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Tribune

« Choisir d’être heureux est un acte de résistance politique » : la Rencontre de Reporterre sur le vivre ensemble

Belle, belle ambiance lors de la Rencontre de Reporterre de jeudi 5 février : témoins, public, « sage », toutes et tous ont partagé paroles et émotions lors de l’Assemblée du village, un mois après les attentats qui ont bousculé la société. Face aux logiques guerrières, le désir de se comprendre. Ecoutez...

Il y a mois, le 7 janvier, l’improbable, l’horreur, la stupéfaction. Deux assassins, dix-sept morts, et un pays tout entier sous le choc. Les « événements » mettent à vif les plaies profondes dont souffre notre société.

Après le trop-plein d’émotions, une nécessité se fait jour, urgente : se parler, se retrouver. Nous avons, comme d’autres ressentis le besoin de recréer une parole collective. Le jeudi 5 février, nous étions donc cent cinquante dans la belle salle des mariages de la Mairie du 10e arrondissement de Paris. Assis sur les banquettes en velours rouge ou sur les marches en bois clair, les uns contre les autres.

Une Rencontre de Reporterre préparée à la hâte, avec deux objectifs : activer la réflexion et libérer la parole. Des témoins de terrain livreraient leur regard, et une discussion impliquant chacun suivrait. Voici ces sept témoignages à ré-écouter, et des dizaines d’idées à faire fleurir pour nourrir le Vivre ensemble.

Sonia Bensaïd : « Nous sommes comme les autres, tout ce qu’on demande c’est que les autres nous acceptent »

Sonia Bensaïd travaille comme professeur d’anglais au lycée Feyder d’Épinay-sur-Seine (93). Un établissement souvent accaparé par des guerres de gang. Elle raconte les réactions des élèves après les attaques contre Charlie Hebdo : le choc, comme partout ailleurs, puis la crainte et le refus de l’amalgame.

-  Ecouter Sonia ici :

Mohamed Mechmache : « On nous voit comme un réservoir de coupables, mais on est pas le problème, on est une partie de la solution »

Fondateur du collectif AC Le feu et ancien candidat écologiste aux élections européennes, Mohamed Mechmache est l’un des « porte voix » des quartiers populaires. AC Le Feu est né en 2005, au lendemain des révoltes sociales. « Aucune des leçons n’en a été tirée », explique-t-il. « Et le résultat, nous l’avons vu le 7 janvier. »

-  Ecouter Mohamed ici :

Johanna Gutierrez Benamrouche : « L’envie d’aller l’un vers l’autre est là, il faut juste créer les opportunités »

Johanna Gutierrez Benamrouche travaille comme coordinatrice socio-culturelle pour l’association Socrate, qui permet de mettre en relation des jeunes « qui ne se seraient jamais rencontrés autrement. » Le principe : des lycéens issus de tous milieux accompagnent des collégiens ou des écoliers des quartiers populaires. L’association est située tout prêt de la Porte de Vincennes, où a eu lieu la prise d’otage du 9 janvier. Elle décrit comment les jeunes ont réagi, « comme des éponges », aux événements et aux rumeurs.

-  Ecouter Johanna ici :

Éloïse Lebourg : « Pour vivre ensemble, il faut avant tout arrêter de catégoriser les gens »

Journaliste à Clermont-Ferrand, elle est l’auteure pour Reporterre de l’article sur l’enfance des frères Kouachi. « On oublie de dire qu’ils étaient Français, comme nous. » Elle réalise actuellement un documentaire sur les gens de la rue, avec qui elle tient un blog. Une expérience qui change profondément son regard sur notre société : « Nous sommes tous pareils malgré nos parcours différents. »

-  Ecouter Eloïse ici :

Yahia Adane : « Nous sommes tous des briseurs d’impasse en puissance »

Yahia Adane est directeur et éducateur de l’Association d’éducation populaire Charonne-Réunion, dans le 20e arrondissement de Paris. Chaque mercredi, les animateurs de l’association investissent une place du quartier, avec des ateliers, des jeux, pour favoriser la dialogue des cultures et des générations. Il faut susciter la rencontre, « briser les impasses », dirait Saint-Augustin.

