Dans le Périgord, une école primaire du vivre-ensemble et de l’autonomie

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« L’enfant, par nature, a envie d’apprendre et de réussir. Il a soif de découverte, c’est une sorte de valeur universelle. Son travail, c’est de devenir adulte et il le fait par imitation et par absorption de son environnement. C’est pourquoi nos méthodes s’appuient beaucoup sur l’autonomie, la responsabilisation, l’auto-correction. »
Que de chemin parcouru en un an ! Après avoir présenté Géraldine en octobre 2012 dans une première « histoire de colibri », où elle nous confiait ses espoirs, nous avons de nouveau rencontré la directrice de la toute nouvelle école « La Marelle », qui ouvre ses portes dans le Périgord (Saint-Pantaly d’Ans) ! En préambule à la campagne Éducation qui s’amorce dans la (R)évolution des colibris, Géraldine nous raconte en détails la belle histoire de ce projet devenu réalité.

Géraldine, racontez-nous la genèse de cette école. D’où vous est venue cette envie de monter un tel projet ?
Plusieurs facteurs ont joué un rôle déterminant. D’abord, de par mon métier de sophrologue, j’ai réalisé que beaucoup des souffrances à l’âge adulte trouvaient leurs causes dans l’enfance, parfois dans l’échec scolaire. Le manque de confiance, la mauvaise estime de soi sont souvent nourris pendant les jeunes premières années. L’enfance est donc un moment essentiel dans le développement de chaque être humain, au cours duquel tellement de choses peuvent aussi bien être construites que détruites.
Ensuite, je crois que je mûris ce projet depuis que mes propres enfants sont à l’école. Je me souviens m’être fait cette réflexion qu’il était quand même étrange d’avoir un seul modèle pour tellement d’enfants différents… Et puis, un jour, on a diagnostiqué une dyslexie pour l’un de mes garçons. Cela a posé de manière encore plus fondamentale la question de l’accompagnement pédagogique. Car à l’école classique, cela devenait très difficile. Mon fils a eu la chance d’avoir des enseignants très à l’écoute avec qui nous avons pu essayé d’autres méthodes et j’ai constaté qu’en faisant autrement, ça pouvait marcher. Il a retrouvé de la joie de vivre, a repris confiance et s’est remis dans une dynamique d’éveil.
À ce moment-là, mon envie de créer une école était plus grande que jamais ; il a suffi ensuite d’une courte discussion avec Pierre Rabhi pour que je prenne la décision.
Comment s’est passée la mise en place ?
En 2011, j’ai soumis l’idée à des professeurs des écoles qui se sont montrés très emballés par le projet, me confortant dans mon choix. Je crois qu’avoir l’aval de ces enseignants m’a aidée à me lancer. (...) Et puis j’ai assisté au Forum d’octobre 2011 aux Amanins, « un changement humain pour un changement de société » ; ce fut une date importante. À la fin du documentaire sur l’école d’Isabelle Peloux (« Quels Enfants laisserons-nous à la Planète ? »), il y a cette scène très touchante où les enfants chantent « Êtes-vous prêt à vous engager ? ». Je l’ai vécu comme un appel. (...) Et en janvier 2012, nous avons créé, avec mon mari et quelques proches, l’association « Marelle & Cie », ce qui a marqué le véritable début de l’aventure.

