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En Corse, l’Etat ferme les yeux sur la spéculation immobilière


Lettre ouverte au conseiller de l’Élysée : une clarification de la position de l’État nous apparaît indispensable.

C’est dans un contexte de vive tension que le 12 juin dernier la direction collégiale de U Levante écrivait au Conseiller aux affaires territoriales du cabinet du Président de la République.

Monsieur le Conseiller,

Depuis le début de cette année, nous avons pris l’initiative de vous adresser plusieurs lettres, qui sont malheureusement restées sans réponse à ce jour :

• Le 2 mars 2013, U Levante vous demandait de ne pas accepter la réduction de la Znieff d’Arone (commune de Piana) décidée unilatéralement par la Dreal de Corse. Nous avons noté avec satisfaction que les cartographies avaient été modifiées depuis lors, et qu’elles avaient été rétablies dans leurs contours initiaux, mais nous n’avons reçu aucun écrit explicitant la position de l’Etat sur ce dossier.

• Le 10 février 2013, U Levante vous adressait un dossier concernant le secteur de la Testa Ventilegna (commune de Figari), qui démontrait que le déclassement d’une vingtaine d’hectares de Znieff par la Dreal était illégal. Nous constatons toutefois que les cartes actuellement disponibles sur les sites du Muséum national d’histoire naturelle ne sont pas revenues sur ce déclassement.

• Le 10 février 2013, U Levante vous adressait un dossier sur le secteur de Paraguanu (commune de Bunifaziu), qui démontrait que la Dreal avait favorisé le non-classement en zone Natura 2000 d’un couloir où existe la maison d’un « people » et sur lequel la commune envisage de créer une zone urbanisable.

• Le 29 avril 2013, U Levante alertait Monsieur le Président de la République sur l’attitude de la Dreal et du Préfet de Corse du Sud, qui sont à l’origine de ces graves dysfonctionnements.

Nous nous inquiétons de votre absence de réponse à ces différents courriers. Devons-nous comprendre que ces déclassements et suppressions de Znieff, qui favorisent des projets immobiliers sur les sites concernés, ont été réalisés avec l’aval des plus hautes autorités de l’État ?

Devons-nous craindre que les représentants de l’État en Corse poursuivent, sans changement, leur politique d’encouragement de la spéculation immobilière effrénée que subit notre île, en laissant adopter des documents d’urbanisme manifestement illégaux, en n’exerçant aucun contrôle de légalité sérieux sur les permis de construire délivrés sur le littoral, voire en favorisant, comme dans les cas rappelés ci-dessus, des opérations illégales de déclassement de sites naturels protégés ?

Dans le contexte de très vive tension que connaît actuellement la Corse, et alors que, de notoriété publique, la spéculation sur le littoral de l’île est essentiellement le fait de bandes criminelles, une clarification de la position de l’État nous apparaît indispensable.

La direction collégiale de U Levante reste donc dans l’attente, au-delà des positions de principes, de signes annonciateurs d’une volonté réelle de faire échec à ces dérives et d’imposer à tous le respect des règles en matière d’urbanisme et de protection de notre patrimoine naturel.

Les membres de la direction collégiale de U Levante entendus par la police nationale

Nous souhaitons par ailleurs porter à votre connaissance un événement qui nous préoccupe vivement, en ce qu’il souligne l’attitude très ambiguë des services d’État en Corse à l’égard des associations de protection de l’environnement.

Un des membres de la direction collégiale de U Levante a été entendu le lundi 10 juin 2013 par la police nationale, à la direction départementale de la sécurité publique de Corse-du-Sud (DDSP) à Ajaccio, dans le cadre d’une enquête diligentée contre l’association à la suite du dépôt d’une plainte pour diffamation.

Cette enquête se rapporte à un article récemment publié sur le site Internet de l’association U Levante et qui concerne la Znieff d’Arone (Piana) :

Selon les agents de police qui ont interrogé notre dirigeant, la diffamation résulterait de l’emploi du terme « cadeau » dans le corps de l’article. Il lui a par ailleurs été indiqué que les 14 membres de la direction d’U Levante seraient successivement entendus ! Les agents, qui ont refusé de révéler l’identité du ou des auteurs de la plainte, étaient en possession de nombreux éléments qui leur ont été manifestement remis par le cabinet du Préfet de Corse-du-Sud.

Nous avons ainsi des motifs raisonnables de penser que la plainte émane de M. le Préfet lui-même ou de la Dreal agissant sur autorisation de M. le Préfet, et qu’elle constitue une tentative d’intimidation visant à dissuader l’association U Levante de dénoncer publiquement les graves dysfonctionnements qui affectent cette administration.

Nos Conseils estiment en effet que l’expression en cause ne présente aucun caractère diffamatoire.

De surcroît, la débauche de moyens déployés dans le cadre de cette enquête contraste singulièrement avec la passivité dont font preuve les mêmes services de police et de gendarmerie lorsqu’il s’agit d’identifier les auteurs des menaces proférées à l’encontre des dirigeants d’U Levante ou d’autres associations du Collectif littoral en Corse, ou encore de lutter contre les mafias qui sévissent sur l’île.

Cette situation est tout à fait insupportable et ne contribue assurément pas à rétablir un lien de confiance entre l’Administration et les associations de protection de l’environnement.

Les représentants de l’État sur l’île se trompent de cible en faisant des procès en sorcellerie aux associations, et seraient mieux avisés de lutter avec plus de détermination contre les auteurs des préoccupantes dérives auxquelles nous assistons en Corse. Là encore, une clarification de la position de l’Etat et une redéfinition radicale de sa politique s’imposent.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Conseiller, l’expression de notre respectueuse considération.


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