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Climat : de COP en COP

Au paradis des bidouilleurs écolos, on invente les outils de l’utopie

Kit de jardin d’intérieur, éolienne à 30 euros, filtre à eau imprimé en 3D, douche ou bouilloire économes, vélo-tracteur, groupe électrogène solaire… A POC 21, on regorge de bonnes idées. Lors de ce « camp d’innovation » organisé non loin de Paris, les porteurs de douze projets venus du monde entier ont eu cinq semaines pour créer un prototype à présenter au public ce week-end.

- Millemont (Yvelines), reportage

Il ne leur reste plus que quelques jours avant de lever le voile sur leurs prototypes. Ce mercredi de septembre, les anciennes écuries du château de Millemont, baignées de soleil, ont un faux air de fourmilière. A 55 kilomètres à l’ouest de Paris, c’est dans un monument historique qu’une trentaine de porteurs de projets s’activent depuis mi-août. Ce sont les invités de POC 21, pour « proof of concept », mais aussi pour le clin d’œil évident à la COP 21, la grande conférence sur le climat qui se tiendra à Paris fin novembre.

Organisé par les collectifs OuiShare et OpenState, cet événement inclassable a pour ambition de permettre à des inventeurs, designers et « makers » venus du monde entier et triés sur le volet de construire le meilleur prototype possible de leur utopie, de prouver que leurs concepts sont valables. Parmi les critères de sélection : le choix des thématiques (énergie, mobilité, eau, alimentation…), la personnalité et l’existence préalable d’au moins un prototype. Une trentaine de « supporters » sont présents pour les épauler : développeurs et autres professionnels de la communication, ou de la 3D.

Sur place, chacune des cent personnes hébergées gratuitement participe aux tâches du camp pendant cinq semaines : de la cuisine au nettoyage des toilettes sèches en passant par la ronde de nuit.

L’ambiance est métissée : tapisseries, moulures et tableaux d’époque toisent les imprimantes 3D et les canapés d’angles. Ici on boit du « Club Mate » en présentant son travail dans un salon baptisé « le lounge ». A l’extérieur, dans la « Factory » installée dans les écuries, Hugo Frederich, ingénieur et physicien, s’active sur le Solar OSE. Quatre membres de l’association Open Source Ecologie sont venus développer ce concentrateur solaire thermique. « On n’a pas de local, pas d’outils. POC 21 nous permet de bien avancer dans la construction », se félicite-t-il.

Le Solar OSE, destiné à de petites industries ou à des artisans, produit de la vapeur d’eau entre 100 et 250° à l’aide de miroirs disposés au sol. Cuisson d’aliments, production de bocaux, huiles essentielles, torréfaction de café… les potentialités de cette machine imaginée outre-Atlantique sont nombreuses en France et ailleurs.

Décentraliser et gagner en autonomie

Pour Open Source Ecologie, le but est de « participer à l’émergence d’une micro-industrie renouvelable, de décentraliser la production de produits simples » afin de redynamiser les territoires, comme l’explique le jeune ingénieur. Une fois leur prototype réalisé, ils ont l’ambition d’en construire un quatre fois plus grand, puis ils permettront à d’autres de bénéficier de leur expérience.

Les douze projets développés dans ce « camp d’innovation », ont pour but de réduire notre impact sur le climat, et sont tous réalisés sans brevets (sous licence open source). Juste à côté du Solar OSE, l’équipe du Bicitractor est en train de monter le quatrième prototype de ce tracteur à pédales. Pensé pour le maraîchage, il est inspiré des « bicimaquinas » mexicaines.

Construction du Bicitractor

« On ne cherche pas à inventer un véhicule pour le vendre mais à savoir le construire pour l’apprendre à des agriculteurs », nuance Mathieu*. Une cinquantaine d’agriculteurs français auraient déjà fait part de leur intérêt pour cette machine, capable de désherber, semer, biner, sarcler, ouvrir des sillons, et bientôt arroser. Construit pour « 1.500 euros avec du matériel neuf », le Bicitractor « ne sera jamais fini. Il aura un toit et un panneau solaire pour un moteur… », envisage Mathieu. « De la musique, un distributeur de chips et de pop-corn », enchérit Kevin, maraîcher dans le Vaucluse.

