En Allemagne, ce sont les citoyens qui mènent la transition énergétique

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Alors qu’en France, on tergiverse sur la transition énergétique et que la Conférence environnementale va encore papoter aujourd’hui, en Allemagne, les citoyens ont pris à bras-le-corps le changement énergétique. La transition s’opère doucement mais sûrement partout dans le pays. Reportage.
- Reportage, Fribourg en Brisgau, Shönau, Trêves.
En Allemagne, l’Energiewende est une politique engagée. Le pays s’est fixé trois objectifs : sortir du nucléaire d’ici 2022, se fournir à 80% en énergies renouvelables d’ici 2050 et réduire de 95% ses émissions de gaz à effet de serre, aussi d’ici 2050. C’est l’un des gros dossiers que le nouveau gouvernement - des élections générales ont lieu dimanche 22 septembre - va trouver sur son bureau. Mais en Allemagne, l’Energiewende est avant tout une affaire de citoyens. Démonstration en trois exemples, trois histoires.
Fribourg-en-Brisgau : aux origines de l’Energiewende
Au sud-ouest de l’Allemagne, dans le land du Bade Wurtemberg, Fribourg-en-Brisgau est le berceau de l’opposition au nucléaire en Allemagne. « A la fin des années 70, le gouvernement a voulu construire une centrale nucléaire. Les citoyens se sont opposés au projet mais ils ont aussi voulu proposer des alternatives. Ils ont consulté des experts et publié une étude sous le titre “Energiewende“ » raconte Craig Morris. Journaliste, il vit à Fribourg et explique l’energiewende en anglais sur son site internet.
Aujourd’hui dans la ville et sa région, 12 000 emplois dépendent déjà des énergies renouvelables, qui sont largement répandues. Les élus du territoire viennent de commander une étude pour savoir s’il est possible d’aller jusqu’à 100 % en énergie locale et renouvelable pour fournir particuliers, entreprises et administrations en chauffage et électricité. Les élus ont accueilli les résultats avec enthousiasme, assure Thomas Bauer, de l’Energieagentur de Freibourg (agence de l’énergie), qui a réalisé l’étude : « En théorie, si on réduit la consommation d’énergie de la région de moitié, on peut produire plus d’énergies renouvelables que ce dont on a besoin. »

L’éco-quartier Vauban, à Freiburg
Cela coûterait trois milliards d’euros de construire toutes les installations (panneaux solaires, éoliennes, etc.) nécessaires. « Ce n’est pas tant que ça, si on considère que c’est un investissement et qu’on le compare aux 880 millions d’euros que dépense la région chaque année pour importer des énergies fossiles », tempère Thomas Bauer. Mais le plus cher sera d’isoler les bâtiments, car c’est le chauffage qui demande le plus d’énergie : 12 milliards d’euros. « C’est de l’investissement privé, des particuliers et des entreprises. Pour les convaincre, les politiques peuvent montrer l’exemple : la ville doit faire le maximum dans ses administrations, mais aussi mettre en place des programmes pour accompagner les gens. »
Schönau, le village qui ne voulait plus d’énergie nucléaire
Depuis Fribourg-en-Brisgau, il faut parcourir quarante kilomètres en lacets au milieu des sapins de la forêt noire pour atteindre Schönau. Dans ce village de 2 500 habitants, l’énergie n’est pas encore locale, mais déjà 100% renouvelable. Elle est distribuée par l’EWS Schönau, un fournisseur d’électricité créé par les habitants en 1996.
Eva Stegen y est consultante en énergie : « Tout a commencé avec l’accident de Tchernobyl. Des citoyens ont réalisé que la pollution qui venait du nuage radioactif avait quelque chose à voir avec la production d’énergie. » Ils décident que leur électricité ne doit venir ni du nucléaire, ni des énergies fossiles. Impossible, leur répond le fournisseur d’électricité de l’époque. Les citoyens décident donc de créer leur propre fournisseur.
« Il a fallu deux référendums pour convaincre les élus et les habitants, les résultats étaient serrés », relate Eva Stegen. Les citoyens doivent aussi devenir propriétaires du réseau de distribution. « Le fournisseur de l’époque l’a évalué à 8,7 millions de deutschemarks, contre 3,8 millions selon l’expert des habitants », poursuit-elle. Une bataille juridique, mais aussi de communication, s’engage. Les dons affluent de toute l’Allemagne pour aider les citoyens à acheter le réseau. Le tribunal leur donne raison. L’EWS Schönau est créée.

L’entrée du village de Shönau : même le toit de l’église est recouvert de panneaux solaires
Aujourd’hui, la coopérative compte 140 000 abonnés dans toute l’Allemagne. Son modèle essaime dans d’autres villages, comme à Titisee-Neustadt. Pour l’instant, elle achète l’électricité en Norvège, à des centrales hydrauliques municipales : « Nous ne voulons pas donner d’argent aux grands groupes électriques qui ont des centrales nucléaires et fossiles », insiste Eva Stegen. Mais la coopérative tente aussi de développer une énergie locale : elle finance des installations photovoltaïques, éoliennes et des centrales biomasse.
A Trèves, l’université transforme les déchets en calories
Depuis quinze ans, le campus de l’université de Trèves est autonome en énergie et n’émet aucun gaz à effet de serre. Les déchets organiques fournissent du biogaz, la géothermie et des panneaux solaires viennent compléter la panoplie. « Ce que nous faisons est économiquement raisonnable, affirme Peter Heck, professeur à l’université. Au lieu de jeter nos déchets et de payer pour cela nous les transformons en ressource. Nous avons créé vingt-deux emplois et fournissons de l’énergie propre et pas chère. »
Un modèle que le professeur applique aux villages. Avec son institut, l’Ifas (Institute for Applied Material Flow Management), il fait office de consultant pour les élus locaux. Pour convaincre les maires, Peter Heck leur montre deux schémas : dans le premier, le village achète son énergie à l’extérieur et perd chaque année un peu plus d’argent. Dans l’autre, on comprend que le village produit sa propre énergie grâce aux déchets organiques des habitants et des agriculteurs. La richesse reste dans le village et alimente l’économie locale. « Les villages cessent de s’appauvrir et peuvent même approvisionner les villes en énergie », s’enthousiasme le professeur.
Sur le campus de Trèves, les logements étudiants produisent plus d’énergie qu’ils n’en ont besoin.
De plus en plus de villages se lancent dans cette voie (Weilerbach, Mauenheim, Jühnde) et se regroupent sous le nom « Bioenergy villages ».

Sur le campus de Trèves, les logements étudiants produisent plus d’énergie qu’ils n’en ont besoin
Selon Peter Heck, ce mouvement ne peut plus être stoppé : « Dans les campagnes allemandes les politiques ont compris que c’est une formidable opportunité. Quelque soit leur parti, quelque soit le résultat des élections, ils veulent que la transition énergétique continue. »