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A Paris, une ressourcerie sociale donne une nouvelle vie aux objets

Collecter des objets destinés à la poubelle, les remettre en état et les revendre à bas prix dans un magasin solidaire, tel est le quotidien des anciens squatteurs de la Petite Rockette. Mais cette activité de ressourcerie n’est qu’un prétexte pour resserrer les liens sociaux dans leur quartier.


-  Reportage, Paris

Octobre 2005. Ils entrent par la petite porte, par effraction. C’est alors la naissance du squat La Petite Rockette (rue Saint-Maur à Paris) et le début d’une aventure solidaire et collective qui durera plus de cinq ans. Pour les occupants, le squat, ou plutôt la réquisition citoyenne, n’est pas une fin mais un moyen. Un moyen d’offrir « logement et atelier aux artistes et de pallier aux problèmes d’espace auxquels est confronté un grand nombre de citoyens », comme l’indique leur site internet.

Hébergements d’urgence, mise à disposition des locaux aux artistes, organisation d’ateliers et de cours ouverts au public… Pendant ces années précaires mais festives, La Petite Rockette sera le théâtre d’expérimentations sociales et artistiques foisonnantes. Mais voilà. La municipalité qui jusque là avait, bon gré mal gré, laissé un peu de répit aux squatteurs frappe à la porte et propose un deal que l’on peut résumer ainsi : « Vous quittez les lieux qu’on veut transformer en centre social et nous vous mettons à disposition un autre local, un peu plus loin ».

Les tensions qui commençaient à apparaitre, aléas inévitables de la vie en collectivité, ainsi que la peur d’être expulsés de force en cas de refus, poussent les occupants à accepter la proposition.

Créer des biens communs

En 2011, La Petite Rockette se délocalise donc au 62 rue Oberkampf sous contrat de convention d’occupation précaire avec la Mairie. « Le but de la réquisition citoyenne est de prendre un bâtiment pour créer du bien commun, pas d’empêcher l’Etat de faire de l’action sociale. Et puis nous avions envie de capitaliser sur ce qui avait été fait », justifie Dimitri, qui me reçoit dans son bureau au sous-sol des nouveaux locaux.

Fini donc l’illégalité, mais l’esprit de départ est préservé. « Nous avons arrêté notre activité de squat mais nous avons conservé notre mode de gouvernance collectif, notre côté alternatif », précise Dimitri. Des cours de danse et des ateliers couture sont toujours proposés. Des salles de répétition sont toujours mises à disposition (pour 1,5 € de l’heure), mais l’hébergement d’urgence ne peut plus être assuré, faute de place.

Bien que déplacée, la petite Rockette garde son nom mais son activité change : ce sera désormais une ressourcerie, à savoir une « déchetterie de proximité améliorée », comme s’amuse à la définir Dimitri. L’équipe de La Petite Rockette s’occupe d’organiser des collectes dans le quartier ou dans ses locaux. Electroménager, matériel électronique, livres, vêtements jouets… la ressourcerie accepte tout et ce peu importe l’état.

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »

Une fois les objets récoltés, ils sont revalorisés ou, quand ce n’est pas possible, envoyés dans des filières de retraitement appropriées. Au final, sur les 110 tonnes collectées, seulement 10 finissent au rebut. « La majorité de ce qu’on collecte ne part pas à la poubelle », assure Dimitri. Entre les mains de l’équipe, les objets reviennent à la vie. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », aurait dit Lavoisier.

Les anciens squatteurs reconvertis à l’écologie n’en oublient pas pour autant le caractère social de leur action. Les objets réparés et recyclés sont vendus dans une des deux boutiques solidaires de l’association à des prix dérisoires. « C’est un vrai bonheur de voir les gens repartir avec le sourire parce qu’ils ont dégoté un petit trésor pour quelques euros », s’enthousiasme Cédric, un des salariés de l’association. Du matériel est également prêté ou donné à des squatteurs ou des artistes des alentours.

Mais la volonté de proposer des objets à un tarif abordable ne suffit pas à garantir qu’ils soient accessibles pour tous. « On voit des personnes hésiter pendant 10 minutes devant une paire de chaussures à 2 euros », regrette Rozenn, une employée de l’association. Elle a bien essayé de leur offrir, mais pas question pour les clients d’accepter de les prendre gratuitement, question de dignité.

