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DSK, un économiste très conservateur

Les faits divers ont du bon. Le candidat auquel échappera la gauche est un économiste totalement néo-capitaliste, comme le montre Jean Gadrey.


Parmi les personnalités susceptibles d’accéder à la Présidence de la République, l’un est économiste et financier de profession. D’abord professeur d’économie, ensuite Président de la commission des finances en 1988, puis Ministre de l’industrie en 1991, avocat d’affaires en 1993, Ministre de l’économie et des finances en 1997, et enfin Directeur général depuis 2007 de la plus grande institution financière internationale. Il est donc particulièrement légitime de s’intéresser à ses options économiques, sur la base de sources publiques fiables et de ses écrits et déclarations, dont son livre de 2002 « la flamme et la cendre » (Grasset) sur lequel je m’appuierai en priorité.

Je suis contraint dans cet exercice particulier de m’en tenir à des sources qui datent un peu. DSK n’a pas publié de livre depuis 2002. Dans le prochain, qui ne devrait guère tarder (?), il sera temps de repérer des évolutions…

LES CONCEPTS FONDAMENTAUX EN ÉCONOMIE

Je me limiterai à quelques rubriques : les sources de la richesse, la croissance et l’écologie, la redistribution et la fiscalité, les marchés financiers, les privatisations, les retraites et les fonds de pension. Mais je commencerai – pour situer les références théoriques de DSK - par le support écrit de son cours sur les « concepts fondamentaux de l’analyse économique » à Sciences Po en 2002-2003, fichier pdf téléchargeable via ce lien. Le plan détaillé figure sur un autre site.

Ce document de 128 pages est une longue collection de citations non commentées de grands économistes du passé, mais accompagnée de multiples transparents et graphiques du cours proprement dit. Ce sont pratiquement TOUS des illustrations, pour chaque chapitre, de l’analyse néoclassique traditionnelle : l’offre, la demande, l’élasticité, les courbes d’indifférence, l’arbitrage entre travail et loisir, le revenu permanent, les fonctions de coûts, la maximisation du profit, le monopole maximisant son profit, les inconvénients du monopole et les avantages de la libre concurrence, etc. Autant de choses que reconnaîtront aisément ceux qui ont fait une ou deux années de fac d’économie, et que tous les autres assimileront à juste titre au fameux « autisme » dénoncé depuis longtemps par les étudiants.

On trouve un à deux pourcents du total consacrés à Keynes (à la sauce néoclassique), rien sur Marx, aucune référence aux écoles hétérodoxes contemporaines. C’est de l’orthodoxie plein pot, de la pensée unique. Tous ceux qui sont attachés au pluralisme des « concepts fondamentaux en économie » trouveront là matière à réflexion.

LA RICHESSE, C’EST D’ABORD L’INDUSTRIE

DSK écrivait en 1998 dans Le Monde : « la gauche s’enracine dans une tradition qui est celle de la production. Notre effort doit se porter d’abord sur la production et, notamment, la production industrielle, sur la création de vrais emplois qui sont des emplois directement productifs… ».

DSK s’inscrit dans une longue tradition industrialiste initiée par Adam Smith, qui considérait que les services sont improductifs. Le secteur tertiaire (75 % du PIB aujourd’hui) est, dans cette conception, un secteur plus ou moins parasitaire ou, dans le meilleur des cas, un « mal nécessaire » dont la progression expliquerait en grande partie les ralentissements économiques et les crises contemporaines.

Cette préférence pour l’industrie se retrouve notamment dans le fait (source Wikipedia) que DSK a cofondé le « Cercle de l’Industrie », lobby patronal créé en 1994 avec Raymond Lévy, alors PDG de Renault. Il s’agit d’un cercle spécialisé dans la défense de l’industrie française à Bruxelles, dont il devient le vice-président et où il côtoie notamment des industriels comme Louis Schweitzer, futur PDG de Renault, Vincent Bolloré, Alain Lamassoure (ancien député UDF passé à l’UMP), Benoît Potier (PDG d’Air Liquide) et Maurice Lévy (PDG de Publicis). Vingt-cinq dirigeants de grandes entreprises françaises sont membres du Cercle de l’industrie, qui existe toujours aujourd’hui.

CROISSANCE ET ÉCOLOGIE

La principale obsession (économique) de DSK c’est la croissance. Dans sa conférence de presse en tant que patron annoncé du FMI, le 1° octobre 2007, il faisait même de la « promotion de la croissance » la première priorité du FMI.

