Artificialisation des sols : les députés ont adopté des mesures à l’effet incertain

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Deux mesures fiscales favorisant l’artificialisation des sols en France ont été discutées par l’Assemblée nationale jeudi dernier. L’une voit son application repoussée d’un an. L’autre est adoptée, mais son effet est discuté. Pour les écologistes, le dossier est devenu « emblématique ».
L’artificialisation des sols s’accélère en France. 79.000 hectares de terres agricoles et naturelles sont consommés par la ville chaque année. C’est l’équivalent d’un département tous les sept ans.
Face à ce constat, le président de la République lors de la Conférence environnementale de 2012, et la ministre du logement Cécile Duflot à travers la loi ALUR (loi pour l’Accès au logement et un urbanisme rénové, ont promis de « donner un coup d’arrêt à l’artificialisation des sols ». Mais comme Reporterre l’a expliqué dans une précédente enquête, deux mesures dans le projet de loi de finances pour 2014 pourraient au contraire accélérer ce processus. Elles viennent d’être examinées en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
Premier dispositif qui pourrait poser problème : l’augmentation de la taxe foncière sur les terrains constructibles. Le député UMP de Haute-Savoie Lionel Tardy a fait le calcul pour un terrain de 1.000 m2 : le propriétaire devrait payer 5.000 euros de taxe foncière en 2014 puis 10.000 euros par an à partir de 2015, contre seulement 300 euros aujourd’hui. "C’est une fiscalité confiscatoire", dénonce-t-il. Surtout, cette taxe toucherait non seulement des parcelles au cœur des villes, comme prévu, mais aussi de nombreux agriculteurs : ils seraient contraints de vendre des terrains certes classés comme constructibles, mais en réalité d’usage agricole.
"Préserver l’agriculture"
Ce n’est pourtant pas le but du gouvernement. La ministre du logement Cécile Duflot a réexpliqué son objectif devant le Sénat le jeudi 7 novembre : "Elle vise à éviter la spéculation foncière et la rétention de terrains constructibles, qui sont vacants et gardés par leur propriétaire en attente de l’augmentation du prix du foncier." En clair, il s’agit de d’inciter les propriétaires à vendre, afin de libérer des terrains pour la construction de logements. Cette mesure doit donc aider le gouvernement et en particulier la ministre du logement à atteindre l’objectif fixé par le Président de la République : la construction de 500.000 logements neufs par an.
La mesure s’applique dans les agglomérations de plus de 50.000 habitants définies par décret, des zones dites "tendues" où la demande de logements est supérieure à l’offre. Mais c’est aussi justement dans ces zones que la préservation des terres agricoles périurbaines reste crucial : ce sont elles qui permettent aux urbains de manger local. Toujours devant le Sénat, la ministre du logement l’a donc ré-affirmé : "l’objectif du gouvernement est de préserver l’agriculture, y compris de proximité, y compris l’agriculture périurbaine."
Effet pervers
Cet effet pervers de l’augmentation de la taxe foncière a donc été abondamment signalé au gouvernement. Par exemple par le sénateur UMP de Haute-Savoie Jean-Claude Carle, auquel Cécile Duflot répondait dans son intervention devant le Sénat. Mais aussi par le député Lionel Tardy dans une question à Stéphane Le Foll. Ou encore par le député PS du Pas-de-Calais Jean-Jacques Cottel, dans une question écrite au ministère de l’Economie et des finances.
La FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) s’est également emparée du sujet depuis plusieurs mois. La Coordination Rurale elle a lancé un appel aux parlementaires.
L’exécutif a fini par reconnaître le problème. La mesure était déjà présente dans l’article 82 de la loi de finances pour 2013, elle a été réintroduite par un amendement dans l’article 59 du projet de loi de finance pour 2014. Il a été adopté jeudi à l’Assemblée nationale et reporte cette mesure d’un an. Pour le député UMP de Haute-Savoie Lionel Tardy, cela correspond à un abandon : "Dire que la mesure est juste repoussée permet de ne pas vexer Mme. Duflot."
A l’inverse, le député Europe Écologie Les Verts (EELV) du Doubs Éric Alauzet croit plutôt que ce délai va permettre d’améliorer la mesure . "Cela nous laisse le temps de distinguer les terrains agricoles des parcelles libres, les "dents creuses" qui peuvent être urbanisées." Le cabinet de Cécile Duflot confirme : "Les délais étaient trop serrés pour les maires. Ils vont pouvoir prendre le temps de cibler les terrains concernés."