-  Ecouter Yahia ici :

Adeline Besson : « Le vivre ensemble commence à l’école, en remettant l’élève au centre du projet pédagogique »

Professeure d’arts-plastiques dans un collège d’Aubervilliers, Adeline Besson travaille avec d’autres enseignants à la création d’un établissement polytechnique et coopératif, au sein de l’Éducation Nationale. L’idée : parler à nouveau de pédagogie, réfléchir à une organisation plus horizontale, et surtout, donner la parole aux élèves.

-  Ecouter Adeline ici :

Patrick Viveret : « Il y a deux dérèglements climatiques : le réchauffement, et la glaciation, quand la peur et le repli identitaire prennent le dessus »

Patrick Viveret a accepté d’être le « grand sage » de la Rencontre. Philosophe, essayiste altermondialiste, il est un fervent défenseur de la sobriété heureuse, du convivialisme, et de toutes les « expressions concrètes de la fraternité. » Tout au long de la soirée, il a semé des graines de réflexion et des raisons d’espérer. Car « la curiosité peut prendre le pas sur la peur. »

-  Ecouter Patrick ici :

Libérer la parole

L’équipe de Reporterre est animée par l’utopisme. La parole ne devait pas être aux seuls sage et témoins, mais il fallait que nous la prenions toutes et tous, dans cette assemblée de village, pour s’écouter et réfléchir ensemble.

L’annonce de cette initiative décalée a fait s’éclipser une partie des cent cinquante assistants, mais les quelques quatre-vingt participants aux groupes de parole ont pu plancher sur l’épineuse question : par quoi commenceriez -ous pour améliorer le Vivre ensemble, au quotidien, près de chez vous ? Deux mesures à faire jaillir, à l’aide de post-it colorés et de débats animés.

Une demi-heure plus tard, des envies par paquets, qui tiennent en quelques mots : favoriser l’échange, la connaissance inter-culturelle et la convivialité.

Voici donc un florilège des idées qui ont germées :

-  « L’inclusion commence par changer son regard, déconstruire ses préjugés et donner sa chance aux autres »

-  « Faire découvrir aux jeunes des professions qui leur sont lointaines (paysan) : les stages en entreprise sont un bon moyen d’aller se confronter à d’autres mondes. »

-  « Le plus important, c’est de se rencontrer, de rire ensemble. »

-  « Installer des bancs publics pour créer le dialogue. S’assoir sur des bancs avec des inconnus. »

-  « Multiplier les repas entre voisins, où chacun amène sa spécialité, ou toute autre rencontre de quartier et fête populaire. »

-  « Dans le métro, à côté du sticker pickpocket, porter un sticker "votre voison vous veut du bien" ».

-  « Pour se rencontrer entre voisins, on peut créer des lieux de rencontre dans l’immeuble, comme une étagère à livres collective. »

-  « Demain, à 11h, tout le monde s’arrête et on se parle (skype exclu), même si on ne se connaît pas. Et on s’écoute. On peut faire ça tous les mois, pendant une heure. »

-  « Expérimenter des moments de non hiérarchie dans l’entreprise. »

-  « Organiser des ateliers d’écoute... et de silence. »

-  « Fermer toutes les télévisions »

-  « Sourire aux gens trois fois par jour »

-  « Rouler en tandem, avec une place libre, à proposer à un inconnu ! »

-  « Occuper l’espace public, organiser des grands jeux dans la ville, où tout le monde peut participer. »

-  « Encourager la connaissance interculturelle dans les écoles »

-  « Placer des micros dans les rues, et diffuser le tout sur une radio libre. »

L’assemblée du village

21h, la salle des mariages ressemble à une place de village. Des rires discrets, des chuchotements bruyants. On pourrait rester là toute la nuit. Mais il faut rendre la salle à la Mairie. Le mot de la fin revient à Patrick Viveret : « On l’a compris, l’alternative est du côté du Buen vivir et de la sobriété heureuse. Choisir d’être heureux est aujourd’hui un acte de résistance politique. »

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