Dans son livre, les seules réflexions qu’il consacre à l’écologie, limitée au réchauffement climatique, figurent dans un plaidoyer (p. 111- 124) en faveur des marchés de droits d’émissions (contre les taxes). Soucieux du sort des pays pauvres, il proposait que le FMI leur attribue des « droits de polluer spéciaux » (p. 116-117) dont une partie « pourrait être revendue à des entreprises des pays riches, ce qui fournirait aux pays concernés une ressource de croissance supplémentaire »… Cela permettrait d’ailleurs aussi aux entreprises du Nord de polluer plus grâce au rachat de ces indulgences spéciales venues du FMI via le Sud.

Son vibrant plaidoyer pour le nucléaire (« une des rares solutions viables au problème des gaz à effet de serre ») mérite assurément de figurer dans une plaquette publicitaire d’Areva (membre du cercle de l’industrie). Son éloge (p. 120) des vertus du Mox, ce mélange (oxyde d’uranium et oxyde de plutonium retraités) qui a fait des ravages à Fukushima (voir ce lien) vaut son pesant de combustible irradié. Tout comme cette idée (p. 123) : il faut « concentrer l’utilisation du nucléaire dans les économies les plus capables de la maîtriser de façon à réserver aux autres les sources d’énergie plus traditionnelles et plus polluantes ».

LA REDISTRIBUTION EST DEPASSEE

Une partie de son livre est consacrée à montrer que la redistribution publique des richesses est « une impasse » (p. 27) et qu’il faut désormais s’intéresser à un « socialisme de la production » dont le contenu reste aussi flou qu’énigmatique, ce qui peut expliquer l’abandon ultérieur de cette innovation sémantique sans contenu. Il y écrit « il a été démontré [par qui ?] que bien peu de choses étaient, en définitive, redistribuées entre les riches et les pauvres ».

Cet argument n’est pas sérieux. En dépit de son affaiblissement, la redistribution conduit, entre autres, à ce résultat remarquable cité dans un rapport du Sénat : « les effets combinés des impôts et transferts sociaux permettent de faire sortir de la pauvreté plus de la moitié de la population à risque, en moyenne dans l’OCDE. Cet effet varie d’environ un quart de la population située sous le seuil de pauvreté avant impôts et transferts (États-Unis) à plus des deux tiers de cette population (Danemark, France). Cet effet a toutefois décliné au cours de la seconde moitié des années 1990 dans la plupart des pays de l’OCDE ».

Il me semble que DSK confond la régression effective, depuis le début de la période néolibérale, du rôle de l’État comme garant de l’égalité des droits essentiels, du fait notamment d’une fiscalité de moins en moins progressive (mouvement dont il a été l’un des artisans, nous le verrons), et une prétendue impasse historique de la redistribution. Ce genre d’argument me rappelle celui qu’emploient les libéraux qui, après avoir étranglé les services publics, nous expliquent que, puisque leur qualité se dégrade, il faut les privatiser.

VIVE LES BAISSES D’IMPOTS

Cette rubrique n’est pas étrangère à la précédente. Si la redistribution est dépassée, on n’a pas besoin de tant d’impôts et de « charges ». DSK s’en explique dans son livre pages 276 et suivantes. Après avoir dit qu’il n’est pas « un fétichiste de la baisse d’impôts et de charges », il explique ceci, en référence à la période Jospin : « Il m’est donc revenu d’expliquer que la baisse des impôts était un instrument autant qu’un objectif : instrument au service de la croissance, de l’innovation et de la prise de risque ; objectif au service de la justice sociale – les baisses d’impôts pouvant tout aussi bien y contribuer que les hausses de dépenses ». C’est d’ailleurs à ce titre qu’il défend ensuite la réduction des droits sur les donations, alors qu’en fait elle avantage bien plus les riches que les pauvres.

On sait pourtant - mais on le savait avant - ce que ces baisses ont produit : cadeaux aux riches, inégalités en hausse, impuissance publique, creusement de la dette, contribution aux crises financières…

Comment DSK justifie-t-il l’aspect « social » supposé de ces cadeaux fiscaux ? Ce sera pour le prochain billet, où nous parlerons aussi stock options, privatisations, retraites et fonds de pension.


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