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Tribune

De Henin-Beaumont à Grenoble, deux voies pour l’avenir

Etrange expérience : avoir vécu dans les deux villes d’Hénin-Beaumont et de Grenoble, remportées l’une par le Front national, l’autre par les écologistes. Une divergence qui exprime sans détour les voies politiques entre lesquelles choisir.


J’ai vécu vingt ans à Hénin-Beaumont puis vingt ans à Grenoble.

Le résultat des élections municipales de 2014 à Hénin-Beaumont et Grenoble montrent deux façons d’envisager une solution à « la crise » : tenter une extrême-droite renouvelée ou s’engager dans la transition sociale, écologique, économique et démocratique.

« La crise », je suis née avec : matin après matin depuis quarante ans, la radio m’annonce un taux de croissance en berne, impuissant à faire baisser un taux de chômage en hausse.

Les mines avaient déjà fermé quand j’allais au collège en ZEP où mes camarades avaient des noms commençant par Ben ou finissant par ski. Les maires de mon enfance étaient toujours de gauche comme le premier président auquel j’ai prêté attention et qui suscitait tant d’espoir autour de moi.

J’ai passé mon enfance, non pas sur des pistes de ski, mais dans des mouvements d’éducation populaire. Nos animateurs nous faisaient prendre des initiatives, découvrir la force du collectif, vivre des valeurs de coopération, exercer notre sens critique et notre créativité. Nous avions monté un spectacle, « Ça crée jeunes » pour exprimer nos rêves et nos convictions, et nous avions rempli les 800 places du Colysée de Lens, la plus grande salle du coin. Quand on rencontrait les copains de Lens, Avion, Béthune, Arras, Boulogne sur Mer, on leur disait fièrement, « A Hénin, on est bien ».

Hénin-Beaumont, Grenoble : deux villes dont l’image d’Epinal tente d’expliquer le choix politique à ces dernières municipales :
. Hénin, ville sinistrée où les usines ont fermé laissant un sol pollué aux métaux lourds sur cinquante kilomètres carrés, avec ses classes populaires sous-qualifiées, chômeuses et assistées, qui tuent dans l’alcool le spleen du plat pays gris et pluvieux.
. Grenoble, ville d’innovation technologique, laboratoire social et citoyen, aux premières loges pour la révolution et la résistance, aux cadres écolos qui profitent des plaisirs de la montagne.

Bref, les bofs et les bobos.

Deux villes qui ont pourtant des couleurs communes : le gris des nuages gorgés de pluie ou de pollution, et aussi le rouge puissant du mouvement ouvrier et du socialisme municipal.

Deux villes déçues aujourd’hui par le socialisme de pouvoir, et qui aspirent à un vrai changement, qui osent un autre choix, qui tentent une alternative.

Ces alternatives sont dénoncées avec la même virulence comme des périls : péril bleu marine à Hénin-Beaumont, péril rouge et vert à Grenoble, périls brandis par ceux qui donnent facilement des leçons ou ont intérêt à ce que rien ne change.

Pourtant ces deux alternatives n’ont pas la même teneur.

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres », disait Gramsci, communiste italien emprisonné par les fascistes dans une autre période de « crise », celle des années 30. Notre modèle de société se meurt : un modèle économique qui épuise la planète, accroît les inégalités, ne crée plus assez d’emplois et rend malades ceux qui travaillent, ne donne aux citoyens qu’un seul horizon : celui de consommateurs frénétiques. Une démocratie qui ne vit plus. Bref un monde qui peine à trouver du sens.

Voir s’épuiser ce modèle dans lequel nous avons été formés, cela a de quoi faire peur. Voir se matérialiser dans le ciel ou sur les arbres tout près de chez nous la pollution et le dérèglement climatique ajoute encore à la peur.

Cette peur est utilisée par les extrêmismes, politiques ou religieux, pour faire passer des idées simples : il suffit de faire confiance à l’homme providentiel (qui parle au nom d’un Dieu dans le cas des extrémismes religieux) et d’appliquer sans réfléchir les recettes qu’il nous donne pour résoudre les problèmes. Il suffit de sortir de l’Europe et de virer les étrangers pour qu’il n’y ait plus de chômeurs, inutile d’inventer un autre système économique. Il suffit de multiplier les caméras de surveillance pour que les gens n’aient plus peur.

Pas besoin de se mobiliser en tant que citoyens pour penser cette société devenue si complexe et agir chacun à son échelle pour la transformer : il suffit de faire confiance à d’autres qui s’occupent de notre avenir.

J’ai l’espoir que ce qui est proposé à Grenoble n’est pas qu’une alternative « verte et rouge » de partis écolos divisés, d’élus locaux qui n’ont pas toujours fait les bons choix, du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon qui est allé se parachuter aux dernières législatives à Hénin-Beaumont en se proposant comme homme providentiel alternatif à Marine Le Pen, et en s’asseyant du même coup sur les militants locaux.

Ce qui est proposé à Grenoble, c’est d’inventer d’autres voies économiques, sociales, environnementales, urbanistiques, éducatives, démocratiques, c’est parler de « pouvoir de vivre » et de « pouvoir d’agir de chaque habitant » et pas seulement de « pouvoir d’achat », c’est « soustraire les biens communs (eau, énergie) au privé », « végétaliser la ville », « mettre des clauses sociales, environnementales et d’insertion en cas de marchés publics ou d’aides aux entreprises locales », réduire la pollution atmosphérique, manger bio et local à la cantine.

C’est aussi « refonder la vie démocratique locale », « co-construire les projets avec les habitants ». Tout cela ne marchera que si les habitants, les acteurs locaux, les entreprises, acceptent de s’engager et de modifier leurs comportements individuels et collectifs, pas à pas. C’est une invitation faite à chacun d’être responsables, co-responsables de l’avenir de la ville.

Ce qui se construit à Grenoble peut également se construire à Hénin.

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