Congrès de la nature - Jour 7 : Comment sauver le vivant ?

- Pixabay/CC/Boomie
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Congrès mondial de la natureCroissance verte, recours en justice pour faire condamner un État ou actions plus concrètes pour sauver le vivant sont au centre du congrès de l’UICN. Mais les solutions durables se font encore attendre.
Le Congrès mondial de la nature se tient du 3 au 11 septembre à Marseille. Deux journalistes de Reporterre sont présentes à cet événement autour de la biodiversité, et proposent un suivi quotidien.
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Marseille (Bouches-du-Rhône), reportage
Ce jeudi matin, le parc Chanot paraît bien calme. Une bonne partie des participants au Congrès mondial de la nature ont en effet plié bagages, le Forum — la partie exposition — s’est achevé mercredi 8 septembre. Mais dans l’immense hall 1, quelques centaines de membres de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) poursuivent leurs discussions. Jusqu’à vendredi soir, ils ont encore une dizaine de motions à voter, autant de recommandations pour (tenter) d’enrayer l’effondrement de la biodiversité. Certaines sont très concrètes — comme la n°129, qui propose d’« éviter le point de non-retour en Amazonie en en protégeant 80 % d’ici à 2025 », d’autres paraissent plus vagues, telle la n°101, qui entend « fixer des objectifs de conservation par zone en se fondant sur ce dont la nature et l’homme ont réellement besoin pour prospérer ».
Mais ce matin, dans la pénombre de la salle plénière, on discute relance économique. Et c’est un représentant du gouvernement sud-coréen qui parle, vantant le Green New Deal adopté par ses parlementaires. Sa présentation a des allures de stratégie entrepreneuriale : « management de la biodiversité », « croissance verte » ou « investissement pour la séquestration du carbone ».
Je tique un peu et sors prendre l’air. Au détour d’un couloir, je croise Marie Toussaint, eurodéputée écologiste. Elle a justement commandé une étude, qui sera publiée très prochainement, sur les dérives de la finance verte. « Plusieurs motions de l’UICN portent sur le “capital naturel” ou sur les services écosystémiques, avec cette idée qu’en donnant un prix à la nature, on la protégera mieux, m’explique-t-elle. Nous, ça nous fait peur, car on risque de créer des droits à détruire la nature. » En bref, des entreprises pourraient polluer ou bétonner de plus belle, tout en se dédouanant en finançant des actions de reforestation ou de restauration de milieux. C’est ce qu’on appelle la compensation, et cela se pratique déjà localement. Mais là, l’idée serait de créer un marché financier mondial, où les sociétés pourraient s’échanger, moyennant finance (et spéculation) des sortes de « droits à polluer ». « C’est dans les tuyaux de la Commission européenne, et ce devrait aussi être à l’agenda de la COP15 biodiversité », s’inquiète Mme Toussaint.

« Les juges sont aujourd’hui plus réactifs que les politiques, englués dans un ancien modèle »
Si la députée ne croit pas dans les vertus de la finance verte, elle semble en revanche convaincue des effets de l’action en justice. Je la suis dans la salle de presse, où elle présente, avec ses collègues de Notre affaire à tous et de Pollinis, un recours inédit nommé Justice pour le vivant.
« L’État joue un rôle central dans l’effondrement de la biodiversité, affirme Cecilia Rinaudo, de l’ONG Notre affaire à tous. Il tient un double discours, prenant sur la scène internationale des engagements apparemment ambitieux, mais autorisant d’autre part la mise sur le marché de pesticides dangereux. Face à l’urgence de la situation, il n’y a pas d’autre choix que de nous faire les avocats du vivant. » En attaquant l’État, les associations environnementales espèrent réitérer le succès de l’Affaire du siècle, qui a permis de faire condamner l’exécutif pour inaction climatique. Plus récemment, elles ont également obtenu que le gouvernement finance davantage les actions de lutte contre la pollution de l’air. « On continue à faire des marches, à faire pression auprès des dirigeants, mais la réalité est que la justice, les juges, sont aujourd’hui plus réactifs à la crise écologique que les politiques, englués dans un ancien modèle », estime Marie Toussaint.

Une armée « écolo » ?
Je m’échappe de la conférence de presse pour aller retrouver deux ministres présentes sur le congrès : la secrétaire d’État à la biodiversité, Bérangère Abba, et la ministre des Armées, Florence Parly. Sont-elles « engluées dans un ancien modèle » ? « Les militants sont dans leur rôle de plaidoyer, estime Mme Abba à propos du recours contre son gouvernement. Mais nous agissons et développons des moyens concrets pour la biodiversité. » Elle en veut pour preuve la toute nouvelle stratégie biodiversité du ministère des Armées, a priori peu enclin à la révolution écologique.
« La défense verte, des blindés hybrides, une armée écolo... cela ressemble à des oxymores qui pourraient prêter à sourire, commence Mme Parly, devant un parterre de képis et d’uniformes. Mais cela n’a rien de contradictoire. » Car, assure-t-elle, « la crise écologique provoquée par les activités humaines crée de nouvelles failles, de nouvelles tensions... et donc potentiellement de nouveaux conflits. » La criminalité environnementale serait ainsi une des premières sources de financement du terrorisme. L’armée prend donc la question environnementale au sérieux : elle participe à des programmes de suivi des thons, afin d’anticiper de potentiels conflits, car là où le thon se masse, la paix trépasse. Idem avec la barge rousse (Limosa lapponica), un oiseau migrateur capable de « prédire » les tsunamis et les cyclones par ses déplacements.