"Les propriétaires auront tout intérêt à vendre"
La deuxième mesure dont nous vous parlions également il y a dix jours sur Reporterre a elle aussi été votée jeudi 14 novembre. Il s’agit de l’article 18 du projet de loi de finance pour 2014, portant sur les plus-values immobilières. Aujourd’hui, pour vendre un terrain non-bâti mais constructible, le propriétaire a intérêt à attendre : plus il est propriétaire depuis longtemps, plus l’abattement fiscal sur sa plus-value est important. Au bout de 30 ans, il est même exonéré. C’est une incitation à garder un terrain longtemps.
Cet article instaure un nouveau régime fiscal : désormais, que l’on possède le terrain depuis un ou trente ans, au moment de la vente il sera taxé de la même manière. "La fiscalité devient neutre : il n’y a plus d’incitation ni à la rétention, ni à la vente", précise le cabinet de Cécile Duflot.
Mais ce n’est pas l’analyse de tout le monde. "Les propriétaires auront tout intérêt à vendre rapidement leur terrain, surtout ceux qui louent à des agriculteurs car le rendement des loyers ruraux est quasi nul", nous expliquait Guillaume Sainteny, maître de conférences à l’Ecole polytechnique et auteur d’un rapport sur les dommages à la biodiversité. Si en plus, leur terrain est concerné par l’augmentation de la taxe foncière, ils auront intérêt à s’en débarrasser le plus rapidement possible, pour éviter de payer la taxe chaque année.
Blocage
Le député UMP Gilles Carrez, président de la commission des finances à l’Assemblée nationale, signale à Reporterre une autre incohérence dans cet article 18 : désormais, les terrains bâtis et non bâtis sont soumis à des régimes fiscaux différents. D’un côté, une parcelle bâtie sera exonérée plus rapidement (au bout de vingt-deux ans de détention contre trente auparavant). De l’autre, un terrain non bâti est soumis à la logique inverse : le vendeur qui fait une plus-value ne peut plus espérer d’exonération. "Ce sont deux méthodes opposées pour aboutir au même résultat : la vente du terrain !", s’étonne Gilles Carrez.
Pour lui, cela "va aboutir à un blocage : les gens ne vendront pas." Mais Guillaume Sainteny ne fait pas la même analyse : "Si vous possédez une petite maison sur une grande parcelle en centre ville et qu’on souhaite vous en acheter une partie pour construire un immeuble, vous préférerez attendre avant de vendre, pour avoir droit à l’abattement fiscal. A l’inverse, si vous avez un terrain libre en périphérie, vous savez que vous n’aurez pas droit à l’abattement, donc vous allez vendre tout de suite. Résultat : la ville va s’étaler en périphérie au lieu de se densifier en son centre."
Le député Eric Alauzet, lui, a averti ses collègues lors des discussions à l’Assemblée nationale sur l’article 18 (lire le compte-rendu du débat ici), mais ne va pas au-delà : "L’article 18 a été voté et n’a pas été remis en cause. Je ne sais pas s’il faudra aussi s’y attaquer. Nous allons d’abord mesurer son impact."
Le débat n’est donc pas terminé, d’ailleurs le gouvernement a proposé aux parlementaires de créer un groupe de travail pour discuter de cet article, avec la promesse que tous les partis seraient représentés.
Un sujet emblématique pour les écologistes
En revanche à la FNSEA, on ne s’inquiète pas outre mesure des conséquences de l’article 18. "C’était surtout l’augmentation de la taxe foncière qui posait problème, et nous sommes satifaits de son report", répond Henri Biès-Péré, administrateur en charge du dossier pour le syndicat agricole.
L’organisation rappelle également que ces articles de la loi de finance ne sont pas le seul risque en matière d’artificialisation des terres agricoles : "Il y a également un enjeu du côté des plans locaux d’urbanisme. Dans les départements ruraux la moitié des communes n’en ont pas et il y a des dérives."
Un sentiment partagé par Eric Alauzet. Il estime qu’"il ne faut pas croire que si on supprime ces mesures fiscales il n’y aura plus de problème." Il compte bien continuer de suivre ce sujet du logement avec attention : "Il faut qu’on montre que les écologistes sont capables de faire de l’économique - en relançant la construction -, du social - en construisant des logements sociaux -, et tout cela sans consommer plus de terres agricoles et naturelles. C’est un sujet emblématique pour nous."