publique. Je pense qu’elle sera votée, je pense que ce sera un mieux par rapport à l’existant, mais on est loin d’avoir tout résolu."
Actualisation : Voici ce qui a été voté par l’Assemblée nationale le 23 janvier :
- pas d’abaissement des seuils, qui restent compris entre 41 et 61 volts/mètre ;
- les "points atypiques" où les niveaux d’exposition « dépassent sensiblement la moyenne observée à l’échelle nationale », retenus à 6 v/m par l’ANFR, devront être résorbés par l’opérateur dans les six mois après leur repérage ;
- la publicité pour les téléphones portables et tablettes, ciblant les « enfants de moins de 14 ans », sera interdite. Pour les plus jeunes, les équipements Wi-FI seront interdits dans les crèches et les garderies.
- en qui concerne les personnes souffrant d’électrohypersensibilité (EHS), le texte se contente de demander au gouvernement, dans un délai d’un an après la promulgation de la loi, un rapport sur « l’opportunité de créer des zones à rayonnements électromagnétiques limités, notamment en milieu urbain, les conditions de prise en compte de l’électrohypersensibilité en milieu professionnel et l’efficacité des dispositifs d’isolement aux ondes ».
Le texte doit maintenant être examiné au Sénat.