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ReportageCongrès mondial de la nature

Congrès de la nature - Jour 6 : La politique sanitaire s’invite dans les débats

Au Congrès mondial de la nature, les représentants poursuivent discussions et votes des motions sans lever le pied. Pourtant, la frustration de certains membres du fait des restrictions sanitaires imposées par la France aurait pu gâcher la fin du sommet.

Le Congrès mondial de la nature se tient du 3 au 11 septembre à Marseille. Deux journalistes de Reporterre sont présentes à cet événement autour de la biodiversité, et proposent un suivi quotidien.

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Marseille (Bouches-du-Rhône), reportage

Le Congrès mondial de la nature a bien failli tourner court. Pourtant l’Assemblée des membres, instance qui vote les nombreuses motions de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), s’est ouverte mercredi après-midi 8 septembre sur une note légère, voire comique, avec l’apparition à l’écran de « l’ambassadrice de bonne volonté de l’UICN », Iruka, chantant « We love you Planet » en s’accompagnant à la guitare (une précédente interprétation existe en ligne). Mais l’amusement a vite laissé place à la tension. Une motion d’urgence, la motion M, était soumise au vote. Déposée deux jours avant l’ouverture du Congrès, elle réclame le report des votes des motions à dans un mois. Plus de la moitié des membres mandatés de l’UICN l’ont soutenue. Mais il en fallait les deux tiers pour qu’elle soit acceptée.

Le soulagement de la délégation française était palpable car le report du vote des motions, moment décisif du congrès, aurait privé la France d’un final en fanfare [1]. Au-delà des enjeux hexagonaux, attendre un mois risquait de dissoudre les résultats du congrès dans la préparation de la COP26 à Glasgow, réduisant les efforts pour mettre la biodiversité à l’agenda de la rencontre mondiale sur le climat. Tous les quatre ans, les motions de l’UICN constituent en effet une sorte d’état des lieux des priorités en matière de conservation de la nature à l’échelle mondiale.

Un seul représentant chinois

Qui défendait cette motion M qui a failli faire dérailler le congrès ? « C’est la manifestation de la frustration de certains membres à cause de la situation sanitaire : les conditions imposées aux pays en zone rouge, les quarantaines qui augmentent beaucoup les coûts de séjour, les vaccins non reconnus par la France, ont empêché beaucoup de membres de nous rejoindre », explique Sébastien Moncorps, directeur du comité français de l’UICN, qui compte 58 organisations membres. La délégation chinoise est ainsi réduite à la portion congrue, seul un représentant ayant été autorisé à quitter la Chine. Sous-représentés aussi les petits États insulaires du Pacifique, qui font entendre leur voix à travers la prise de parole d’un représentant fidjien. Voter par voie électronique dans un mois, selon les promoteurs de la motion M, aurait permis de mettre tout le monde sur un pied d’égalité. En face, les représentants français ont défendu leur congrès, alors que le quorum des votants est largement atteint avec les membres présents et les procurations, et que 109 motions sur près de 130 ont été votées en ligne avant l’ouverture des débats à Marseille. « Les groupes de contact, où sont débattus le contenu des motions, ont été réunis en ligne, même pour les personnes sur place, pour ne pas défavoriser les absents », dit Sébastien Moncorps.

D’autres voix que françaises se sont aussi élevées contre la motion M. Comme celle d’une représentante d’une organisation bolivienne ou celle de son alter-ego sénégalais, qui savent toutes deux qu’ils ne participeront plus à un tel événement et veulent pouvoir défendre leurs motions jusqu’au bout. Ces diverses prises de parole ont rappelé que l’UICN n’est pas une organisation onusienne ; les voix des organisations non gouvernementales sont cinq fois plus nombreuses que celles des représentants étatiques. Avec, en particulier, beaucoup de petites associations. Ce qui nécessite quand même d’éclaircir un point : combien cela coûte-t-il à une association nationale pour devenir membre de l’UICN ? « Environ 300 euros pour France Nature Environnement », me répond Jean-David Abel, vice-président de la fédération.

« Les stands sont très chers »

Pour ouvrir un stand sur place pendant la durée du congrès, ce n’est pas la même affaire. Mediapart avait révélé le chiffre de 350 000 euros pour les plus grands. « Les stands sont très chers, confirme Jean-David Abel, alors qu’on converse sur le stand plutôt spacieux de FNE. Il n’était pas question pour nous de payer pour une semaine l’équivalent d’un an de salaire. » Sans me donner plus de détails sur le prix final négocié et les aides accordées par le gouvernement. FNE s’y est-elle retrouvée ? « On fera un bilan de notre participation à ce congrès. Mais FNE est membre de l’UICN depuis très longtemps, à la fois pour les échanges avec des organisations de protection de la nature du monde entier, mais aussi parce que, si l’UICN est une grosse machine administrative, c’est aussi une organisation dont les recommandations pèsent. »

Les six autres motions soumises au vote ce mercredi ont été adoptées. Dont celle défendue par le comité français sur la protection des mammifères marins. « Cela va nous permettre de pousser à la mise en place de zones de protection renforcée, alors qu’une espèce de cétacés sur quatre est menacée », se félicite Sébastien Moncorps. Une vingtaine de motions sont encore en débat. Jusqu’au dernier moment, les réunions à huis clos en ligne vont se poursuivre pour essayer d’arracher un texte consensuel qui pourra ensuite être proposé au vote. Sans certitude d’y arriver, comme pour la motion sur la biologie de synthèse par exemple.

Le secrétariat de l’UICN peut aussi refuser certaines motions proposées. Telle la motion sur une charte éthique proposée par le comité français rejetée en début de semaine. « Au-delà des propositions d’action, on voulait défendre une vision éthique portée par l’UICN sur le rapport de l’humanité à la planète », explique Sébastien Moncorps. Raté. Un observateur me confie que les questions d’éthique ont du mal à passer. Pourtant, une autre motion s’est frayé un chemin jusqu’au vote, la 48, intitulée « Renoncer à la doctrine de la découverte pour redécouvrir comment préserver la terre nourricière ». L’héritage de cette doctrine qui, au XVe siècle, « a légitimé l’asservissement et la confiscation des biens des peuples autochtones », rappelle le texte de la motion, pèse encore aujourd’hui contre la reconnaissance de leurs droits.

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