Au-delà de la prévention, le ministère cherche depuis plusieurs années à réduire son impact. Serge Payan est chef de la section stationnement en Auvergne-Rhône-Alpes : il s’occupe de la politique immobilière de l’armée dans cette région. Parce que les militaires sont propriétaires de plus de 275 000 hectares en France — ce qui en fait d’ailleurs le plus gros propriétaire foncier public —, un empire de camps d’entraînement et de zones de sécurité relativement préservées (pas de chasse, de maisons ou d’agriculture dans un champ de tir !). Certaines zones deviennent ainsi des refuges pour la faune, comme pour le beau guêpier d’Europe (Merops apiaster), qui niche en masse dans le camp de Nîmes. « Mais nous sommes le ministère avec la plus grosse empreinte carbone, m’indique-t-il, principalement à cause des carburants qu’on dépense lors de nos opérations. »
Pourquoi alors ne pas réduire nos interventions ? « La priorité de l’armée, c’est de maintenir la paix » (ah oui, d’accord). Pas de désarmement nucléaire donc, mais de la compensation. À La Valbonne, dans l’Ain, l’armée entretient des pelouses sèches riches en orchidées et en papillons, et œuvre au retour de l’outarde canepetière (Tetrax tetrax), un volatile menacé d’extinction.
Quelles « bêtises » sommes-nous en train de commettre ?
Si la seule solution pour préserver la nature consiste à confier les terres à l’armée, on est quand même mal partis, me dis-je. En quête de solutions revigorantes, j’erre entre les stands du hall 3, et m’installe devant une présentation de l’Office national de la biodiversité (OFB), sur la restauration des cours d’eau. « Nos rivières sont en état de siège, elles ont été usées et abusées depuis des siècles par nos activités », expose Anne Vivier. On a construit des canaux ou des retenues, on a détruit des berges et des lits... « Mais aujourd’hui, on sait comment “réparer” ces écosystèmes, en recréant des méandres ou en arasant des barrages », poursuit-elle. Et apparemment ça marche, la fonctionnaire de l’OFB égrène des chiffres encourageants : sur la Hem, petite rivière du Nord, les lamproies et les saumons ont multiplié par trois leurs nids en quelques années, et les crues se sont faites moins menaçantes pour les habitations.
Ragaillardie, je décide de rester sur le stand de l’OFB. Alexandra Gigou présente une autre action de restauration, marine cette fois-ci. Dans la baie d’Antibes, l’agence publique vient de terminer une vaste opération pour retirer des fonds marins quelque 20 000 pneus. « Ils avaient été immergés à la fin des années 1970 afin de créer des récifs artificiels, et d’augmenter la biodiversité marine... sauf que ça n’a pas du tout fonctionné. » Gloups : au lieu d’attirer de nouveaux poissons, ces amas de caoutchouc et de plastique se sont lentement éparpillés, répandant dans les eaux salées des composants toxiques. Et ce qui devait être une mesure écolo, financée par l’État et soutenue par les scientifiques, s’est révélée un fiasco ! Si bien que trente ans plus tard, des centaines de milliers d’euros d’argent public ont dû être engloutis pour réparer la bêtise.
🔴 Action de plusieurs associations dont @AnvMarseille aujourd’hui à l’aéroport de Marseille pour dénoncer le soutien du gouvernement à la promotion des biocarburants pour l’aviation et dire NON à l’extension de l’aéroport d’Aix-Marseille #UICN #AvionsATerre pic.twitter.com/jacxAdgoli
— ANV-COP21 (@AnvCop21) September 9, 2021
Pensive, je m’interroge : quelles « bêtises » sommes-nous en train de commettre, dont nous nous mordrons les doigts dans dix ans ? Combien de mesures aujourd’hui considérées comme écolos seront en fait dommageables pour le vivant ? Je reçois alors un texto d’Extinction Rebellion : ils mènent une action à l’aéroport de Marseille contre les biocarburants, notamment à base d’huile alimentaire usagée. Censés être verts et vertueux, et donc largement promus par le gouvernement, ces carburants seraient en fait une catastrophe de plus, selon un rapport de l’ONG Canopée publié ce jeudi : « Le gisement d’huiles usagées en France n’est pas suffisant pour répondre aux besoins dans l’aviation, lis-je, il permettrait d’alimenter l’équivalent de 700 vols Paris/Montréal — un chiffre à comparer aux 1 569 400 vols commerciaux enregistrés depuis la France en 2019. » Et l’association de conclure : « L’utilisation croissante de biocarburants à base d’huiles alimentaires recyclées [...] augmente indirectement la demande en huile de palme et encourage l’extension des plantations au détriment des forêts. » Caramba, encore raté !