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EnquêteClimat

Antarctique, le continent qui fond

REPORTERRE A 30 ANS – L’Antarctique est le continent des superlatifs. Le plus froid, le plus élevé en moyenne, il concentre également 90 % des glaces terrestres. Or, le réchauffement climatique accélère le rythme de la fonte, qui menace d’élever jusqu’à 60 mètres le niveau des mers et d’en diluer le sel.

En octobre 1989, Reporterre publiait un cahier détachable, intitulé « Antarctique, le miroir du monde ». À cette époque, la journaliste s’intéressait au « dernier échantillon de Terre intact », un continent menacé par les convoitises : exploitation minière, tourisme, pêche excessive. Trente ans après, Reporterre met en évidence un autre péril, probablement le plus dévastateur de tous. Le changement climatique.

  • Lire ici le dossier du numéro 9 de Reporterre :
« Antarctique, le miroir du monde »

Les régions polaires sont bouleversées à vive allure par la crise climatique. Elles se réchauffent à un rythme deux fois plus rapide que les régions tempérées. L’Antarctique, continent immense situé au pôle Sud, a ainsi perdu 3.000 milliards de tonnes depuis 1992. Pire, depuis 2012, le rythme de fonte a été multiplié par trois. Un phénomène très grave pour l’humanité et les écosystèmes terrestres : l’île-continent représente 90 % des glaces terrestres qui, si elles fondaient intégralement, pourraient faire grimper le niveau des mers de presque 60 mètres, contribuant également à désaliniser les océans.

L’Antarctique est le continent le plus froid [1] et le plus élevé (altitude moyenne de 2.300 mètres) de la planète. Il est recouvert d’une vaste calotte glaciaire, un glacier d’eau étendu sur une surface d’environ 14 millions de km2, fruit de l’entassement successif de couches de neige. En se densifiant, « la neige devient plus dure, se transforme en glace et, sous l’effet de son propre poids, elle s’écoule lentement vers les bords de l’Antarctique », explique la glaciologue Catherine Ritz.

Une fois parvenue sur les bords de l’Antarctique, la calotte continue son chemin sur la mer, où elle forme des plateformes flottantes, autrement appelées « barrières » ou « ice-shelves ». « Quand ces plateformes sont suffisamment loin du bord, qu’il n’y a plus de baie pour les retenir, elles se crevassent, puis cassent, dit l’océanographe Nicolas Jourdain. Ça donne des icebergs, lesquels vont dériver dans les océans et fondre, petit à petit, en allant vers le nord. »

« Les glaces fondent donc trois fois plus vite qu’avant » 

Dans un climat stable, le mécanisme de l’Antarctique — gain de neige au centre, perte de glace sur les bords — ne provoquerait pas de montée du niveau des océans de la Terre. « L’écoulement glaciaire serait compensé par l’accumulation de la neige, explique l’océanographe Jean-Baptiste Sallée. La calotte antarctique n’influerait alors pas sur le niveau des mers. Le problème est qu’aujourd’hui, ce bilan est en déséquilibre : il y a davantage de pertes que de gains, la masse de la calotte antarctique diminue et contribue à la hausse du niveau global des mers. »

Avant les années 1990, les scientifiques peinaient à appréhender l’écoulement des glaciers en réponse aux émissions de gaz à effet de serre. « L’hypothèse la plus répandue était même que les chutes de neige seraient plus fréquentes dans un climat plus chaud, en raison de la vapeur d’eau, si bien que l’Antarctique aurait tendance à gonfler en masse et à faire baisser le niveau des mers », observe Nicolas Jourdain. Or, à partir des années 1990, de nouveaux moyens techniques ont au contraire révélé une tout autre vérité, implacable : « Avec l’avènement des satellites, qui permettent de mesurer l’altitude de la surface de la calotte glaciaire, on s’est aperçu que des parties de l’Antarctique de l’ouest de la péninsule antarctique s’effondraient », dit Catherine Ritz.

Une récente étude, menée par 84 scientifiques et publiée en 2018 dans la revue Nature, estime que l’Antarctique a perdu 3.000 milliards de tonnes de glace et contribué à une hausse du niveau des mers entre 0,37 cm et 1,15 cm depuis 1992. Et si le continent se délestait d’environ 76 milliards de tonnes de glace par an avant 2012, le rythme de la fonte s’est soudainement accéléré depuis cette date. L’Antarctique perd, désormais, 219 milliards de tonnes de glace annuellement. Les glaces fondent donc trois fois plus vite qu’avant.