« Il ne fera pas plus de choses qu’un tracteur traditionnel, ce n’est pas le but », précise Kevin. En revanche, avec un poids estimé entre 70 et 80 kg, son impact sur le sol est minime. « Il ne pollue pas, utilise de l’énergie gratuite, ne fait pas perdre de temps - parce que pour désherber de toutes façons il ne faut pas aller vite -, ne fait pas de bruit, ne vibre pas… » énumère Kevin qui attend avec impatience qu’un agriculteur « conventionnel » s’intéresse à ce projet. « On peut très bien imaginer que le Bicitractor serve à épandre des produits phytosanitaires. Un marteau c’est un marteau, ce n’est pas fait que pour ceux qui ont les cheveux longs ! » philosophe celui qui refuse de ne prêcher qu’à des convertis.

« Planter des graines d’information »

Courts ou longs, ses cheveux à lui sont cachés sous un foulard. L’air perpétuellement préoccupé, Daniel Connel est venu de Nouvelle-Zélande. Après avoir vu l’appel à projet sur Facebook, il avait décidé de venir « coûte que coûte ». Celui qui se définit comme un « inventeur » et parcourt le monde pour « planter des graines d’information », n’a besoin que de plaques d’aluminium et de roues de vélo pour fabriquer une éolienne à moins de 30$. Destinée à des habitats individuels ou de petites exploitations, elle peut permettre, si des gens se donnent la peine de la construire, de relocaliser la production d’énergie.

Daniel Connel

Et qui sait, dans quelques années, ceux qui auront installé cette éolienne faite maison se doucheront peut-être dans la « Showerloop » du Finlandais Jason Selvarajan. Cette douche, dont le prototype en construction trône fièrement au milieu du chantier de POC 21, n’utilise que dix litres d’eau par utilisation, contre environ dix litres… par minute pour une douche classique ! Plusieurs couches de filtre (tissus, sable, charbons actifs et UV), neutralisent les impuretés et les bactéries. « L’idée m’est venue quand j’avais environ dix ans. Cela me paraissait évident car paradoxalement, cela représente une énergie énorme de rester immobile dans sa douche », explique Jason Selvarajan. 19 ans plus tard, il touche son rêve du doigt avec ce quatrième prototype, en attendant d’inventer une boucle d’eau qui fonctionne dans toutes les installations de la maison. « Vendre ce projet dans les pays développés pour changer les habitudes c’est une chose, mais j’imagine qu’on pourrait facilement l’installer vers des camps de réfugiés ou les problèmes d’hygiène sont nombreux », espère le jeune ingénieur.

Des idées qui se concrétisent, POC 21 n’en manque pas. Du mobilier en kit pour l’agriculture urbaine au filtre à eau anti-bactérien imprimable en 3D en passant par le groupe électrogène solaires et autres… Et c’est bien le but de ce cette colonie d’ingénieurs : montrer que des solutions concrètes pour un mode de vie plus durable peuvent émerger des citoyens. « Ce n’est pas un anti-COP 21, au contraire, il s’agit d’ajouter une solution supplémentaire », explique Benjamin Tinq, co-fondateur de POC 21. L’événement cofinancé par l’Ademe, le ministère de Ecologie et de nombreux financeurs privés (750.000 euros, auxquels s’ajoutent 250.000 euros de don ou prêt de matériel), bénéficie du label COP 21.

Benjamin Tinq

Si ce modèle d’expérience rencontre le succès escompté, il pourrait bien être décliné pour d’autres événements. En attendant, les prototypes des projets de POC 21 seront visibles au château de Millemont sur inscription les 19 et 20 septembre, puis lors d’une exposition itinérante en Île-de-France et en marge de la COP 21 à Paris.


* Les membres de Farming Soul, préférant « mettre en avant le projet collectif », ont refusé que leurs noms de famille soient publiés.

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