« Nous leur proposons alors en échange de participer aux collectes de vêtements ou de filer un coup de main. Ainsi, les personnes ne se sentent pas gênées », ajoute cette salariée qui ne fait payer que la moitié des participants à son cours de couture. « La notion d’échange est importante pour nous, renchérit Dimitri, et celui-ci ne passe pas systématiquement par la monétisation ».

Le cul entre deux chaises

Et l’absence de discrimination par le porte-monnaie ne nuit pas aux affaires. Sur les 200 000 euros de budget annuels, plus de la moitié provient des recettes de la boutique et environ 20 000 euros sont issus des prestations annexes (location de salle, animations, cours…). Le reste vient des huit emplois en contrats aidés. « Grâce à la boutique, on permet à des habitants du quartier d’accéder à des biens et à d’autres d’avoir un emploi », résume Dimitri.

Mais bien qu’ils soient fiers du travail accompli depuis l’ouverture du premier magasin en janvier 2012, la remise en question est permanente. Passer d’un squat à un bâtiment fourni par la municipalité, aussi précaire soit-il, n’est pas sans conséquences. L’institutionnalisation qui en a découlé n’a pas été évidente à gérer pour ces anciens squatteurs qui se retrouvent le cul entre deux chaises :

« Pour les plus radicaux, nous sommes des vendus, et pour les institutions, nous sommes des alternatifs, ironise Dimitri. Pourtant, nous pensons toujours que les squats sont nécessaires. Ce n’est pas parce qu’on a des locaux à notre disposition qu’on a changé d’état d’esprit. Nous avons simplement voulu évoluer vers quelque chose de différent, pour essayer de construire quelque chose. »

Alors ils avancent, ils expérimentent, sans avoir la prétention de changer le monde, simplement de « faire leur part ». Pour Anaïs par exemple, une des dernières recrues dont le boulot consiste à « conseiller des gens pour qu’ils s’habillent avec goût pour trois francs six sous », l’objectif est « de vivre en tant qu’humain dans un monde citadin féroce, d’être en osmose avec mes valeurs ».

Le besoin de mettre en cohérence travail et principes est une volonté exprimée par la plupart des employés. Et cela passe notamment par le mode de gouvernance de l’association. « Tout le monde a le même niveau de salaire et a son mot à dire », assure Dimitri. L’atmosphère riante des lieux montre que de ce côté là, le pari est réussi.

Et pour ce qui est de « resserrer les liens sociaux dans le quartier », comme leur site l’indique, ils ont choisi l’écologie comme vecteur, « mais ça aurait pu être autre chose », glisse Dimitri.

Donner une seconde vie aux objets

De par leur activité de ressourcerie et grâce aux animations qu’ils dispensent, notamment auprès des jeunes, ils espèrent, tranquillement, amener les gens à réfléchir. « Il est important qu’ils comprennent que s’ils peuvent acheter ici, c’est parce que d’autres ont donné, que les objets peuvent avoir une deuxième vie », indique Cédric.

Mais il y a encore du pain sur la planche. En effet, du fond de son atelier Dominique, un sculpteur qui vient ici bénévolement, repère des « mouvements de société », celle de la consommation. « Une semaine avant les soldes, les gens vident leur appartement et nous avons de gros arrivages. C’est de la boulimie ! D’une manière ou d’une autre, les gens veulent consommer histoire de se sentir comme tout le monde », constate-t-il, amer. Une tendance confirmée par Cédric : « on reçoit des appareils photos et des téléphones en parfait état qui sont simplement passés de mode, c’est l’obsolescence à plein régime ».

« L’action locale, c’est l’action maximale »

Lui qui ne « s’intéressait pas du tout à l’écologie » admet être revenu sur ses positions. « Quand on voit tous ces objets jetés, ça vaccine. On se rend compte que si on continue à consommer de la sorte, on ne peut que détruire la planète ». Et il semble ne pas être le seul à avoir intégré la contrainte écologique dans son raisonnement.

« Chez les jeunes, la pratique du recyclage est vraiment ancrée, quand ils viennent à nos animations, ils y sont déjà sensibles. Mais il faudrait au moins une ressourcerie par arrondissement. 10 ans après, on verrait les conséquences bénéfiques en termes de relocalistion de l’économie, de consommation raisonnée, de prise de conscience », prophétise Dominique.

En choisissant de s’investir dans l’action solidaire de proximité, La Petite Rockette œuvre à son échelle pour faire faire bouger les lignes. Et ce n’est pas Dominique, le scultpeur et bénévole de l’association qui s’en plaindra. Car pour lui, « l’action locale, c’est l’action maximale ».


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