L’étude montre aussi des dynamiques très différenciées en fonction des endroits étudiés : au cours de ces 25 dernières années, presque toute la masse de glace perdue l’a été en Antarctique de l’Ouest et dans la péninsule, la région la plus au nord du continent. « Le socle rocheux y est largement sous le niveau de la mer, ce qui renforce l’instabilité et, en plus, il penche vers l’intérieur, telle une baignoire avec un seuil », dit la glaciologue Catherine Ritz. L’est du continent resterait selon les chercheurs relativement stable, mais la marge d’erreur est importante, la région étant vaste et peu accessible. [2]

« La question n’est pas de savoir si ça aura lieu, mais plutôt à quelle vitesse » 

« Cette perte de masse accélérée à l’ouest et au niveau de la péninsule s’explique principalement par un réchauffement de l’océan, qui augmente la fonte sous les plateformes flottantes (les ice-shelves) », dit Nicolas Jourdain. En mars 2002, la péninsule Antarctique a vu la barrière de Larsen-B se disloquer. Cela a provoqué, les années suivantes, une précipitation des icebergs vers la mer. « Les plateformes sont comme des arcs-boutants ou des bouchons de bouteilles. Quand elles s’affaiblissent voire disparaissent, tous les glaciers qu’elles retiennent s’écoulent de façon accélérée vers l’océan. »

Le plus vaste des ice-shelves, situé au sud-ouest du continent, est la plateforme de Ross. Sa superficie avoisine celle de la France métropolitaine [3]. Des scientifiques, dans une étude publiée le 29 avril 2019 dans la revue Nature Geoscience, rapportent comment ils ont suivi les interactions entre la partie nord-ouest de la plateforme de glace et l’océan Austral. Leur analyse a montré qu’un afflux d’eau chaude de l’océan était responsable de la fonte accélérée de la plateforme : cet afflux fait même plus que tripler la vitesse du dégel à la base de la barrière de Ross.

« Les glaciers Thwaites et de Pine Island, situés dans la mer d’Amundsen, montrent également des signes d’évolution importante, dit Catherine Ritz. Ils sont très vulnérables au réchauffement des eaux de surface. Et c’est très grave : ces deux ice-shelves donnent accès à la calotte de l’Antarctique de l’Ouest. Ils retiennent des volumes de glace en amont assez énormes. La partie flottante de Thwaites se désintègre complètement. Ce glacier pourrait déstabiliser totalement l’Antarctique de l’Ouest et contribuer à deux voire trois mètres d’élévation du niveau des mers. Et la question n’est même pas de savoir si ça aura lieu, mais plutôt à quelle vitesse. On est tous d’accord pour dire que, dans deux mille ans, ce sera totalement fait, mais pour la fin du siècle, ce n’est pas encore certain. »

La Nasa (National Aeronautics and Space Administration) a notamment repéré une énorme cavité — 10 km de long, 4 km de large et 300 m de hauteur — à la base de la plateforme de Thwaites. Selon l’étude de l’agence étasunienne, publiée le 31 janvier 2019 dans Sciences Advances, 14 milliards de tonnes de glace étaient contenues dans cette cavité avant de se retrouver dans les océans. Cette plateforme de la taille de la Floride, grignotée de l’intérieur, contribuerait déjà à 4 % de la montée globale du niveau des mers. Et ce n’est pas près de s’arrêter : l’agrandissement de la cavité décroche Thwaites de la roche, et la plateforme menace de se détacher du continent.

« Des pays comme le Bangladesh sont en péril même si le niveau des mers ne grimpe que de quelques centimètres »

« Ce qui se trame en Antarctique, conjugué à la fonte des glaciers de montagne, à la fonte du Groenland ou à la dilatation thermique de l’océan est d’une importance capitale, estime Nicolas Jourdain. De nombreuses villes pourraient être submergées, des pays comme le Bangladesh sont en péril même si le niveau des mers ne grimpe que de quelques centimètres. Il est primordial de réduire les émissions de gaz à effet serre anthropique car, à 1 ou 2 degrés Celsius de réchauffement, la réponse en 2100 est très différente. Plus les émissions de gaz à effet de serre seront élevées, plus l’élévation du niveau des mers sera importante. »

L’intensification de l’effet de serre, due aux émissions humaines de gaz à effet de serre (GES), est en effet la force motrice principale du réchauffement observé depuis un demi-siècle. Les activités des sociétés humaines — industrie, agriculture, transports, production d’électricité et de chaleur — transforment la composition chimique de l’atmosphère et injectent toujours plus de gaz à effet de serre. De plus en plus concentrés dans l’atmosphère, les GES retiennent trop de chaleur et la température terrestre monte.

Selon les scientifiques du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), les émissions nettes de CO2 doivent atteindre zéro à l’horizon 2050 si l’on veut maintenir l’augmentation de la température terrestre en dessous de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. En d’autres termes, la quantité de CO2 entrant dans l’atmosphère doit être égale à la quantité de CO2 éliminée par les puits naturels (océans et forêts) ou technologiques (captation du carbone atmosphérique), et ce afin de limiter les dégâts du changement climatique sur les écosystèmes et les sociétés humaines.

« La situation est urgente, dit le glaciologue Éric Rignot. L’Antarctique contient un volume de glace qui peut faire monter le niveau des mers de plus de 60 mètres. L’emballement de la fonte a déjà commencé. Il est encore possible d’éviter les scénarios catastrophes, mais nous n’avons pas de temps à perdre. »

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