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À qui s’adresse votre école ? Comment va-t-elle fonctionner concrètement pour cette première année ?
La classe accueillera quinze élèves, avec une enseignante « référente », un enseignant de collège qui viendra une journée par semaine, et des assistants pour seconder l’enseignante. La présence d’un professeur de collège dans l’école permet d’accompagner les plus âgés à la préparation de la sixième et du changement de système. Les enfants inscrits ont de 3 à 11 ans, avec une bonne répartition par tranches d’âge. Nous avons eu aussi des demandes pour des enfants différents, un peu à la marge du système classique. (...) C’est très agréable de constater que les profils sont très variés, les enfants viennent d’horizons très divers.
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Combien coûte une inscription dans votre école, qui est, par définition, une école privée, hors-contrat ?
Elle coûte 2 400 euros par an, soit 200 euros par mois pour chaque élève. Nous n’avons par ailleurs pas de cantine, donc les élèves doivent amener leur lunch-box. (...) Il est vrai que la question du modèle économique reste compliquée pour ce genre de système éducatif. Nous réfléchissons aux moyens de faire baisser ce coût. Nous avons l’intention de développer un Fonds solidaire qui pourrait être alimenté par du mécénat d’entreprises. Et nous saisissons toutes les occasions de faire rentrer un peu d’argent (vide-greniers, ateliers divers, conférences, vente de confitures, etc.)
Quels sont les principes fondateurs qui vont guider votre pédagogie ?
Le projet pédagogique est basé sur trois axes. Le premier, c’est de respecter les différences et notamment les rythmes d’apprentissage individuels. Nous voulons permettre à chaque enfant de découvrir son propre potentiel en valorisant les « intelligences multiples ».
Le deuxième, c’est de travailler le « vivre-ensemble ». Nous allons développer la coopération, à partir des pédagogies coopératives, de la communication non-violente ou des outils de gestion de conflit par exemple. Il est aussi prévu un module de formation pour les familles, pour que cela crée un cadre cohérent autour de l’enfant. (...)
Enfin, le troisième pilier de notre modèle pédagogique, c’est ce qu’on appelle « l’École hors-les-murs ». Il s’agit de réinsérer l’enfant dans son environnement au sens large, c’est-à-dire la vie du village, le voisinage, la nature, la vie quotidienne, etc. (...) Il est important de préciser ici que les enfants auront acquis à la fin de leur parcours les mêmes connaissances que celles proposées par les programmes classiques. Ils auront tout fait, ils l’auront juste fait différemment et dans l’ordre qui leur aura convenu.
Quelles ont été vos sources d’inspiration dans la constitution de ce modèle éducatif ?
Nous nous basons sur cette idée commune à toutes les pédagogies dites « nouvelles » selon laquelle l’enfant traverse des périodes sensibles, des moments où le cerveau est ouvert à certains apprentissages, qui sont essentiels dans son propre développement. Si à ce moment-là, on parvient à nourrir son besoin, alors il absorbe et le travail pédagogique remplit sa mission.
Je dirais qu’il y a un maître-mot dans notre démarche, c’est l’autonomie. On retrouve ce principe d’autonomie dans plusieurs courants pédagogiques : Maria Montessori, en particulier, a pensé sa méthode avec l’idée d’autonomie de l’enfant. L’adulte a un rôle d’observation, qui lui permet de présenter à l’enfant le bon matériel au bon moment et c’est l’enfant qui mène son propre apprentissage.
Nous pensons que l’enfant, par nature, a envie d’apprendre et de réussir. Il a soif de découverte, c’est une sorte de valeur universelle. Son travail, c’est de devenir adulte et il le fait par imitation et par absorption de son environnement. C’est pourquoi nos méthodes s’appuient beaucoup sur l’autonomie, la responsabilisation, l’auto-correction.
Comment qualifieriez-vous votre école pour quelqu’un qui ne connaît pas votre projet en tant que tel ?
La Marelle est une « école plurielle », dans la mesure où l’on y mêle différents courants pédagogiques. La pédagogie est un univers passionnant, avec de nombreux concepts qui existent, chacun présentant sa part d’intérêt au regard des valeurs citées tout à l’heure (les différences individuelles, la coopération et le lien à l’environnement au sens large).
Nous avons décidé de ne pas choisir une méthode à l’exclusion des autres (Montessori, Freinet, Steiner, etc). La méthode Montessori est très présente dans la classe, mais nous emprunterons au fil du temps à tous les courants les outils qui nous permettront de développer les trois axes du projet.
D’après nous, le principe cardinal réside dans le positionnement de l’adulte vis-à-vis de l’enfant et dans le regard porté à chaque élève. Apprendre ensemble et vivre ensemble, cela n’est possible que si l’on est en paix et en confiance avec soi-même et avec le monde dans lequel on vit.
- Propos recueillis, par Barnabé Binctin