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Tribune

Du RMA au bien vivre


Dîner d’amis. On parle du ministre indigne, du fils à papa président, de l’oligarchie cynique. Anne a un point de vue original : « Et si tout cela était un rideau de fumée, pour occuper la galerie, et dissimuler les vrais problèmes ? » Ah, tiens !

Exemple : on s’est indigné des bonus des banquiers, traders, et autres patrons. Réponse logique : les limiter. Rien ne se passe. Mais voyez : après que le revenu maximal admissible (RMA) a été mis au programme d’Europe Ecologie, au printemps, il entre dans la panoplie du Parti de gauche, qui a présenté le 13 octobre un « plan de fiscalité écologique » élaboré et roboratif, dont le premier article prévoit un revenu maximal autorisé. Le grand écart des inégalités est « la cause du renforcement d’une classe de riches, gaspillant et détruisant, par des consommations de loisir de luxe, les ressources de la planète », écrit ce parti.

Et voici qu’à son tour le Parti socialiste a présenté une proposition de loi le 15 octobre sur les « rémunérations des dirigeants d’entreprise et des opérateurs demarché », qui prévoit pour les dirigeants des entreprises ayant reçu une aide publique un « salaire maximal ». Donc, toute la gauche met à son programme le revenu maximal admissible, et... quasi pas une ligne dans les journaux, pas un mot sur les radios, rien sur les télés. Motus et bouche cousue. Ça n’intéresse personne ? Allons !

Explication ? Les médias sont aux trois quarts (je suis optimiste) sous le contrôle de l’oligarchie. Mais on ne peut parler de censure : les politiques eux-mêmes ne poussent pas très fort sur le sujet, ils le mettent au programme, mais ne s’engagent pas vraiment.

J’appelle Patrick Viveret, un de ceux qui ont lancé l’idée du RMA, pour mieux comprendre. « Les politiques mettent le revenu maximum en évidence, c’est nouveau, mais ils y vont à reculons, dit-il. Dans une société où le seul imaginaire est l’imaginaire de l’avoir, le RMA est perçu comme une restriction de la liberté. Pour convaincre de son utilité, il faut une vraie campagne : d’abord montrer que le revenu est déjà plafonné pour l’immense majorité de la population. Et surtout, travailler l’imaginaire positif, tel que celui de la sobriété heureuse, du bien-vivre. Cela va à l’encontre de tout l’économisme dominant : il propose une compensation au mal-être par la consommation, il apporte la consolation par la publicité. »

« Mais, poursuit Patrick Viveret, ce registre est bouché : la consommation devient écologiquement insupportable. Alors, les logiques dominantes remplacent peu à peu le registre compensateur-consolateur par un registre autoritaire. Si tu dis, ’la voie compensatrice-consolatrice’ n’est plus possible et qu’on refuse la voie autoritaire, il faut travailler sur la démocratie et sur la sobriété heureuse. » Etre plus heureux en ayant moins, certes. Mais surtout en rêvant autrement.


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